C'est un drame humain. Pas seulement pour TVA Sports.
Pas seulement pour quelques postes techniques qu'on éradique discrètement en plein mois de mai. Non, cette fois, c'est la fin pour TVA tout court.
Et ceux qui continuent de se bercer d'illusions, qui s'imaginent que Pierre Karl Péladeau garde encore quelques cartes dans sa manche, feraient mieux de regarder la vérité en face : il n'y a plus de manche. Il n'y a plus de jeu. Il n'y a plus rien.
Mercredi, Groupe TVA a annoncé l'abolition d'une trentaine de postes dans sa section télévision. Une coupe chirurgicale, dit-on.
Mais c'est faux. Ce n'est pas une chirurgie, c'est une hémorragie qui dure depuis trois ans. Une lente agonie, sans morphine ni dignité.
Après avoir éliminé 650 emplois en 2023, démantelé ses studios historiques du boulevard De Maisonneuve pour déménager dans les pauvre studios de la rue Frontenac, éliminé ses émissions vedettes, compressé ses budgets, viré ses artisans, vendu ses meubles, TVA en est maintenant à scier les dernières fondations... de sa propre identité...
Et Pierre Karl Péladeau le sait. Il ne s'en cache même plus. Dans un communiqué d'une noirceur assumée, le grand patron de Québecor a admis que la pérennité de l'entreprise était compromise.
Il n'y a pas de plan de relance. Il n'y a pas de nouveau modèle d'affaires. Il y a un aveu. Brut. Sévère. Alarmant.
« Il ne faudrait pas s'étonner que TVA Sports cesse ses activités », a-t-il lancé la semaine dernière. Cette semaine, c'est TVA tout entier qui voit ses fondations s'effondrer.
Une perte nette de 17,9 millions en un an. 76,1 millions de pertes nettes en trois ans. Des revenus publicitaires en chute libre. Des revenus d'abonnement qui s'effondrent. Et surtout : une perte de sens. Une perte d'identité. Une perte d'espoir.
La vérité, c'est que TVA ne se relèvera pas. Pas avec les moyens actuels. Pas avec le contexte actuel. Pas avec la même direction, les mêmes stratégies passé date, les mêmes accusations recyclées contre Radio-Canada, « une concurrence directe et déloyale ») et Bell « qui refuse de reconnaître la juste valeur marchande des chaînes spécialisées de Groupe TVA, particulièrement de TVA Sports ».
En plus, Pierre Karl Péladeau cite une diminution de 5 millions de l’enveloppe allouée par le Fonds des médias du Canada, qui finance la production télévisuelle au Québec. et Bell.
« L’ensemble des problématiques qui paralysent l’industrie ont fait l’objet de nombreuses représentations, notamment de la part de Groupe TVA depuis plus d’une décennie, mais aucune réforme d’envergure n’a été adoptée afin de permettre à notre télévision de faire face à ces grands bouleversements », affirme le "big boss".
On les a entendues, les lamentations de Pierre Karl Péladeau contre le CRTC, contre les plateformes étrangères, contre le Fonds des médias. On les connaît par cœur. Mais à quoi bon blâmer les autres quand on a brisé son propre empire médiatique?
TVA n'a pas su s'adapter. Point final. Pendant que le monde basculait vers le streaming, TVA misait encore sur des téléromans tournés à la chaîne et sur des concepts recyclés à l'infini.
Pendant que les jeunes fuyaient le câble, TVA augmentait ses tarifs de publicité. Pendant que le web explosait, TVA peinait à créer une vraie présence numérique digne de ce nom.
Et aujourd'hui, on pleure? Aujourd'hui, on implore les gouvernements d'élargir les crédits d'impôt, d'intervenir, de nous sauver de notre propre aveuglement? Trop tard. Le train est parti. Et TVA, malgré son nom, est resté sur le quai.
Ce qui est tragique, c'est que TVA a été le coeur de la culture populaire québécoise pendant des décennies.
C'était la vitrine de nos rêves, de nos vedettes, de notre accent. Et voilà que cette maison est en ruines.
Oui, les revenus chutent. Mais pourquoi? Parce que TVA n'est plus un réflexe. Parce que TVA ne fait plus rêver. Parce que TVA a troqué son ambition contre une obsession maladive de la rentabilité. Parce qu'on a transformé une grande maison de télévision en salle de comptabilité de fin de trimestre.
Les derniers chiffres font froid dans le dos. Une trentaine d'employés de plus sacrifiés, alors que les départs se comptent déjà par centaines.
Des émissions qu'on déprogramme à la vitesse de la lumière. Des plateaux vidéos. Des bureaux fermés. Et, bientôt, plus rien. Une coquille vide. Une antenne qui continue d'émettre, mais dont plus personne ne regarde la lumière.
C'est la fin pour TVA Sports, on le sait. Le contrat de diffusion avec la LNH expire en 2026. Et ni Rogers, ni la LNH, ni les autres diffuseurs n'ont la moindre intention de partager les miettes.
Trop cher, trop risqué, trop inutile. Quand même Sportsnet n'arrive pas à rentabiliser son investissement, comment TVA pourrait-elle le faire avec moins de moyens, moins de crédibilité, moins d'influence?
Mais ce que Pierre Karl Péladeau n'avoue pas, c'est que TVA tout court est condamnée. Et il le sait. Il le sent. Il voit les chiffres. Il voit les départs. Il voit la fin. Et il prépare le terrain. Lentement. Stratégiquement. Politiquement. Mais la vérité est là : TVA ne s'en relèvera pas.
Peut-être qu'il reste deux ans. Peut-être qu'il reste trois. Mais ce ne sera plus jamais ce que c'était. Et quand l'antenne s'éteindra pour de bon, il ne restera que le silence. Un silence pesant. Un silence triste. Un silence honteux.
Honteux parce qu'on avait tout. On avait l'expertise. On avait les moyens. On avait le public. Et on a tout gaspillé. On a joué petit. On a pensé petit. On a géré petit. Et on meurt petit.
Il reste des gens extraordinaires à TVA. Des artisans, des journalistes, des réalisateurs, des techniciens. Ils se battent avec acharnement pour sauver une édifice dont les fondations craquent de partout. Mais ils ne peuvent plus rien faire. Ils sont pris dans un navire qui prend l'eau, et leur capitaine récite des proverbes latins.
"Don’t throw good money after bad" a affirmé Péladeau. Mais que dire de tous ces bons journalistes qu'on jette après les pertes? De tous ces bons artisans qu'on remplace par des algorithmes, par du vide, par des zéros et des uns?
TVA ne survivra pas. Et il faut le dire. Il faut l'écrire. Il faut le pleurer. Parce que c'est une part de nous qui s'éteint. Une part de notre identité, de notre culture, de notre histoire. Une part de ce qui nous rendait fiers d'être Québécois.
La fin approche. Elle a déjà commencé. Et ce qui nous attend, ce n'est pas un renouveau. C'est un grand vide. Un vide qu'aucun communiqué, aucune réforme, aucune subvention ne pourra combler.
Il fallait prévoir le coup. Il fallait innover. Il fallait oser. On a préféré gérer la dégringolade. Maintenant, on en paie le prix.
C'est la fin. Et personne ne pourra dire qu'on ne l'avait pas vue venir.