Martin St-Louis aurait dû se tourner la langue 7 fois avant de parler.
Il y a des soirs où la défaite fait partie du jeu, où les partisans repartent frustrés, mais capables d’accepter l’idée qu’une équipe a tout simplement été battue par plus forte qu’elle.
Et puis il y a des soirs comme celui-là. Un soir où des milliers de partisans ont payé des centaines de dollars (billets, stationnement, concessions, transport, gardienne, bière tiède à 14 $) pour assister à ce qui restera comme l’un des matchs les plus soporifiques, les plus stériles et les plus pénibles à regarder des deux dernières saisons au Centre Bell.
Un soir où le Canadien n’a pas seulement perdu 4-1 contre les Flyers de Philadelphie, mais s’est fait dicter le rythme, l’espace, la structure et même l’ennui par une équipe honnête, disciplinée, mais certainement pas une puissance de la LNH.
Et après tout ça, après deux heures et demie d’apathie glaciale, Martin St-Louis a trouvé le moyen de jeter de l’essence sur un feu déjà bien allumé.
Parce que ce qui a fait exploser la colère, ce n’est pas tant le but cadeau de Jacob Fowler, aussi coûteux et malvenu ait-il été.
Ce n’est pas non plus l’absence de Mike Matheson, ni même le fait que le Canadien se soit embourbé dans la trappe orange des Flyers, incapable de générer du trafic, du volume, de l'intensité ou une quelconque urgence offensive.
Les partisans peuvent comprendre ça. Ils l’ont compris cent fois. Non, ce qui a choqué, ce qui a mis les gens en furie, c’est d’entendre l’entraîneur-chef affirmer, le plus sérieusement du monde, que son équipe avait livré un match « mature », qu’elle n’avait « pas concédé grand-chose » et qu’au fond, la différence tenait surtout à un manque de chance.
C’est là que le fossé s’est creusé. Entre la perception de ceux qui étaient sur la glace, dans le vestiaire, et celle de ceux qui étaient dans les gradins ou devant leur télé.
Parce que les partisans, eux, ont vu une équipe qui a terminé la deuxième période avec à peine neuf tirs au but. Ils ont vu une fin de match à six contre cinq où le Canadien n’a pas été capable de cadrer un seul lancer en direction de Dan Vladar. Zéro.
Ils ont vu des tirs bloqués, des passes avortées, des décisions lentes, une attaque figée, incapable d’étirer la boîte défensive des Flyers. Ils ont vu trois erreurs devenir trois buts, pendant que leur équipe peinait à générer la moindre séquence soutenue en zone offensive. Ils ont vu un spectacle sans intensité, sans colère, sans urgence, sans vie.
Alors quand on leur dit, après coup, que c’était un match mature, que le processus était bon, que la malchance explique l’issue, ils décrochent. Ils explosent.
Parce que ce discours-là, il n’est pas seulement déconnecté de la réalité du match, il est perçu comme un manque de respect envers ceux qui investissent temps, argent et émotions pour suivre cette équipe.
Tu ne peux pas demander à des gens de payer le prix fort pour un produit aussi terne et ensuite leur expliquer que tout va bien, que le standard est atteint, que c’est une question de mauvais rebonds.
Pas quand l’ennui est total. Pas quand l’effort offensif est aussi famélique. Pas quand le classement se resserre et que, pendant que le Canadien s’incline en temps réglementaire, les Red Wings, les Maple Leafs et les Bruins vont tous chercher deux points cruciaux.
La colère vient aussi de là. De cette impression que le Canadien avance pendant que les autres accélèrent. De cette impression que les mots ne collent plus aux images. Que le discours de développement, de maturité, de progression sert parfois à maquiller des performances qui, objectivement, ne passent pas le test de l’œil ni celui de l’émotion.
Personne ne demande des miracles. Personne ne réclame 82 victoires. Mais quand tu proposes ce qui ressemble à une leçon de hockey défensif infligée par Philadelphie, dans un silence presque clinique, tu ne peux pas t’étonner que les gens se sentent floués quand on leur dit que c’était correct, que c’était conforme, que c’était encourageant.
Martin St-Louis n’a pas perdu la confiance de tous les partisans en une soirée. Mais il a créé quelque chose de dangereux : un sentiment de déconnexion. Et dans un marché comme Montréal, ce sentiment-là est bien plus corrosif qu’une mauvaise séquence ou qu’une fiche décevante.
Les partisans peuvent endurer la défaite. Ce qu’ils tolèrent beaucoup moins, c’est qu’on leur dise que ce qu’ils ont vu, et payé très cher pour voir, n’était pas aussi plate, aussi vide, aussi frustrant qu’ils l’ont ressenti.
Et mardi soir, au Centre Bell, ce décalage-là a explosé au grand jour.
Et pendant que le coach tentait de rationaliser la défaite, les réseaux sociaux, eux, ont explosé. On peut voir une colère massive, viscérale, portée par des partisans qui disent ne plus être capables du ton professoral de Martin St-Louis, de ce discours de pédagogue qui explique, décortique, relativise, enseigne, mais ne reconnaît jamais pleinement l’échec tel qu’il est vécu.
Plusieurs parlent ouvertement de déconnexion, d’un entraîneur qui semble plus soucieux de protéger son message que de refléter la réalité du produit sur la glace.
Et pour la première fois de manière aussi assumée, le mot « congédiement » circule sans filtre, partagé, liké, répété par des partisans pourtant patients depuis des années, mais qui disent avoir atteint leur point de rupture.
Ils ne veulent plus d’un prof d’école qui leur explique pourquoi le devoir était bon malgré la note d’échec, ils veulent un entraîneur capable de nommer les manques, de provoquer une réaction, de déranger, quitte à froisser.
Ce n’est plus une question de fiche ou de reconstruction : c’est une question de crédibilité.
