Le Centre Bell a explosé de joie, lundi soir, dans une de ces soirées qui rappellent pourquoi Montréal reste une ville de hockey incroyable.
Le Canadien a battu les Sabres de Buffalo 4 à 2, signant une cinquième victoire en sept matchs. L’ambiance était électrique, les partisans étaient derrière leur équipe du début à la fin, et l’équipe de Martin St-Louis a, encore une fois, trouvé le moyen de gagner malgré les ratés d’un avantage numérique qui cherche toujours son souffle depuis le début de la saison.
Mais derrière cette victoire qui aurait pu être parfaite, une question brûle les lèvres de tout le monde : pourquoi Ivan Demidov joue-t-il encore si peu ?
Le jeune prodige russe, repêché pour transformer l’attaque du Canadien, a été limité à 12 minutes et 27 secondes de temps de jeu. C’est tout.
Une utilisation minimale pour un joueur dont chaque présence semble capable de faire basculer un match. Douze petites minutes dans une soirée où il aurait pu, encore une fois, faire la différence.
Et c’est là que la frustration commence à grandir chez les partisans, dans les médias et même dans le vestiaire. Parce qu’à force de répéter que tout est une question de “processus”, Martin St-Louis commence à ressembler à un coach qui complique inutilement les choses.
Quand on lui a demandé après le match pourquoi Demidov ne jouait toujours pas sur la première unité du jeu de puissance, la réponse du coach a laissé tout le monde perplexe :
« Je comprends ce que vous voulez dire, mais à cette position-là, il prendrait la place à Nick. Et ça, je veux pas faire ça. »
Une explication étrange, voire absurde. Parce qu’on parle ici d’un joueur qui, samedi dernier, avait justement combiné avec Suzuki sur un but spectaculaire, une séquence où la passe de Demidov avait traversé la boîte défensive de New York avant d’atterrir directement sur la palette de son capitaine.
Comment peut-on parler de conflit de position quand ces deux-là ont prouvé qu’ils peuvent créer de la magie ensemble ?
Demidov n’a droit qu’à 30 secondes de powerplay chaque soir, des miettes, littéralement. Et pendant ce temps, la première unité, celle de Suzuki, Caufield, Slafkovský, Bolduc et Hutson, patine en rond sans véritable menace, se cherchant encore une identité après sept matchs.
Le paradoxe saute aux yeux : le joueur le plus dangereux du Canadien avec la rondelle ne touche presque jamais à la glace quand l’équipe a l’avantage d’un homme.
Quand les journalistes québécois lui ont demandé s’il ne manquait pas une occasion d’exploiter davantage Demidov, St-Louis a d’abord tenté de défendre son approche. Il a expliqué qu’il avait voulu le mettre “contre des trios plus faibles” pour lui permettre de “développer sa finition”.
« Ce que je veux, c’est pas juste le résultat. C’est les intentions. Moi, je coache les intentions. Je veux qu’il ait les bonnes idées, les bons réflexes dans le jeu. La finition, ça va venir. »
Puis, il a enchaîné avec son vocabulaire habituel : la lecture du jeu, le processus, la responsabilité défensive. Selon lui, il ne "coach" pas les résultats, mais les intentions.
Sa justification est honteuse. Parce que Demidov montre justement toutes ces “intentions” dont parle St-Louis. Il anticipe, il crée, il provoque. Il ne joue pas au hasard : il joue juste plus vite, plus fort, plus instinctivement que les autres.
Et pendant que le coach nous donne des leçons de vie à deux cennes, le kid qu’on a vendu comme un génie offensif continue de gratter 12 petites minutes par match, dont 30 secondes d’avantage numérique.
« La finition va venir », a-t-il ajouté, comme s’il parlait d’un junior en apprentissage.
Mais c’est précisément ce ton paternaliste qui agace. Ivan Demidov n’est pas un projet. C’est un prodige. À 19 ans, il a déjà une vision du jeu que peu de joueurs possèdent dans cette ligue.
Quand il touche la rondelle, il se passe quelque chose : un mouvement, une passe qui casse une ligne, une anticipation que les autres n’ont pas vue. Et pourtant, St-Louis continue de le traiter comme un joueur à apprivoiser.
Ce soir, Demidov a eu une passe sur le but de Kapanen (il a fait tout le jeu à lui seul et il a créé de la magie comme jamais).
Mais il n’a jamais revu la glace après les dix dernières minutes du troisième vingt. Pendant ce temps, Juraj Slafkovský, encore invisible en avantage numérique, continue d'avoir la priorité sur la première vague. Cherchez l’erreur.
Slaf est un monstre à 5 contre 5, mais il n'est pas un joueur d'avantage numérique.
Et le public, lui, l’a bien remarqué. Sur les réseaux sociaux, le mot-clic #FreeDemidov circulait déjà dès la fin de la deuxième période.
On ne demande pas la lune : on demande simplement qu’un joueur de cette trempe ait la chance de s’exprimer pleinement.
Dans une équipe qui peine encore à produire offensivement, comment justifier que ton joueur le plus imprévisible reste coincé sur le banc ?
On comprend l’idée de St-Louis : protéger son jeune joueur, le faire grandir dans un cadre, éviter de le brûler. C’est noble. Mais il y a une limite entre encadrer et étouffer.
Et plus les matchs avancent, plus on a l’impression que Demidov est enfermé dans la prison de St-Louis. Le coach dit vouloir qu’il “joue la game devant lui”, mais encore faut-il lui donner la glace pour le faire.
Ce n’est pas une question de favoritisme ou de style ; c’est une question de logique. Quand tu as une pépite pareille, tu construis autour d’elle.
Tu ne la laisses pas s’éteindre sur un banc pendant qu’un jeu de puissance improductif patine dans le vide. Même les entraîneurs adverses commencent à s’en rendre compte. Lindy Ruff, coach des Sabres, l’a dit avant le match :
« Ce kid-là, Demidov, chaque fois qu’il a la rondelle, tu retiens ton souffle. »
Il n’a pas tort. Et c’est bien ça le problème. Tout le monde le voit, sauf celui qui décide du temps de glace.
Cette victoire du Canadien contre Buffalo, belle et méritée, aurait pu être parfaite. Elle aurait pu être un message fort : celui d’une équipe qui fait confiance à ses jeunes talents pour l’emporter.
Mais au lieu de ça, elle laisse un arrière-goût amer. Parce que derrière la fiche reluisante de 5-2, il y a un malaise qui s’installe. Celui d’un coach qui semble refuser de laisser briller son joyau le plus étincelant.
Ivan Demidov ne demande pas qu’on lui déroule le tapis rouge. Il demande simplement de jouer. Et tant que Martin St-Louis continuera de lui donner des miettes, Montréal se privera du spectacle que tout le monde attend.