Il y a des moments où un réseau de télévision révèle, en une seule minute d’antenne, toute l’étendue de son désespoir financier.
Hier soir, TVA Sports a livré un de ces instants catastrophiques, un moment où le malaise était si évident qu’on avait presque envie de détourner les yeux.
Tout commence par une publicité archi-diffusée de Tim Hortons mettant en vedette Nick Suzuki. Une pub sympathique, conçue pour les réseaux sociaux, où Suzuki est sur le bord de dire "ça sent la Coupe", mais dit plutôt...« ça sent le caramel ».
Rien de très grave ici. Sauf que TVA Sports a décidé de scotcher cette pub… en temps réel, dans son contenu éditorial, comme une info-pub bricolée qui aurait pu sortir tout droit des années 1980.
TVA Sports coupe la pub avant le punch final. Retour en studio. Élizabeth Rancourt est forcée d’enchaîner avec un enthousiasme forcé :
"Oh, ça sent les fêtes en studio avec le lancement du nouveau menu des fêtes de Tim Hortons en collaboration avec Biscoff. Regardez ce qu'on nous a apporté, des lattés Tim, cappuccino glacé avec saveur Biscoff, des beignes, des croissants. J'en ai deux ici, là, qui se retiennent."
Et là, c’est le naufrage.
Maxim Lapierre et Antoine Roussel, placés juste à côté, figent. Ils se regardent, incrédules. Le moment est tellement honteux est tellement lourd qu’on entend une mouche voler :
« On est vraiment en train de faire traiter de beignes en live ? »
Deux animateurs professionnels, réduits à faire semblant de rire d’un placement de produit imposé par la direction.
Et Rancourt, crampée de malaise:
"Je ne voulais même pas faire le lien, mais je l'ai fait naturellement.
Voici l'extrait vidéo en question:
Ce n’est plus du journalisme sportif.
Ce n’est même plus de la télévision.
C’est de la survie en direct.
Ce qui rend cet épisode encore plus gênant, c’est qu’il ne s’agit pas d’un incident isolé. TVA Sports a déjà sombré dans l’auto-humiliation l’an dernier lorsque Élizabeth Rancourt avait dû vanter les pizzas Salvatore en pleine émission.
Sur le plateau, Michel Therrien affichait un sourire crispé, Éric Fichaud regardait ailleurs, et le public s’étouffait de malaise.
Le journaliste Maxime Truman avait tourné la scène en ridicule, imaginant Therrien déguisé en pizza humaine lors du prochain segment publicitaire. On croyait avoir atteint le fond.
On se trompait.
Le fond avait encore un sous-sol.
Aujourd’hui, TVA Sports ne fait plus seulement du placement de produits maladroit :
Elle intègre directement ses commanditaires dans la structure même de ses transitions à l’antenne.
On passe d’une pub à un animateur qui reprend le slogan comme si c’était du contenu sportif. Les journalistes deviennent des figurants dans un script publicitaire.
Il n’existe aucun réseau sportif professionnel en Amérique du Nord qui se permet un tel mélange des genres.
RDS ne le ferait jamais. TSN ne le ferait jamais. Sportsnet ne le ferait jamais. ESPN ne le ferait jamais.
Pourquoi ?
Parce qu’un réseau sportif crédible protège sa salle de nouvelles.
Parce que la frontière entre éditorial et commercial n’est pas négociable.
Parce qu’un animateur ne devrait pas être forcé, en direct, de faire la promotion d’un latté au caramel pour garder son emploi.
Les employés paient le prix d’une crise financière que TVA Sports ne veut plus cacher. La pauvre Élizabeth Rancourt, embarrassée comme jamais, n’est pas coupable.
Lapierre et Roussel ne méritent pas d'être inclus dans cette honte publicitaire. Ils sont simplement les visages d’un réseau tellement affamé financièrement qu’il cannibalise sa propre crédibilité.
Car derrière ce malaise se trouve la réalité brutale :
TVA Sports est au bord du gouffre. Abonnés passés de 1,8 million à sous le million. Pertes cumulées dépassant 300 millions. Groupe TVA obligé d’emprunter 91 millions pour survivre. Marge de crédit réduite de 150 millions à 20 millions. Déficit annuel expliquant presque 100 % des pertes du groupe.
Pendant ce temps, RDS. même affaibli, a déjà 45 matchs assurés du CH dans la nouvelle entente des matchs régionaux du CH à partir de 2026 et Crave devrait obtenir 15 matchs.
RDS-Bell tient debout grâce à TSN, qui a cumulé plus de 433 millions de profits dans les dernières années.
Sportsnet aussi demeure rentable, malgré la chute d’abonnés.
TVA Sports, elle, n’a personne pour la sauver.
Alors elle fait ce que font les réseaux désespérés : elle vend tout ce qu’elle peut vendre. Même ses animateurs. Même son identité.
Pendant que TVA Sports tente de montrer à Rogers et la LNH qu’elle est un diffuseur sérieux pour renouveler les droits nationaux francophones en 2026, alors qu'elle se bat avec Amazon Prime pour les 24 matchs restants, la chaîne impose à ses employés du placement de produits qui ferait rougir un télé-achat de fin de soirée.
Comment convaincre Gary Bettman qu’on est un réseau de calibre national quand on force Élizabeth Rancourt à faire la promo de beignes entre deux analyses de hockey ?
C’est incohérent. C’est indéfendable.
Et c’est surtout la preuve que TVA Sports n’a plus les moyens de prétendre être un réseau sportif complet.
On ne mélange pas le hockey et les timbits dans le même segment.
Le malaise de Lapierre et Roussel n’était pas un simple moment drôle.
C’était le cri silencieux de deux professionnels qui sentent que la ligne rouge a été franchie.
Quand les analystes se sentent ridiculisés par leurs propres patrons, quelque chose se brise.
Ce quelque chose, c’est la dignité professionnelle.
Et c’est là que l’expert en médias doit dire la vérité crue : TVA Sports ne pourra plus survivre seule. Le réseau doit être vendu, rapidement. La seule option crédible : Rogers.
Sportsnet peut absorber TVA Sports.
Sportsnet peut créer une antenne francophone.
Sportsnet possède déjà les droits nationaux pour 11 milliards.
Sportsnet a la structure, les ressources, les plateformes numériques.
Si Québecor veut éviter un bain de sang médiatique digne de TQS en 2008, elle devra céder la chaîne. Et arrêter de traiter ses animateurs... comme des beignes...
