Il y a des fantômes qui hantent le Centre Bell depuis des décennies.
Des échos d’erreurs de gestion, des signatures ridicules, des souvenirs qu’on voudrait effacer à jamais.
Et dans cette galerie des horreurs, il y a un nom qui revient toujours, comme une malédiction qu’on n’arrive pas à conjurer : Scott Gomez.
Et voilà que le timing est parfait pour raviver la plaie.
Les États-Unis viennent d’annoncer que Gomez sera intronisé au U.S. Hockey Hall of Fame en 2025, aux côtés de Joe Pavelski et Zach Parise.
Une reconnaissance historique pour le premier joueur latino et premier natif de l’Alaska à avoir gagné le trophée Calder, et qui a soulevé la Coupe Stanley dès sa saison recrue.
Aux yeux des Américains, Gomez est un pionnier, une fierté, un modèle.
Mais à Montréal, son nom provoque encore des sueurs froides.
Parce que Gomez, dans la mémoire collective du CH, ce n’est pas la Coupe Stanley de l’an 2000 avec les Devils.
Ce n’est pas ses 70 points comme recrue.
Ce n’est pas ses anecdotes croustillantes de vestiaire.
Non.
À Montréal, Gomez, c’est l’incarnation du contrat qui te colle dans la gorge, du joueur qui ne marque pas un but pendant une année entière, du visage souriant d’un désastre financier de 7.3 millions par saison.
Mais revenons un instant à ses débuts, parce que l’histoire vaut quand même la peine d’être racontée.
Scott Gomez débarque dans la LNH comme une comète.
Un kid de 19 ans qui non seulement tient son bout avec les Devils, mais qui domine assez pour rafler le Calder et soulever la Coupe Stanley dans la même foutue année.
On parle d’un scénario Disney : tu joues ton premier match dans la grande ligue, et neuf mois plus tard tu tiens la Coupe au-dessus de ta tête. Ça ne s’invente pas.
Et le vestiaire des Devils, à l’époque, ce n’était pas n’importe quoi.
C’était Brodeur, Stevens, Niedermayer, Elias,… un club de vétérans qui avait des bagues qui valaient plus que la paie de la moitié de la ligue.
Imaginez débarquer là-dedans, avec ton sourire de gamin, et survivre.
Gomez, lui, il ne faisait pas que survivre : il faisait des passes, il contrôlait le jeu de puissance, et il tenait tête aux meilleurs.
C’est d’ailleurs de cette époque qu’il a tiré ses meilleures anecdotes.
Dans un passage légendaire au podcast Spittin’ Chiclets, Gomez avait raconté ses histoires délirantes avec Claude Lemieux.
Des histoires de coups bas, de trucs de vestiaire, de tests de caractère qui n’existent plus aujourd’hui.
C’était la vieille école.
Lemieux testait les jeunes, leur faisait la vie dure, et Gomez, avec son culot naturel, trouvait toujours le moyen de lui répondre.
Des segments devenus cultes, où on voyait toute la saveur du hockey cru des années 2000.
Et c’est ce genre de témoignage qui explique pourquoi, aux États-Unis, on l’honore aujourd’hui.
Sauf qu’à Montréal, Gomez n’est pas une légende.
Il est un traumatisme.
Le 30 juin 2007, il signe avec les Rangers un contrat de sept ans à 51,5 millions.
À New York, on l’appelle “Gomer”, et même là, le deal commence vite à sentir la mauvaise idée.
Puis, le 30 juin 2009, le Canadien ... dans un élan de folie qui nous hante encore ... l’acquiert dans un échange qui fera date : Gomez débarque à Montréal, et en retour, les Rangers mettent la main sur Ryan McDonagh.
Oui, Ryan McDonagh.
Un futur pilier défensif qui va gagner deux Coupes à Tampa, pendant que Gomez… ne marque pas. Littéralement.
La légende du désastre n’est pas née d’un jour fulgurant, mais d’un silence pesant.
Le dernier but de Scott Gomez pour le CH remonte au 5 février 2011 ... un wake-up call signifiant “tu es payé pour marquer”, sauf qu’après ça… plus rien.
Pas un but pendant 60 matchs de saison régulière duquel s’ajoute un balado de 7 matchs en séries, puis encore 24 matchs en 2011‑12, le tout sans marquer le moindre filet.
Correction faite : sa disette a duré 60 matchs, pas juste une année civile.
Ironie ultime, c’est le 9 février 2012 qu’il a finalement brisé son propre sort maudit par un one-timer salvateur contre les Islanders ... un but célébré comme une libération, un retour à la vie.
C’est ce but-là ... pas celui du 5 février 2011 ... qu’il faut marquer dans les faits.
Et c’est ça qui rend l’annonce d’aujourd’hui si ironique.
Les Américains le célèbrent, les Canadiens le maudissent. Deux réalités parallèles qui racontent tout le paradoxe Scott Gomez.
À Montréal, on a souvent réduit son passage à une farce.
Mais la vérité, c’est que Gomez n’était pas un joueur inutile.
Il voyait la glace, il savait passer la rondelle, et ses coéquipiers parlaient toujours de son leadership positif. Mais quand tu gagnes 7,3 millions et que tu ne marques pas, ton sourire et tes passes, ça ne suffisent pas.
Tu deviens une cible, un boulet, un nom qu’on crache plus qu’on prononce.
Le voir aujourd’hui intronisé au U.S. Hockey Hall of Fame nous oblige à affronter nos contradictions.
Oui, Gomez a été un désastre à Montréal.
Oui, l’échange de McDonagh reste une cicatrice qui ne se refermera jamais.
Mais l’homme, le joueur, l’histoire complète… c’est aussi un pionnier du hockey américain, un champion, un gars qui a côtoyé les plus grands et qui a su marquer son époque.
Et si l’histoire se répète toujours, peut-être que les partisans du Canadien devraient se méfier.
Parce qu’au fond, combien de “fantômes Gomez” traînent encore dans l’effectif actuel?
Des joueurs qui coûtent cher, qu’on ballotte d’une ligne à l’autre, qu’on justifie par leur “attitude” ou leur “leadership”, mais qui ne produisent pas à la hauteur de leur contrat.
On n’a qu’à regarder Josh Anderson pour sentir les échos. Moins dramatique, certes, mais le parallèle fait mal.
Scott Gomez, en 2025, revient frapper à la porte de notre mémoire collective.
Pas avec un but, pas avec un sourire, mais avec une intronisation qui rappelle à quel point les destins peuvent être divergents.
Héros aux États-Unis. Boulet à Montréal. Une fracture, encore une, dans la mémoire du CH.
Et peut-être qu’au fond, c’est ça, la véritable ironie : Gomez, même sans marquer, même des années après avoir quitté Montréal, continue de faire trembler l’histoire.
AMEN