Congédiement à TVA: l'empire Péladeau sous le choc

Congédiement à TVA: l'empire Péladeau sous le choc

Par David Garel le 2025-07-08

Il y a un parfum de fin du monde chez TVA.

Il n’y a pas de mots assez durs pour décrire le climat actuel chez la station médiatique de Quebecor.

Une odeur plomb recouvre les salles de rédaction. Les regards sont lourds, les silences pesants, et derrière chaque sourire de façade, une seule question hante les employés : qui sera le prochain à tomber ?

Cette semaine, c’est Échos Vedettes, pilier de la culture populaire québécoise depuis 1963, qui a vu sa salle de rédaction amputée de près de la moitié de ses effectifs.

Six journalistes expérimentés ont été congédiés. Pas pour incompétence. Pas pour faute grave. Non. Pour « raisons économiques ».

Et surtout, parce que l’employeur a attendu la toute fin des négociations de la convention collective pour poser l’ultimatum. Un geste brutal. Calculé. Sans appel. Sans pitié.

Les employés ont accepté des hausses salariales, oui, mais le prix à payer fut la disparition de collègues qu’ils considéraient comme une famille. Voilà le coût réel de cette prétendue rigueur budgétaire.

Et ce n’est pas fini.

Dans les couloirs, un mot revient, froid comme une sentence : TVA Sports. Tout le monde a vu les signes. Tout le monde a entendu les déclarations de Pierre Karl Péladeau, qui a déclaré il y a quelques mois, sans détour, qu’il envisageait la fermeture de TVA Sports si le CRTC ne tranchait pas en faveur de Québecor dans le litige contre Bell.

Un chantage à peine voilé. Une menace enveloppée dans le langage des affaires. Mais le message était clair et net.

Lors de l’assemblée annuelle des actionnaires du Groupe TVA, Pierre Karl Péladeau a lâché la phrase que tous redoutaient :

« Il ne faudrait pas s’étonner que TVA Sports cesse ses activités. »

D’une voix calme, presque clinique, il a annoncé ce que plusieurs percevaient déjà comme une fatalité. Il n’a pas prononcé le mot “fermeture”, mais tout y était : le ton, le contexte, les chiffres, et surtout, l’absence totale d’un plan de relance.

Il a reconnu publiquement que le modèle d’affaires de la chaîne ne survivrait pas à la nouvelle entente de 11 milliards entre Rogers/Sportsnet et la LNH, qui verrouille les droits jusqu’en 2038.

Avec près de 300 millions de pertes en douze ans, une part de marché moribonde, et aucune perspective de rentabilité, le président de Québecor a préparé le Québec à faire son deuil. Un moment solennel, glacial, qui a résonné comme un avis d’extinction.

Les mêmes mots avaient été prononcés à propos d’Échos Vedettes. Les mêmes justifications. Les mêmes euphémismes.

Et aujourd’hui, le couperet est tombé. Ceux qui travaillent à TVA Sports le savent : leur tour viendra. Ce n’est plus une crainte, c’est une certitude. La seule inconnue, c’est la date.

Et pendant ce temps-là, Pierre Karl Péladeau est en train de devenir plus riche que jamais. L’action de Québecor a atteint un sommet sur 52 semaines à 41,58 $ aujourd'hui, alors qu’elle valait 30,63 $ le 3 janvier. En six mois, la capitalisation boursière de Québecor est passée de 7,67 milliards $ à 9,24 milliards $. Un gain absolu de 1,57 milliard de dollars canadiens. Une augmentation de plus de 20 %.

Et ce n’est pas tout.

Péladeau, qui détient plus de 92 % du capital de Québecor, a vu sa propre fortune augmenter de près de 1,44 milliard de dollars dans la même période. Pendant que des journalistes pleuraient dans les corridors de TVA, lui, il voyait son portefeuille enfler. 

Nous avons souvent critiqué Pierre Karl Péladeau dans nos pages. Nous l’avons accusé d’être un patron déconnecté, d’avoir un train de vie extravagant, d’avoir trahi la promesse des Nordiques, de s’être perdu dans des projets narcissiques avec Air Transat. Nous avons rappelé son divorce hautement médiatisé avec Julie Snyder, ses envolées politiques ratées, sa rigidité, son autoritarisme.

Mais aujourd’hui, nous devons l’admettre.

Il a gagné.

Non pas sur le plan moral, mais sur celui qui fait bouger les marchés : la confiance des investisseurs. Les licenciements, les menaces, la discipline brutale… tout cela a envoyé un signal fort aux investisseurs: Québecor va couper, rationaliser, rentabiliser. Peu importe les larmes. Peu importe les visages. La Bourse a aimé ça.

Ce gain est historique. Et en tant qu’observateurs, même critiques, nous devons nous abaisser devant ce constat : Pierre Karl Péladeau est un homme d’affaires redoutable.

Mais à quel prix ?

Dans les bureaux de TVA Sports, les employés vivent une forme de deuil anticipé. Ils ont vu ce qui est arrivé à leurs collègues d’Échos Vedettes. Ils ont entendu les rumeurs. Ils ont vu la chute des revenus publicitaires. Ils savent que la saison 2025-2026 sera probablement la dernière.

Et pourtant, pendant qu’ils travaillent d’arrache-pied à couvrir la finale de la Coupe Stanley, des investisseurs spéculent sur la fermeture du réseau. Imaginez l’humiliation. Travailler pour une entreprise dont la propre action grimpe à la Bourse grâce à l’idée de votre mort professionnelle. C’est inhumain.

Dans les arts, la frustration est immense. L’émission « Les Sorcières », la plus populaire et la plus nominée aux Gémeaux cette année, a été brutalement interrompue par Québecor, sans fin, sans explication.

Pourquoi ? Pour épargner quelques centaines de milliers de dollars. Pourtant, des centaines de millions ont été engloutis à perte dans TVA Sports. 300 millions perdus, sans impact réel sur les cotes d’écoute. Mais on a préféré sacrifier la culture plutôt que toucher au jouet sportif.

Et parlons des Gémeaux. TVA Sports n’a même pas inscrit ses productions au gala, officiellement pour des raisons budgétaires.

Une blague. Une honte. Pendant que les journalistes de RDS récoltent les honneurs pour leur travail sur la NFL, le hockey ou les Jeux olympiques, TVA Sports s’exclut du débat. Refuse d’être jugée. Elle s’expulse elle-même du monde de la télévision. Parce qu’elle sait qu’elle perdrait. Parce que la direction n’y croit plus.

Alors oui, les chiffres sont bons. Oui, les marchés applaudissent. Oui, les investisseurs dorment bien.

Mais le cœur de Québecor est en train de se vider.

Et ça, personne ne le célèbre.

Dans ce contexte, il faut avoir une pensée sincère pour les employés d’Échos Vedettes. Des artisans, des raconteurs, des passionnés, qui ont été sacrifiés au nom de la rentabilité.

Pour qui les bureaux ne sont plus un lieu de création, mais un couloir vers la sortie. Et qui regardent aujourd’hui leurs collègues de TVA Sports… comme on regarde un condamné qui ne connaît pas encore l’heure de son exécution.

Un jour, il faudra reparler de Julie Snyder, de ce qu’elle incarnait pour les Nordiques, de son amour pour le hockey, de cette série Montréal-Québec qui avait ravivé l’espoir.

On se souviendra qu’à une époque, l’empire Québecor vibrait au rythme des passions populaires. Et non des tableaux Excel.

Mais ce jour n’est pas aujourd’hui.

Aujourd’hui, c’est un jour de deuil. Un jour où on enterre une autre parcelle du rêve médiatique québécois. Un jour où même les critiques doivent reconnaître que l’homme qu’ils ont combattu, Pierre Karl Péladeau, a donné une leçon brutale, mais efficace : dans ce monde, ce sont ceux qui ont le nerf de couper qui font monter la valeur.

Et ça, ça brûle les doigts de l’écrire.