46 millions de dollars: Kent Hughes marqué à vie

46 millions de dollars: Kent Hughes marqué à vie

Par David Garel le 2025-10-11

Quarante-six millions de dollars.

Un cauchemar sans précédent pour Kent Hughes. C’est le montant que Frank Nazar a obtenu cet été des Blackhawks de Chicago.

Un contrat de sept ans, signé après seulement 56 matchs dans la Ligue nationale. Sept ans, 46,2 millions, soit 6,6 millions par saison, pour un joueur de 20 ans qui n’a même pas encore connu une saison complète.

Ce n’est pas seulement un geste de confiance, c’est une déclaration de puissance. C’est Chicago qui regarde la LNH droit dans les yeux et dit :

« On sait ce qu’on a entre les mains. »

Et à Montréal, cette signature résonne comme un coup de tonnerre, parce qu’elle ravive le spectre d’une des décisions les plus lourdes de l’ère Kent Hughes : avoir échangé le 13e choix au total de 2022, celui-là même qui est devenu Frank Nazarl, pour Kirby Dach.

Pendant que Nazar soulève le United Center avec des tours du chapeau qui font le tour du continent, Kirby Dach, lui, est... inutile sur la glace...

Et surtout, un avenir qui n’en a plus à Montréal. Car Dach n’aura bientôt plus de contrat. Son entente actuelle, quatre ans à 13,45 millions au total, soit une moyenne de 3,362 millions par saison, s’achève en 2026.

Et selon plusieurs sources proches de l’organisation, le Canadien ne compte pas le prolonger. Il n’a pas livré, il n’a pas tenu la promesse du deuxième centre d’avenir, et il n’a surtout pas résisté à la comparaison de plus en plus humiliante avec le jeune Nazar.

Ce contraste a pris une dimension presque cruelle au moment où Frank Nazar a parlé, hier matin, devant les journalistes au United Center.

À 20 ans, le kid qui aurait dû appartenir au Canadien de Montréal a répondu à la presse avec un aplomb désarmant :

« En grandissant, je n’avais jamais vu un tel chiffre. Je suis ici pour jouer au hockey, avoir du plaisir et gagner. Ce chiffre me permet de faire tout ça et de m’occuper de ma famille. Je suis ici pour huit ans, il n’y a pas d’inquiétude. »

Cette phrase dit tout. Nazar parle déjà comme un vétéran. Il parle comme un joueur qui appartient à son équipe pour de bon.

Il ne se cache pas derrière les blessures, il ne se protège pas derrière des excuses. Il avance. Il assume. Il incarne une véritable superstar.

Et c’est justement ce que le Canadien croyait acheter en Kirby Dach : un centre moderne, responsable, capable de devenir la colonne vertébrale du projet Hughes-Gorton. Résultat : l’un est déjà un leader à Chicago, l’autre une énigme médicale... et mentale... à Montréal.

Ce qui frappe, c’est la différence d’attitude. Nazar dégage une maturité froide, une forme de joie simple, dénuée d’arrogance.

Quand il dit : « Je peux juste jouer au hockey, je suis ici pour huit ans, il n’y a pas d’inquiétude », on comprend que tout est réglé, qu’il n’y a plus de distractions, plus de négociations, plus de doutes.

Pendant ce temps, à Montréal, Kirby Dach vit dans le brouillard. Il s’entraîne seul, surveillé par le personnel médical, loin du groupe, loin des caméras, loin du public. Ses coéquipiers l’évoquent à peine.

Même Martin St-Louis, interrogé hier sur la situation, a tenté de défendre son joueur du bout des lèvres :

« Il s’améliore de match en match. Il joue avec des intentions honnêtes. Il va devenir de plus en plus à son aise. » Des mots polis, mais qui sonnent faux..

Des phrases qui traduisent plus l’embarras que la conviction. St-Louis sait que le lien entre Nazar et Dach ne disparaîtra jamais. Que cette transaction, c’est une plaie ouverte dans la mémoire collective du Canadien. Et que plus Nazar performe, plus Dach devient le symbole de l’échec du pari Hughes.

Car il faut se souvenir de l’origine du désastre. Juin 2022 : Kent Hughes échange Alexander Romanov aux Islanders contre le 13e choix au total. Un actif magnifique dans une cuvée riche.

Mais au lieu de le garder, il le transfère aussitôt aux Blackhawks pour obtenir Kirby Dach. Chicago, sans hésiter, sélectionne Frank Nazar.

Depuis, tout s’est inversé. Nazar a connu une progression fulgurante, passant par un séjour éclair dans la Ligue américaine avant de s’imposer comme un centre de premier plan derrière Connor Bedard.

Il a marqué seize points à ses vingt-sept derniers matchs de la saison 2024-2025, puis mené les États-Unis à la médaille d’or au Championnat du monde sénior avec douze points en dix rencontres. Il a pris sa place. Pendant que le Canadien, lui, perdait du temps, de l’argent et du capital espoir dans un corps trop fragile pour tenir.

La claque devient encore plus violente quand on regarde les chiffres. Nazar, à seulement deux matchs cette saison, totalise déjà trois points et joue plus de vingt minutes par match. Il est utilisé sur les deux unités spéciales.

Son entraîneur-chef, Jeff Blashill, ne cache même pas son enthousiasme :

« Sa vitesse est spéciale et il peut passer et marquer à haute vitesse. Il aura un très gros impact cette saison. »

Même Nick Foligno, vétéran respecté, en parle comme d’un moteur d’équipe :

« Maintenant, les équipes savent qu’un autre trio s’en vient après Connor. Ça va beaucoup aider Bedard. »

Nazar n’est plus un espoir. C’est une arme. Et sa simple existence rappelle à chaque seconde ce que Montréal a perdu.

Le problème pour Kent Hughes, c’est que ce genre d’erreur ne s’efface pas. À Chicago, on a profité de la naïveté d’un DG encore nouveau, encore confiant, encore persuadé qu’il pouvait transformer un joueur brisé en vedette.

À Montréal, on a vendu cette transaction comme un coup d’audace. Aujourd’hui, c’est un désastre.

Un choix de premier tour envolé. Un défenseur top-4 (Romanov) disparu. Et un centre de 24 ans qui n’a jamais disputé plus de 40 matchs d’une saison sans se blesser.

Quand on ajoute à cela la perspective d’un contrat de Nazar à 46 millions, le contraste devient grotesque. Montréal paie encore Dach 3,3 millions pour le voir disparaître dans les gradins, pendant que Nazar empoche 6,6 millions pour être au cœur du renouveau des Hawks.

Et surtout, Nazar est aimé. À Chicago, il est la coqueluche du vestiaire, un symbole de la reconstruction. À Montréal, Dach est une ombre. Une rumeur. Un joueur qu’on mentionne à voix basse pour ne pas rouvrir la plaie.

Ce malaise, Martin St-Louis le sent. Après la conférence de presse de Nazar, il a tenté d’éteindre le feu en se portant à la défense de son DG :

« On ne peut pas juger une transaction après deux saisons. Kirby a encore beaucoup à offrir. Il travaille fort, il veut revenir, il est dans le bon état d’esprit. »

Mais la salle de presse est restée glaciale. Parce que tout le monde sait que ce n’est plus une question de patience. C’est une question de destin. Dach ne sera jamais ce que Nazar est déjà devenu. Et chaque fois que Nazar marque, que Chicago gagne, que Bedard sourit à côté de lui, c’est toute la reconstruction du CH qui tremble un peu plus.

Le nom de Frank Nazar est devenu un rappel constant de ce que Kent Hughes a perdu : la vision, le flair et, désormais, la crédibilité.

À Montréal, certains essaient encore de se rassurer. On dit que Dach pourrait revenir cet hiver. Qu’il pourrait retrouver son rythme. Qu’il pourrait surprendre.

Mais la réalité est froide. Son genou a déjà été opéré deux fois. Son jeu repose sur sa mobilité, son explosivité, sa puissance. Tout ce qu’une double greffe du ligament compromet.

Et pendant que le CH prie pour un miracle, Frank Nazar joue déjà comme un vétéran, comme un leader, comme un joueur dont le nom sera bientôt dans les discussions du trophée Selke.

Ironiquement, il a même été invité au camp d’évaluation olympique d’Équipe USA pour 2026. Pendant que Dach lutte pour demeurer dans le top 9, Nazar rêve des Jeux de Milan.

L’histoire n’a peut-être pas encore de point final, mais la conclusion morale, elle, est déjà écrite. Montréal a échangé l’avenir pour une illusion. Chicago a gagné sur toute la ligne.

Nazar n’est pas seulement un joueur prometteur, il est la preuve vivante que la patience, la structure et la confiance paient plus que les paris sur la rédemption.

Le Canadien avait entre les mains le choix numéro 13, un ticket pour un joueur d’élite. Il a préféré une promesse abîmée.

Et trois ans plus tard, les conséquences se mesurent en millions, en défaites, en réputation. Kent Hughes pourra bien défendre son bilan tant qu’il voudra, il ne pourra jamais effacer l’image de Nazar levant les bras après un autre but, pendant que Dach serre les dents dans une salle de rééducation.

Parce que certaines erreurs ne se corrigent pas. Elles s’impriment dans la mémoire collective. Et celle-là restera longtemps.