Il y a des histoires de séries éliminatoires qui font rêver. Et il y en a d’autres, bien plus silencieuses, bien plus cruelles, qui brisent le cœur.
Aujourd’hui, pendant que tout le Québec célèbre la résurrection d’Arber Xhekaj, pendant que l’euphorie emporte tout sur son passage au Centre Bell, il y a un jeune homme oublié, relégué aux estrades, qui traverse un véritable cauchemar intérieur : Jadon Struble.
Il faut avoir un minimum d’empathie pour comprendre ce que vit Struble en ce moment.
Le jeune défenseur américain, discret, travailleur, solide pendant une bonne partie de la saison, s’est retrouvé du mauvais côté de l’histoire. Et non, il n’a pas mérité une telle disgrâce.
Contre Washington, dans les deux premiers matchs, Jadon Struble s’est fait malmener. Il s’est fait brasser physiquement. Il a eu l’air vulnérable. Comme tout le reste de la brigade défensive du Canadien, d’ailleurs.
Il a été ciblé, il a encaissé des coups, il a pris des mises en échec dévastatrices. Mais il n’a jamais baissé les bras. Il n’a jamais triché.
Est-ce que Struble a mal joué? Oui, par moments. Mais est-ce que c’était à cause d’un manque d’effort? Non. C’était une question de contexte. Une question de situation. Une question d’adversité brutale contre une équipe qui, sans pitié, exploitait la moindre faiblesse.
Dans une équipe parfaitement juste, dans une organisation capable de tout peser à froid, peut-être qu’on aurait protégé Struble, peut-être qu’on lui aurait donné un mot d’encouragement. Peut-être qu’on aurait reconnu qu’il avait payé pour les erreurs collectives.
Mais la réalité du sport professionnel est bien plus cruelle.
Quand la pression monte, quand la tempête gronde, il faut un coupable. Et dans ce cas-ci, Jadon Struble est devenu le bouc émissaire parfait.
Son crime? Ne pas être Arber Xhekaj.
Car pendant que Struble tentait de survivre à l’assaut des Capitals, tout le Québec criait pour voir le “Shérif” revenir dans l’alignement.
Chaque coup encaissé par Cole Caufield, chaque plaquage contre Mike Matheson, chaque bousculade contre Lane Hutson était interprété comme un affront direct à l’absence d’Xhekaj.
La pression est montée. L’indignation a gonflé. Et au final, la décision a été imposée : Xhekaj rentrait. Struble sortait.
Aujourd'hui, soyons honnêtes : depuis qu’Arber Xhekaj est revenu, le visage du Canadien a changé.
Le Centre Bell a explosé. Tom Wilson a été humilié. Les Capitals ont paniqué. Le Canadien a remporté un match historique.
Dans cet ouragan d’émotions, qui pense encore à Jadon Struble?
Personne.
Et pourtant, ce n’est pas juste. Parce que, objectivement, Struble ne mérite pas de se retrouver dans les gradins. La réalité est sans pitié : David Savard aurait dû sortir de l’alignement avant lui.
Savard, avec tout le respect qu’on lui doit pour sa carrière exemplaire, est dépassé. Il est lent. Il est vulnérable. Il est exposé à chaque match. Il ne peut plus suivre l’intensité des séries éliminatoires modernes.
Et même si on parle ici d’un droitier, même si on veut respecter les “paires naturelles” gauche-droite, à un moment donné, il faut simplement aligner les meilleurs joueurs disponibles. Peu importe leur main dominante.
Mais David Savard ne sera pas sorti. Par respect. Parce qu’il approche de la fin. Parce qu’il a payé le prix pendant des années. Parce que les émotions prennent le dessus.
Et c’est Jadon Struble qui paie. C’est cruel. C’est injuste. Mais c’est la réalité du hockey professionnel.
Arber Xhekaj a offert exactement ce que l’équipe attendait de lui : de la robustesse, de l’intimidation, du cœur. Il a changé la série, littéralement. Il a transformé l’atmosphère au Centre Bell. Il a permis aux petits joueurs du Canadien de relever la tête, de jouer plus grands, de jouer sans peur.
Et dans ce contexte, Struble est condamné à disparaître dans l’ombre. Personne ne peut prétendre que Martin St-Louis va modifier de nouveau son alignement. Personne ne croit que Jadon Struble va retrouver sa place, sauf peut-être en cas de blessure.
Le Shérif est revenu, et avec lui, une vague d’espoir que personne n’osera arrêter.
Pendant ce temps, dans les gradins, il y a un jeune défenseur qui regarde ses rêves s’effilocher un peu plus chaque soir. Un jeune défenseur qui avait tout donné. Un jeune défenseur qui ne méritait pas cette exclusion brutale.
Et ça, ça doit être dit.
Non pas pour critiquer Arber Xhekaj. Non pas pour minimiser ce qu’il apporte. Mais pour rappeler qu’il y a des victimes collatérales dans chaque grande épopée sportive.
Aujourd’hui, cette victime s’appelle Jadon Struble.
Et c’est d’autant plus cruel que Struble était en progression.
Il avait connu une belle saison. Il avait su profiter des blessures, des ouvertures, pour s’imposer comme une option sérieuse pour la sixième ou septième place en défense.
Mais tout ce travail, toute cette montée, tout cet espoir vient de s’effondrer en quelques jours. Parce que la foule voulait du sang. Parce que les médias hurlaient pour un changement. Parce que le vestiaire avait besoin de sentir un poids lourd à ses côtés.
Struble paie aujourd’hui pour des besoins qui n’ont rien à voir avec son jeu personnel.
Et c’est tragique.
Mais c’est aussi une leçon brutale que tous les jeunes joueurs de la LNH doivent apprendre :
La performance ne garantit rien. La loyauté n’existe que jusqu’à ce qu’elle devienne un handicap.
Pour Jadon Struble, il faudra maintenant avaler l’amertume. Continuer de s’entraîner. Se préparer. Attendre une autre chance qui viendra peut-être… ou pas.
Parce qu’au rythme où vont les choses, tant qu’Arber Xhekaj sera en uniforme et que la série continuera, Struble restera prisonnier des estrades.
Et peu importe son mérite. Peu importe ses sacrifices. Le hockey, parfois, ne récompense pas les cœurs braves. Il récompense ceux qui tombent au bon moment.
Et pour Struble, ce moment n’est pas venu. Ouch.