Pierre-Karl Péladeau, président et chef de la direction de Québecor, se retrouve plongé dans une des crises les plus complexes de sa carrière.
Son initiative ambitieuse de faire migrer QUB Radio sur la bande FM via une entente avec Leclerc Communication, propriétaire du 99,5 FM, est désormais au centre d’une bataille juridique et réglementaire.
Cogeco et Bell, deux géants de la radiodiffusion, ont officiellement saisi le CRTC pour demander la fin immédiate de cette retransmission qu’ils qualifient de « stratagème illégal ».
Depuis août dernier, les Montréalais peuvent écouter sur le 99,5 FM les têtes d’affiche de QUB Radio, telles que Mario Dumont, Richard Martineau, et Sophie Durocher, grâce à une entente controversée entre Québecor et Leclerc Communication.
Officiellement, Leclerc reste propriétaire de la fréquence, mais la programmation est intégralement assurée par Québecor.
Pour Bell et Cogeco, cette stratégie viole les règles en vigueur. Le CRTC interdit à un même groupe de posséder une station de télé, un journal et une station de radio dans un même marché, afin de préserver la diversité des voix médiatiques.
Québecor, déjà propriétaire de TVA (et TVA Sports) et du Journal de Montréal, s’approche dangereusement, selon ses détracteurs, d’un monopole médiatique.
Dans une plainte déposée au CRTC, les deux concurrents dénoncent un déséquilibre dangereux pour le marché.
« Cette entente confère à Québecor une domination excessive sur les médias montréalais, tant en télévision, radio, journaux qu’en web, au détriment de la concurrence et de la diversité des opinions », affirme leur document.
Pierre-Karl Péladeau ne s’est pas laissé intimider. Dans une déclaration cinglante, il a accusé Bell et Cogeco d’agir par esprit de monopole.
« Bell et Cogeco détiennent 95 % du marché radiophonique montréalais depuis des années. Leur opposition n’est qu’un acte désespéré pour maintenir leur hégémonie », a-t-il affirmé, défendant la légalité de l’entente avec Leclerc Communication.
Cette défense souligne un point crucial : la radio traditionnelle est en déclin, et les acteurs historiques cherchent à protéger leurs parts de marché face à une nouvelle concurrence numérique et hybride, comme QUB Radio.
Le lancement du 99,5 FM sous la bannière QUB Radio n’a pas été sans embûches. Dès les premières émissions, des problèmes techniques ont été notés, notamment un son de mauvaise qualité pour les invités connectés à distance.
Ces pépins, bien qu’habituellement liés à une transition, ont donné une impression de précipitation et ont suscité des critiques sur les réseaux sociaux.
Malgré ces débuts hésitants, Mario Dumont, figure numéro un de la station, a su maintenir son professionnalisme, mais cela n’a pas suffi à dissiper les doutes sur la viabilité de ce projet à long terme.
L’arrivée de QUB Radio sur le 99,5 FM n’est pas seulement une opération radiophonique; c’est une pièce maîtresse dans la stratégie globale de Québecor.
En reliant la radio parlée, le web, et ses autres médias comme TVA et le Journal de Montréal, Péladeau maximise les "synergies" pour maintenir son emprise sur le paysage médiatique québécois.
Les émissions de QUB Radio, largement rediffusées sous forme de balados, servent également de tremplin pour promouvoir TVA Sports, les Alouettes, et d’autres entités du groupe.
Cette interconnexion, bien que brillante d’un point de vue commercial, alimente les craintes d’une concentration excessive du pouvoir médiatique.
Le sort du 99,5 FM est désormais entre les mains du CRTC, qui devra trancher sur la légalité de cette entente. Une décision en faveur de Bell et Cogeco pourrait signifier la fin de l’aventure FM pour QUB Radio, forçant Québecor à revoir complètement sa stratégie.
À l’inverse, un feu vert renforcerait la position de Québecor et cimenterait son modèle hybride de radio et médias numériques.
Ou plutôt...son monopole hybride...
Pourquoi cette crise est un test pour Péladeau?
Car ce conflit est bien plus qu’une simple question réglementaire. QUB Radio, malgré ses ambitions, n’a pas réussi à s’imposer dans le paysage radiophonique comme prévu. Les cotes d’écoute restent faibles, et l’ajout de la fréquence FM n’a pas encore montré d’impact significatif.
À cela s’ajoutent les difficultés financières de TVA Sports, qui accumule près de 300 millions de pertes depuis sa création, et les critiques récurrentes envers le modèle d’affaires de Québecor.
Péladeau joue gros. Si le CRTC tranche contre lui, cela mettrait à mal sa vision d’un empire médiatique intégré. Mais même en cas de victoire, il reste à prouver que QUB Radio peut attirer une audience suffisante pour justifier un tel pari.
Le conflit autour du 99,5 FM dépasse largement les enjeux d’une simple station de radio. On parle questions fondamentales sur la concentration des médias, la survie de la radio traditionnelle, et l’évolution du paysage médiatique québécois.
Pierre-Karl Péladeau a construit son empire sur des décisions audacieuses, parfois qui frisent avec la malhonnêté intellectuelle mais ce pari pourrait bien être son plus risqué à ce jour.
S’il échoue, cela marquerait un revers important pour Québecor. S’il réussit, il redéfinira les règles du jeu, au grand dam de ses concurrents.
Dans cette bataille, le seul arbitre sera le CRTC, et son jugement pourrait bien redessiner l’avenir des ondes québécoises.
Pour l’instant, tout ce que l’on sait, c’est que Péladeau est dans l’eau chaude… et que la vapeur continue de monter.
Si le conflit avec le CRTC représente une tempête médiatique majeure pour Québecor, il s’ajoute à une liste déjà longue de déboires qui brise peu à peu l’empire de Pierre-Karl Péladeau.
Au fil des années, les défis financiers, les erreurs stratégiques et les échecs retentissants se sont accumulés, mettant en lumière les fragilités d’une entreprise autrefois perçue comme inébranlable.
Le cas le plus criant reste celui de TVA Sports, qui incarne un fiasco économique presque légendaire. Depuis sa création en 2011, la chaîne spécialisée n’a jamais été rentable.
Péladeau parle de 242 millions de pertes, mais tout le monde sait que la conpagnie a accumulé près de 300 millions de dollars de pertes en un peu plus de dix ans.
Ce gouffre financier pèse lourdement sur les résultats de Groupe TVA, au point où, sans TVA Sports, l’entreprise serait encore profitable.
Les abonnés, autrefois 1,8 million en 2014, ont chuté à moins d’un million en 2024, selon les données du CRTC. Cette hémorragie a obligé Québecor à contracter des prêts massifs, notamment un emprunt de 91 millions de dollars auprès de Québecor Média et une réduction drastique de la marge de crédit bancaire de 150 à 20 millions.
Pour couronner le tout, les cotes d’écoute sont en chute libre, et des émissions comme celle de Jean-Charles Lajoie peinent à attirer plus de 20 000 spectateurs, un chiffre digne de la télévision communautaire.
Malgré des tentatives désespérées pour redresser la barre – comme la diffusion exceptionnelle d’un match des Canadiens sur TVA – les résultats n’ont pas été à la hauteur des attentes. Le message est clair : TVA Sports est devenu un poids mort pour Québecor, et Péladeau est à court de solutions.
L’un des plus grands échecs de Péladeau est d'avoir échoué à ramener les Nordiques de Québec.
Pendant des années, il a fait miroiter au public québécois un retour de l’équipe légendaire, mais il n’a jamais réussi à convaincre la LNH de concrétiser ce projet.
Sa réputation en a pris un coup, et Québecor a perdu un outil crucial pour stimuler son réseau médiatique et son influence.
Cet échec symbolique a eu des répercussions profondes sur son image. Là où d’autres magnats des médias comme Bell et Rogers réussissent à se positionner comme des acteurs clés dans les négociations de droits sportifs, Québecor peine à maintenir sa crédibilité dans l’arène des grands joueurs.
Le Journal de Montréal, fleuron historique de Québecor, fait face à sa propre crise identitaire. Les critiques sur le virage sensationnaliste du quotidien se multiplient.
Sous la pression de générer plus de clics et de revenus, le contenu est de plus en plus axé sur des titres accrocheurs et des sujets polarisants, au détriment de la profondeur et de la rigueur journalistique.
Cette stratégie, bien qu’elle puisse attirer une certaine audience, éloigne les lecteurs fidèles qui attendent du journalisme de qualité.
Le déclin du papier physique, combiné à la montée des plateformes numériques comme La Presse+, exacerbe encore la perte de pertinence du Journal de Montréal sur le marché.
Le lancement de QUB Radio sur la bande FM, bien qu’ambitieux, a souligné d’autres failles dans la gestion de Péladeau.
Les problèmes techniques lors des premières émissions, couplés à une programmation redondante où les figures phares recyclent les mêmes opinions et sujets, n’ont pas aidé à séduire un nouvel auditoire.
Pire encore, les cotes d’écoute initiales sont bien en-dessous des attentes. Mario Dumont, bien que populaire, ne parvient pas à rivaliser avec des mastodontes comme le 98,5 FM, qui continue de dominer le marché montréalais avec une avance confortable. Le pari de la bande FM, bien que prometteur, semble déjà s'effondrer.
En faisant l’acquisition des Alouettes de Montréal, Péladeau espérait diversifier ses revenus et renforcer son contrôle sur le marché des sports québécois.
Toutefois, cet achat s’est révélé être une épée à double tranchant. Bien que les Alouettes aient connu une résurgence en popularité, le retour sur investissement est loin d’être garanti.
Avec des audiences modestes et des revenus publicitaires stagnants, l’équipe représente davantage un levier d’image qu’un actif financier rentable.
Pendant que Québecor lutte sur tous les fronts, ses rivaux, notamment Bell et Cogeco, continuent de consolider leurs positions.
L’annonce récente du partenariat entre RDS et Prime Vidéo renforce l’écosystème de Bell, offrant une accessibilité accrue à leur contenu sportif et créant une menace directe pour les ambitions de Québecor dans le domaine des droits télévisés.
Pendant ce temps, TVA Sports continue de perdre du terrain, et ses émissions, critiquées pour leur manque de qualité et de pertinence, ne font qu’accentuer le fossé entre les deux réseaux.
Pierre-Karl Péladeau, autrefois perçu comme un titan des affaires, se trouve dans une position délicate.
Entre les pertes sans fin s de TVA Sports, les échecs symboliques comme le retour des Nordiques, les critiques croissantes sur le contenu sensationnaliste de ses médias, et la pression exercée par ses rivaux, l’empire Québecor tremble.
Le conflit avec le CRTC sur la retransmission de QUB Radio pourrait être le coup de grâce. Si Péladeau perd cette bataille, il risque de perdre bien plus qu’une fréquence FM; il pourrait perdre la confiance de ses partenaires, de son public, et de ses investisseurs.
Pour l’instant, l’avenir de Québecor (division médias) repose sur des décisions audacieuses, mais risquées. L’homme d’affaires, qui a bâti sa réputation sur son esprit parfois "fou" devra prouver qu’il est encore capable de redresser la barre.
Car si l’empire Québecor tombe au niveau médiatique, il est peu probable qu’il trouve une seconde vie. Les derniers chapitres de cette saga s’écrivent en ce moment même, et ils pourraient bien déterminer l’héritage de Pierre-Karl Péladeau dans l’histoire médiatique québécoise.
À lui de se réveiller.