Geoff Molson et la liberté d’expression : où tracer la limite?

Geoff Molson et la liberté d’expression : où tracer la limite?

Par André Soueidan le 2025-02-08

Le Canadien de Montréal n’est pas seulement une équipe de hockey. C’est une institution, un symbole identitaire fort pour les Québécois et pour le Canada.

Mais ce statut d’icône implique une responsabilité bien plus grande que celle de simplement marquer des buts et accumuler des victoires.

L’organisation a dû jongler avec cette réalité en demandant à ses partisans de respecter les hymnes nationaux, dans un contexte où la tension politique entre le Canada et les États-Unis est à son comble.

Geoff Molson, le propriétaire et président de l’équipe, a ainsi pris position sur une question hautement délicate : la liberté d’expression des partisans.

Le contexte de cette demande est clair. Après les déclarations incendiaires de Donald Trump, qui menace d’imposer des tarifs douaniers punitifs au Canada et au Mexique, une vague de frustration a traversé le pays.

Certains partisans canadiens, en guise de protestation, ont choisi de huer l’hymne national américain dans plusieurs arénas.

Montréal n’a pas été épargnée par ce phénomène. C’est dans ce climat que le Canadien, par la voix de Pierre Lacroix, a demandé aux spectateurs du Centre Bell d’observer un respect total envers les hymnes, une initiative qui a été globalement suivie, bien que quelques huées aient filtré.

Mais cette initiative soulève un dilemme : la demande du CH constituait-elle une entrave à la liberté d’expression des partisans?

Geoff Molson et son organisation ont-ils eu raison d’intervenir dans une question aussi chargée politiquement?

Tout d'abord, on ne peut ignorer le fait que le sport et la politique sont liés depuis toujours. Le hockey, en particulier à Montréal, a souvent été un reflet des réalités sociales et politiques de son époque.

Que l'on pense à Maurice Richard et à la crise linguistique des années 1950, ou encore au refus du CH de participer à des événements controversés, le club a toujours navigué entre le sport et la société.

En demandant un respect des hymnes, Geoff Molson a fait un choix calculé : celui d'éviter que le Centre Bell devienne un terrain de tensions politiques.

Le premier argument en faveur de cette décision repose sur la nature même du hockey : un spectacle qui réunit des gens de tous horizons.

Peu importe les opinions politiques des uns et des autres, une rencontre du Canadien demeure un événement de rassemblement.

En demandant aux partisans de ne pas huer, le CH cherchait à préserver cette unité et à éviter une escalade qui aurait pu nuire à l’expérience de tous.

Ensuite, il faut considérer l'image du club à l'international. Le CH n'est pas qu'un symbole montréalais ou québécois; il est une vitrine du Canada en entier.

Montréal est une ville cosmopolite, qui accueille des joueurs de partout dans le monde et qui attire des amateurs de hockey de tous les continents.

Huer l'hymne d'un pays voisin, aussi polarisant soit-il, aurait envoyé un message négatif et potentiellement nuisible pour la réputation de l'organisation.

Enfin, il y a un aspect économique non négligeable à cette décision. Le hockey est un business, et Geoff Molson doit protéger son produit.

Le CH entretient des relations étroites avec la LNH, avec des commanditaires américains, et avec des partenaires qui peuvent voir d’un très mauvais oeil des démonstrations de ce genre.

La ligue elle-même pourrait ne pas tolérer ce type de manifestations trop souvent répétées, ce qui pourrait nuire aux Canadiens de façon plus large.

Cela dit, un contre-argument doit être pris en compte : certains partisans ont eu l'impression que cette demande était une forme de censure sociale.

En empêchant les gens de manifester leur mécontentement, même de manière pacifique, ne donne-t-on pas le message que les Canadiens se soumettent trop facilement aux pressions extérieures?

Certains diront que le CH a joué la carte du politiquement correct au lieu de laisser les partisans s'exprimer librement.

Après tout, la liberté d’expression n’est pas toujours confortable, et permettre aux partisans de huer aurait été une manière d’affirmer une position face aux tensions politiques actuelles.

Mais où tracer la ligne entre la liberté d’expression et le respect?

Dans un aréna comme le Centre Bell, qui appartient à une entreprise privée, il est justifiable que les propriétaires veuillent encadrer certains comportements.

Il en va du bon déroulement de l'événement, du respect des joueurs et de l'image du club.

Au final, Geoff Molson et le CH ont pris la décision qui leur semblait la plus responsable. Le fait que la majorité des partisans aient respecté cette demande montre que le message a été bien reçu.

Reste à voir si la situation évoluera lors du prochain affrontement entre le Canada et les États-Unis dans la Confrontation des 4 nations.

Mais une chose est sûre : le hockey n'est jamais qu'une simple question de rondelle et de patinoire. Il est aussi le reflet des tensions et des débats qui traversent nos sociétés.

AMEN