Il y a des décisions qui changent une ligue à jamais. Des gestes posés au sommet qui laissent une trace indélébile, bonne ou mauvaise. Gary Bettman, avant de quitter son trône de commissaire, vient d’en poser une. Et le monde du hockey grince des dents.
Car le nouveau CBA, déjà baptisé “l’héritage Bettman”, n’a rien d’un cadeau d’adieu. C’est une bombe à retardement.
Dès 2026-2027, la LNH passera à un calendrier de 84 matchs. Oui, 84. Comme si 82 n’étaient pas déjà un marathon inhumain. Comme si les joueurs ne finissaient pas déjà sur les rotules, lessivés, amochés. Bettman en ajoute deux de plus, comme on glisse des pierres supplémentaires dans un sac déjà trop lourd.
Les partisans? Divisés. Les proprios? Enchantés. Les joueurs? Furieux.
Depuis des années, la NBA réfléchit à couper son calendrier, consciente que la qualité du spectacle s’effrite quand les athlètes sont brûlés vifs. Même la NFL, qui ne joue qu’une fois par semaine, a ajouté un seul match de saison régulière et s’est heurtée à la critique.
Et la LNH, elle, se paie le luxe de monter à 84, comme si les corps pouvaient encaisser indéfiniment.
Connor McDavid va-t-il encore être à 100 % après 75 matchs? Est-ce que les séries vont encore ressembler à une épreuve de force… ou à une guerre d’infirmiers? La Coupe Stanley risque de devenir le trophée du moins éclopé, gagné par ceux qui survivent, pas nécessairement par les meilleurs.
Bettman, lui, s’en lave les mains. Parce qu’un match de plus, c’est des billets de plus, des pubs de plus, des revenus télé de plus. Dans la LNH de Gary Bettman, l'argent a toujours plus de valeur que la santé.
Et ce n’est que la première étape.
Le nouveau CBA ne se contente pas d’allonger le calendrier. Il raccourcit aussi les contrats. Maximum 7 ans pour les prolongations, 6 ans pour les joueurs autonomes. Officiellement, c’est pour “protéger les équipes” et éviter les ententes monstres à la Kovalchuk et Dipietro. Officieusement? C’est une claque aux joueurs, qui perdent du levier. Moins d’années, moins de sécurité.
Pendant ce temps, Bettman interdit aussi les salaires différés. Une autre mesure “d’équité”, dit-on. Mais dans les faits, c’est encore un outil de moins pour les joueurs qui voulaient structurer leurs revenus.
Le contraste est violent : d’un côté, la ligue promet une hausse du fonds de bonus des séries, presque doublé. De l’autre, elle resserre la laisse sur tout ce qui donne du pouvoir aux joueurs. La carotte et le bâton. Du Bettman pur.
Mais la pièce maîtresse de cette croisade, c’est la fin du LTIR. Le fameux trou noir qui permettait aux Panthers, aux Lightning et aux Golden Knights de tricher légalement en séries. Bettman l’a fermé. Enfin. Après des années à laisser passer des alignements à 93 millions de masse salariale.
Trop tard. Bien trop tard.
Car le problème n’est pas seulement que Tampa, Vegas et la Floride ont abusé. C’est que Bettman a laissé faire. Tant que ça faisait vendre, tant que ça amenait des Coupes dans le Sud, le commissaire fermait les yeux.
Maintenant que la grogne est trop forte, il agit. Comme toujours. Bettman réagit, il n’anticipe jamais. Et c’est ce manque de vision qui alimente aujourd’hui la colère.
Parce qu’à 73 ans, Bettman prépare sa sortie. Son dauphin est déjà désigné : Bill Daly, fidèle adjoint depuis 2005. L’homme de l’ombre, toujours prêt à lire les communiqués et à serrer des mains. Quand Bettman cédera son siège, c’est Daly qui s’assoira dessus.
Et pour les partisans qui rêvent de changement? Mauvaise nouvelle. Daly, c’est Bettman en copie carbone. Pas de révolution. Pas de vent frais. Seulement la continuité d’un système où l’argent mène, et où les fans encaissent.
Le monde du hockey voulait une modernisation. Il réclamait un tournoi play-in comme la NBA, une ouverture internationale plus ambitieuse, une équité fiscale pour les équipes canadiennes. Ce qu’il obtient à la place? Deux matchs de plus, des contrats plus courts et un héritier programmé pour garder le cap.
C’est ça, la dernière croisade de Gary Bettman. Pas une vision pour le futur. Un verrouillage du présent.
Et c’est pour ça que la colère monte.
Les joueurs voient leur corps sacrifié. Les fans voient leur spectacle dilué. Les équipes canadiennes voient encore une fois leur désavantage fiscal ignoré. Et les proprios? Ils sabrent le champagne. Comme toujours.
Le vrai héritage de Bettman, ce n’est pas la stabilité du plafond ou l’expansion réussie de Vegas. Ce n’est pas les classiques hivernales ni les Coupes au Sud. Le vrai héritage, c’est un hockey transformé en business pur, où l’équité sportive est secondaire. Une ligue qui pense comme une banque avant de penser comme un sport.
Le monde du hockey est en colère parce qu’il comprend que rien ne va changer. Bettman va partir, mais Daly va rester. Le commissaire détesté cédera sa place à son clone. Et ce dernier CBA, conçu comme un testament, assure que la LNH va continuer sur la même voie.
Un calendrier plus lourd. Des joueurs avec moins de pouvoir. Des règles ajustées trop tard. Et une machine à cash qui tourne à plein régime.
Voilà la dernière croisade de Gary Bettman. Pas une sortie glorieuse. Pas une réforme courageuse. Un cadeau empoisonné.
Et tant que personne n’aura le courage de briser ce cycle, la colère restera.
Parce qu’à la fin, il ne restera plus que des étoiles épuisées, des partisans désabusés…
Et des proprios encore plus riches.