Fermeture de TVA Sports: Pierre-Karl Péladeau sort de son silence

Fermeture de TVA Sports: Pierre-Karl Péladeau sort de son silence

Par David Garel le 2025-08-26

Pierre Karl Péladeau vient de le répéter : la télévision privée québécoise vit un « moment charnière ».

Le patron de Québecor appelle le gouvernement du Québec, le CRTC et même Ottawa à intervenir rapidement avant qu’il ne soit « trop tard ».

Trop tard pour qui? Pour la culture québécoise ou pour l’empire Péladeau? C’est toute la question.

Car pendant que le PDG plaide qu’il faut sauver nos écrans de l’invasion américaine (Netflix, Prime Video, Disney+, Apple TV, YouTube), il oublie volontairement de parler de son propre rôle dans l’effondrement de la télé québécoise.

Il exige des allègements fiscaux, des réformes du Fonds des médias, des crédits d’impôts pour ses journalistes télé… mais refuse de reconnaître l’éléphant dans la pièce : Québecor est en crise parce qu’il a misé toutes ses billes sur TVA Sports, une chaîne qui n’a jamais été rentable et qui va bientôt perdre son seul produit d’appel : le Canadien de Montréal et la LNH.

Il faut rappeler les chiffres. Depuis 2011, TVA Sports a englouti entre 230 et 300 millions de dollars en pertes. Le deal avec Rogers en 2014 avait coûté à Québecor la somme colossale de 720 millions $ pour une sous-licence des droits de diffusion francophone de la LNH. Péladeau rêvait d’un coup de maître : battre Bell et RDS sur leur propre terrain.

Le Résultat est un désastre. Pendant que RDS consolidait son lien organique avec le Canadien de Montréal, TVA Sports se noyait dans des coûts d’exploitation trop élevés, avec une LNH incapable de générer des cotes d’écoute suffisantes pour rentabiliser l’investissement.

La station a survécu artificiellement pendant dix ans, au prix de mises à pied massives, de compressions douloureuses et d’un climat de travail toxique.

Et aujourd’hui, en 2025, tout le monde sait la vérité : TVA Sports ne sera pas du futur contrat 2026-2038. Rogers, qui a renouvelé son entente nationale de 11 milliards, confiera la sous-licence francophone à Bell (RDS) et à ses plateformes numériques (Crave), possiblement en partage avec Amazon ou Apple. Péladeau le sait, ses employés le savent, ses actionnaires le savent. TVA Sports n’a plus d’avenir.

Alors pourquoi ce discours larmoyant sur la « télé privée en péril »? Parce que PKP tente un coup de poker.

Soyons clairs : Québecor n’est pas une PME artisanale qu’il faudrait sauver au nom de la culture québécoise.

C’est un empire qui génère chaque trimestre plus d’un milliard de revenus. Son fleuron, Vidéotron, continue d’imprimer de l’argent avec le sans-fil et l’internet. Freedom Mobile, sa dernière acquisition, est devenue un levier stratégique pour concurrencer Rogers, Bell et Telus dans l’Ouest canadien.

Et pendant ce temps, les salaires des dirigeants explosent :

En 2023, les cinq principaux dirigeants de Québecor se sont partagé 13,8 millions $, une augmentation de 115 %par rapport à l’année précédente.

Pierre Karl Péladeau a touché 4,9 millions $, une hausse de 57 %.

Dans son dernier rapport, on apprend que la rémunération globale de Pierre Karl Péladeau pour l’année 2024 s’élève à 20,44 millions de dollars canadiens.

Cette somme englobe non seulement son salaire de base, mais aussi une vaste majorité de compensations variables, notamment des actions, des options et des bonifications, qui représentent environ 96 % du total.

Cet écart, immense et remarquable, intervient alors même qu’il appelle à un soutien public pour sauver la télévision privée québécoise, TVA Sports et l’ensemble de ses productions en crise.

Son frère Érik et d’autres cadres de haut niveau ont vu leur rémunération grimper en flèche grâce à un programme d’options d’achat.

Tout cela pendant que TVA licenciait des centaines d’employés, réduisait ses productions originales et demandait aux journalistes restants de faire « plus avec moins ».

Et c’est le même Péladeau qui, aujourd’hui, vient réclamer que le gouvernement élargisse les crédits d’impôt pour ses journalistes, abolisse les avantages fiscaux aux GAFAM, réforme le Fonds des médias pour exclure Radio-Canada, et injecte de l’argent public dans ses opérations.

C’est là que le paradoxe est insoutenable. D’un côté, PKP se présente comme le défenseur ultime de la culture québécoise, un chevalier qui veut sauver la télé privée contre l’invasion américaine. De l’autre, il continue de s’enrichir personnellement grâce à son empire.

En 2024, alors que les pertes de TVA s’accumulaient et que la station supprimait près de 700 postes, les Péladeau et leurs cadres se versaient des hausses de rémunération dignes de la Silicon Valley. L’écart entre les travailleurs licenciés et les dirigeants n’a jamais été aussi choquant.

Comment justifier de demander des millions au gouvernement quand on vient d’empocher soi-même près de 5 millions $ de salaire et primes?

Comment réclamer l’aide des contribuables quand on contrôle encore 76 % des droits de vote de Québecor? Comment pleurer sur le sort des employés licenciés quand on refuse d’admettre l’échec stratégique de TVA Sports?

Tout converge vers un même point : la perte des droits de la LNH.

TVA Sports a bâti son identité autour du hockey, et plus précisément du Canadien de Montréal. Sans hockey, il n’y a plus de TVA Sports. Et à partir de 2026, il n’y aura plus de hockey. Rogers a choisi : l’avenir sera Crave, Amazon, Apple, et dans une moindre mesure RDS.

Pour Québecor, c’est une humiliation. Et pour PKP, c’est un désaveu personnel. Pendant des années, il a répété qu’il allait battre Bell sur son propre terrain, qu’il allait imposer TVA Sports comme un joueur incontournable. Quinze ans plus tard, le résultat est sans appel : un gouffre financier et un réseau au bord de la fermeture.

Et pourtant, au lieu d’assumer l’échec, Péladeau essaie de transformer la défaite en bataille idéologique. Il dénonce l’injustice des GAFAM, accuse le CRTC de laxisme, pointe du doigt Radio-Canada et demande l’aide de l’État.

Mais personne n’est naïf. Ce n’est pas la culture québécoise qu’il veut sauver. C’est son empire.

Pierre Karl Péladeau aime se présenter comme un patriote, un homme qui défend la culture québécoise contre les géants étrangers. Mais ses chiffres, ses décisions et ses salaires racontent une autre histoire.

Il a misé gros sur TVA Sports, il a perdu, et maintenant il veut que l’État paie la facture. Pendant que ses dirigeants s’octroient des millions et que son empire continue d’engranger des revenus colossaux dans le sans-fil, il demande aux contribuables de sauver une chaîne déficitaire qui va bientôt disparaître.

Le paradoxe est total : un milliardaire qui demande l’aumône, un nationaliste qui se dit victime des géants étrangers alors qu’il a lui-même contribué à fragiliser la télé québécoise, un patron qui parle de solidarité pendant qu’il s’enrichit comme jamais.

TVA Sports va mourir. La LNH appartiendra à Crave, Amazon et Apple. Et Péladeau, malgré tous ses discours, ne pourra rien y changer.

Mais il aura réussi une chose : transformer son échec en « combat culturel », et demander que les Québécois paient pour ses erreurs.