Martin St-Louis a gagné la guerre verbale avant même que la série commence.
Il y a des séries éliminatoires qui commencent sur la glace. Et il y en a d’autres qui commencent dans les coulisses, dans les salles de presse, dans le cœur des joueurs, dans les récits que l’on fabrique autour d’une équipe.
La série opposant le Canadien de Montréal aux puissants Capitals de Washington est de celles-là. Parce que Martin St-Louis, sans même avoir joué une minute, a déjà remporté le premier match. Celui du contrôle narratif. Celui de l’émotion. Celui de la pression.
Martin St-Louis est un renard. Un stratège qui connaît le pouvoir des mots autant que celui des jeux de zone. Et aujourd'hui, il a livré une performance digne d’un réalisateur d’Hollywood.
À la veille du début de la série, il ne s’est pas contenté de répéter des banalités sur l’adversaire. Il a sorti l’arme ultime : sa mère.
« Je pense que mon optimisme, je le dois à ma mère », a confié l’entraîneur-chef du CH aux journalistes, les yeux brillants d’émotion.
« Elle m’a couché le soir des milliers de fois en me disant que tout allait bien aller. Mon père travaillait énormément et j'était souvent seul avec ma mère.
Même quand j’étais coupé d’une équipe, même après une mauvaise partie. Elle a toujours cru en moi. Elle m’a appris à ne jamais abandonner. »
À cet instant, le ton de la série venait de changer. Le vestiaire du CH venait de recevoir une dose d’humanité brute.
Le Québec entier s’est senti interpellé. Les journalistes se sont tus, comme figés. Parce que soudainement, ce n’était plus seulement une série contre Washington. C’était un combat pour l’amour d’une mère. Pour les racines. Pour la résilience.
C’est à ça qu’on reconnaît un grand meneur d’hommes.
Pendant ce temps, que disait Spencer Carbery, l’entraîneur des Capitals? Rien. Ou si peu. Interrogé sur l’état de santé de ses joueurs blessés, il s’est contenté de dire, sourire crispé :
« Je ne vous en dirai pas plus après aujourd’hui. Vous verrez bien qui patinera ou non. »
Fermé. Prudent. Presque nerveux.
Car les blessures à Logan Thompson, leur gardien numéro un, et à l’attaquant vedette Aliaksei Protas planent comme un nuage noir sur Washington. Le doute s’est installé. Et Martin St-Louis l’a senti.
Lui, pendant ce temps, disait :
« Washington, c’est la meilleure équipe de la ligue. Ils ont des vétérans, ils jouent bien dans toutes les zones. C’est un gros défi. »
Mais derrière ces mots d’apparence humble se cachait la stratégie du maître. Car tout est là : il transfère le poids sur les épaules des Capitals. Ce sont eux qui ont terminé premiers. Ce sont eux les favoris. Ce sont eux qui doivent gagner.
« Dans le vestiaire, on croit en nos chances, a-t-il ajouté. Mais c’est sûr que c’est eux qui ont la pression, pas nous. »
Un uppercut psychologique.
Et puis, cette phrase, sortie comme une flèche :
« On veut être David. Personne n'a envie d'êtr Goliath. »
C’est exactement ça. Le Canadien se positionne comme le petit, le négligé, celui qui n’a rien à perdre. C’est la pire situation possible pour les Caps, qui eux n’ont que des choses à perdre. Car toute contre-performance deviendra un échec monumental.
Mais revenons à cette déclaration sur sa mère. C’est plus qu’un souvenir personnel. C’est une arme. En parlant d’elle, Martin St-Louis rappelle à ses joueurs ce qui les a amenés là.
Leurs familles. Leurs rêves. Leur enfance. C’est une technique vieille comme le monde : puiser dans l’émotion pour provoquer une étincelle.
Et ça marche.
Depuis son arrivée derrière le banc du CH, Martin St-Louis a transformé une équipe moribonde en un groupe uni, combatif, croyant à son destin.
Quand tout le monde riait du 2 % de chance d’atteindre les séries après le tournoi des 4 Nations, lui disait :
« Ça commence par y croire. »
Aujourd’hui, c’est 100 %.
Et il le rappelle. Il le répète. Il le lance au visage de tous ceux qui doutent de lui.
Spencer Carbery peut bien aligner les meilleurs buteurs et avoir fini au sommet de la conférence. Ce n’est pas lui qui fait vibrer sa ville.
Ce n’est pas lui qui enflamme les journalistes. Ce n’est pas lui qui a tous les micros tendus vers lui. C’est Martin. Et c’est ce qu’on appelle gagner la guerre des perceptions.
Le gardien Samuel Montembeault le résume parfaitement :
« C’est tellement le fun en ce moment. La foule au Centre Bell, c’est du jamais vu. »
Même Yvan Cournoyer, le légendaire Roadrunner, l’a dit cette semaine :
« La foule aujourd’hui est encore plus bruyante que dans les années 60. Ça dépasse tout. »
Et quand Ovechkin a entendu ces propos? Un simple « No comment ». Il sait que l’ambiance qui l’attend au Centre Bell n’a rien d’anodin.
Parce qu’à Montréal, tout est prêt pour une histoire de films.
Une équipe sous-estimée. Un entraîneur qui parle de sa mère. Une résilience collective. Et une mission : renverser les puissants Capitals. Comme en 2010.
Alors oui, Martin St-Louis sait très bien ce qu’il fait. Il joue la carte de l’émotion. Il place ses joueurs dans une bulle de confiance et de solidarité.
Il contrôle le discours public. Il impose un respect subtil, mais réel. Et il désarme un adversaire qui, pour l’instant, ne semble pas avoir de réponse.
Le match n’a pas encore commencé. Mais dans l’arène invisible du hors-glace, dans la guerre des récits, des regards, des silences, le Canadien mène déjà 1-0.
Martin St-Louis n’a peut-être jamais été l’entraîneur favori des analystes, des Michel Therrien, des Jean-Charles Lajoie, de ceux qui aiment les systèmes rigides et les anciens schémas. Mais il a quelque chose qu’on ne peut pas enseigner.
Il a l’instinct. Il a l’intelligence émotionnelle. Il a le feu.
Et il est en train de prouver à tout le monde qu’il ne suffit pas de figurer dans les prédictions de Vegas pour faire peur en séries.
Il suffit de croire. De vibrer. D’unir.
Et de se battre comme David. Jusqu’à la dernière seconde.