C'était prévisible.
Mais encore fallait-il vouloir l'entendre.
Depuis plusieurs jours, les dérives de la billetterie du Centre Bell font la une des réseaux sociaux, des forums de discussion, des tribunes radiophoniques et des salons où le hockey est une religion.
On a vu des captures d'écran qui donnent la nausée. Des billets à plus de 500 dollars pour un match de première ronde.
Des sections populaires à des prix VIP. Des familles entrières qui devront faire un choix entre le frigo ou le Forum.
Et voilà que l'information circule : il est maintenant plus abordable d'aller voir le Canadien à Washington qu'à Montréal.
Oui.
En prenant la route vers la capitale américaine, en dormant une nuit dans un motel, en achetant un billet dans le haut des gradins, un partisan montréalais peut vivre une soirée de séries pour moins cher que le prix d'un seul billet dans le coin Molson.
C'est là que le silence devient assourdissant.
Parce que ce n'est pas seulement une erreur de calcul ou un dérapage algorithmique. C'est une insulte à l'intelligence des partisans.
Et Geoff Molson ne pourra pas dire qu'il ne savait pas.
Il y a une semaine à peine, les journalistes ont rapporté une autre situation qui aurait dû sonner l'alarme.
Le vestiaire visiteur du Capital One Arena à Washington était un véritable chantier : planchers éventrés, odeurs de colle, murs de gypses encore humides. Comme si on avait volontairement saboté l'accueil du CH pour provoquer un inconfort.
Un détail? Peut-être.
Mais dans le contexte actuel, tout prend un sens. La guerre des nerfs commence aussi dans les coulisses.
Et si les Capitals ont lancé les hostilités avec leur environnement hostile, le Canadien, lui, est en train de faire pire : il alienne ses propres partisans.
Il fait fuir ceux qui, depuis des années, achètent les billets de présaison, qui supportent les saisons de misère, qui élevent leurs enfants avec des chandails de Gallagher sur le dos.
On a vu les scènes. Les escaliers vides. Les écrans de réservation encore verts à 48h du match.
On n'est plus dans la critique. On est dans la réalité.
Geoff Molson doit répondre. Non pas avec un communiqué de presse stérile ou une entrevue préfabriquée. Il doit répondre avec un geste.
Baisser les prix? Offrir des compensations? Geler les tarifs pour les prochaines rondes?
Peu importe.
Mais il faut un signal.
Parce que dans le bruit des machines à peinture du Capital One Arena, dans le vacarme des marteaux-piqueurs à côté du vestiaire montréalais, il y a quelque chose d'encore plus sourd : le silence du peuple qui ne peut plus s'offrir le luxe d'aimer son équipe en personne.
Et ce silence-là, il est en train de se transformer en rupture.
La balle est dans ton camp, Geoff.
Et ce qui se profile à l’horizon, c’est peut-être l’ironie la plus cruelle de cette qualification surprise en séries : un Centre Bell… à moitié éteint.
Parce que pendant que des partisans du CH vont faire la route jusqu’à Washington pour voir leur club à prix cassé dans un Capital One Arena rénové à la hâte, ceux qui rêvaient de célébrer dans leur propre temple sacré se font, eux, écraser par la réalité économique.
Des billets de séries qui frôlent les 400, 500, 600 dollars pour un siège en haut des gradins, sans parler des frais de service qui frisent l’indécence, c’est là que le rêve s’évapore pour la majorité silencieuse.
Et ce silence-là, Geoff Molson l’a entendu.
Parce qu’il suffit de jeter un coup d’œil sur les plateformes officielles du CH pour constater qu’il reste… des centaines de billets invendus.
Oui, tu as bien lu.
À la veille d’un match historique.
À la veille d’un premier duel de séries éliminatoires à domicile depuis des années.
Et il reste encore des places.
Et ce n’est pas parce que les fans ne veulent pas être là.
C’est parce qu’ils ne peuvent plus se le permettre.
Et c’est là que l’on sent toute la fracture entre les gens d’en haut et ceux d’en bas.
Parce qu’en haut, on veut maximiser les profits, justifier les investissements, faire rentrer les dollars après une période creuse de reconstruction.
Mais en bas, dans les ruelles du Plateau, dans les salons de Trois-Rivières, dans les casse-croûtes de Rouyn ou les sous-sols de Lévis, on vibre autant qu’avant, sauf qu’on regarde le match avec une bière de dépanneur, parce que le Centre Bell, c’est devenu un luxe de PDG.
Et pendant ce temps, à Washington, les billets partent pour moins de 100 $ sur le marché secondaire.
Moins de 100 $.
Pour voir Ovechkin. Pour voir Suzuki. Pour voir Hutson et Demidov. Pour vivre la magie des séries.
Ici? Tu veux vivre la magie, il faut une marge de crédit.
Et là, tu comprends pourquoi la grogne monte. Pourquoi certains évoquent un boycott silencieux. Pourquoi des vétérans partisans disent qu’ils ne reconnaissent plus leur club, leur sport, leur passion.
Parce que le hockey, au Québec, c’était une religion populaire.
Pas une religion de millionnaires.
Et s’il y a un moment pour corriger le tir, c’est maintenant.
Parce que si Geoff Molson ne descend pas de sa tour, s’il ne donne pas un signal fort que l’équipe appartient encore au peuple, c’est une génération entière qui va décrocher.
Et cette fois, ce ne sera pas à cause du nombre de victoires.
Ce sera à cause du prix d’entrée.
Et si ce n’était pas juste une question de chiffres?
Parce qu’à Montréal, les séries, c’était sacré.
On faisait l’école buissonnière. On appelait malade au travail. On reportait des mariages.
Aujourd’hui? On se demande si ça vaut la peine d’hypothéquer une semaine d’épicerie pour avoir le droit de voir son club dans le building qu’on a nourri de nos cris, nos larmes, nos espoirs.
Et ce qui se passe là, ce n’est pas juste une conséquence d’un marché capitaliste en roue libre.
C’est une cassure de confiance.
Parce que les partisans ont fait leur job.
Ils ont enduré les saisons de misère. Ils ont cru au plan de reconstruction. Ils ont acheté les chandails de Caufield, les casquettes de Suzuki, les posters de Demidov. Ils ont attendu.
Et maintenant qu’ils veulent vivre ce moment, on leur dit : paye ou reste chez vous.
Alors ils restent chez eux.
Et ce que tu vas entendre lundi soir, ce ne sera pas un mur de feu.
La vérité que même le buzz incroyable de cette jeune équipe n’est plus suffisant pour combler la fracture économique entre le Centre Bell et ceux qui l’ont fait vibrer pendant 30 ans.
Et pendant ce temps-là, Geoff Molson reste muet.
Pas une déclaration. Pas une mesure. Pas une offre spéciale pour les familles. Pas un geste de gratitude.
Et si c’était ça, le vrai vestiaire saboté?
Pas celui à Washington.
Mais celui qu’on est en train d’abandonner, ici même, chez nous.
Le problème, ce n’est pas que Geoff Molson soit riche.
Le problème, c’est qu’il oublie qui l’a rendu riche.
Ce n’est pas Demidov, ce n’est pas Lane Hutson, ce n’est pas Martin St-Louis.
Ce sont les retraités qui se privaient de restos tout le mois pour se payer un billet de section 319.
Ce sont les jeunes qui criaient « Go Habs Go » dans les corridors du métro en avril, avec les larmes dans les yeux, même après une défaite.
Alors Geoff, si tu entends ce silence… ce n’est pas un oubli de ta billetterie.=
C’est un cri sourd d’un peuple qui en a assez de regarder son équipe s’éloigner d’elle, un prix à la fois.
Misère