Entre rires et coups de poing, Florian Xhekaj s’est taillé une place dans l’imaginaire du Canadien.
Ce mardi au Centre Vidéotron, dans ce match qui a viré en foire contre les Sénateurs d’Ottawa, tout le monde parlait de la brutalité, des expulsions, des coups vicieux.
Mais quand il a revu son combat le lendemain, la réaction du cadet des Xhekaj en a surpris plus d’un :
« On a bien ri! » a-t-il confié, presque amusé, comme si les coups de poing qu’il venait de distribuer n’étaient rien d’autre qu’un moment comique à partager entre frères.
Ce rire change tout. Parce que derrière ce sourire, il y a une vérité troublante : Florian Xhekaj n’est pas seulement un bagarreur.
Il est un joueur qui transforme le chaos en spectacle.
Un gars qui, même dans un camp d’entraînement où chaque présence compte, réussit à faire oublier les chiffres et les statistiques pour imposer son personnage.
Et ce personnage-là, c’est celui du Joker.
Là où Arber, son frère aîné, est le Shérif respecté qui fait régner l’ordre par la peur, Florian devient le bouffon dangereux qui rit au cœur du désordre et qui se nourrit de cette énergie.
Deux faces d’une même pièce, deux façons de changer la dynamique d’un match.
Quand il raconte qu’il ne s’est même pas rendu compte qu’il se retrouvait sur la glace en même temps qu’Arber au moment où le chaos a éclaté, ça donne le ton.
« Tu ne t’attardes pas à ça, sur la glace. Tu es occupé à défendre tes coéquipiers. Mais j’ai trouvé ça plutôt drôle! » a-t-il expliqué vendredi.
Voilà une phrase qui en dit plus long que mille rapports de dépisteurs. Pour Florian, la bagarre n’est pas une tâche lourde, ni un fardeau.
C’est une partie du jeu, une scène dans laquelle il entre avec un détachement qui glace le sang.
Et pourtant, il le sait, il ne peut pas se réduire à ça.
« J’ai quand même montré ce que je pouvais faire. Je pense que je peux jouer ici. C’est du très bon hockey, bien sûr, mais c’est ce que je veux faire. Je veux jouer dans la LNH », a-t-il insisté.
Ses mots trahissent une lucidité que son sourire masque : il ne veut pas être prisonnier de son image de bagarreur. Mais il sait aussi que ce rôle-là, pour l’instant, est son passeport.
Le contraste avec Arber est fascinant. L’aîné Xhekaj impose par la terreur brute, par sa réputation de Shérif qui punit les coups salauds. Florian, lui, séduit par son imprévisibilité.
Quand Arber entre dans une mêlée, tout le monde recule parce qu’ils savent ce qui s’en vient. Quand Florian s’avance, il rit, et ce rire déstabilise.
C’est un langage différent, mais l’effet est le même : l’adversaire perd ses repères.
Et le vestiaire du Canadien ne peut pas ignorer ce phénomène.
Martin St-Louis lui-même reste prudent, incapable de dire encore quel message il donnera aux joueurs qui seront retranchés :
« Je ne sais pas encore. Je n’en suis pas là. Je ne sais pas ce sera qui, et le message sera différent selon la personne. »
Cette phrase anodine cache une réalité : Florian complique les calculs.
Parce qu’à 33 ans, Vincent Arseneau peut venir jouer le rôle de l’assurance-vie du club pour un soir.
Mais Florian, à 20 ans, représente autre chose.
Une énergie brute, incontrôlable, qui électrise ses coéquipiers et les partisans. Mardi, il a passé plus de temps au cachot qu’à prouver son jeu offensif.
Il en était presque amer. Mais ce qu’il a perdu en minutes de glace, il l’a gagné en aura. Il est sorti de cet épisode comme un symbole.
À l’entraînement vendredi, il évoluait avec Samuel Blais et Owen Beck.
Un trio de joueurs qui se battent pour leur survie. Eux aussi rient, eux aussi savent que chaque présence est un jugement.
« Ce sont des joueurs de talent, alors je pense que nous ferions un bon trio. Et bien sûr que l’on se bat pour une place, mais on tenterait tous de s’aider du mieux qu’on le pourrait », a expliqué Florian.
Derrière la rivalité interne, il y a cette solidarité de joueurs qui savent que le couperet tombera bientôt.
Ce rire partagé après la bagarre, ce sourire en coin, ce détachement, tout ça expose une faille au Canadien : il dépend encore de la peur pour protéger ses jeunes vedettes.
Quand les frères Xhekaj étaient sur la glace, Ottawa jouait nerveux, sur la pointe des patins.
À partir du moment où ils ont été expulsés, les coups salauds se sont multipliés.
Demidov a été visé, Lane Hutson a dû se défendre seul, Kirby Dach a été attaqué par Sebrango.
Voilà la preuve que la Ligue nationale, en cherchant à réduire les bagarres, laisse la porte ouverte à des gestes vicieux.
Et Florian, par son rire, rappelle cruellement cette vérité : sans le shérif ou le Joker, les jeunes du CH sont exposés.
Dans ce contexte, Florian devient plus qu’un simple aspirant à un poste.
Il devient une pièce stratégique. Le Joker d’une équipe qui, pour survivre dans cette division, a besoin de toutes ses cartes.
Sera-t-il assez constant pour gagner sa place sur un quatrième trio? Peut-être.
Mais même s’il est retourné à Laval, ce personnage restera dans l’air.
Parce qu’il a montré autre chose que des mises en échec et des tirs bloqués : il a montré qu’il pouvait faire rire dans le chaos, et qu’il pouvait transformer une bagarre en moment marquant.
Les partisans, eux, l’ont adopté dans cette dimension-là. Ce n’est pas seulement un Xhekaj de plus.
C’est un autre type de Xhekaj, une autre déclinaison de cette famille qui, match après match, réinvente la façon dont on impose le respect.
Alors, quelle sera la suite?
Florian va-t-il se transformer en joueur plus complet, capable de justifier son poste par autre chose que ses poings?
Ou restera-t-il ce Joker imprévisible, ce sourire carnassier qui plane au-dessus de chaque mêlée?
Une chose est sûre : tant qu’il rit, Ottawa va se méfier. Tant qu’il rit, Martin St-Louis va hésiter à le couper. Et tant qu’il rit, les caméras vont se tourner vers lui.
Parce qu’au fond, Florian Xhekaj a déjà gagné quelque chose de précieux : l’attention.
Et dans un camp où tant de joueurs disparaissent dans l’anonymat des coupures, c’est peut-être la plus grande victoire.
AMEN