Drapeau rouge pour Ivan Demidov: la tension monte avec Martin St-Louis

Drapeau rouge pour Ivan Demidov: la tension monte avec Martin St-Louis

Par David Garel le 2025-10-10

Ivan Demidov a disputé deux matchs, et déjà, l’histoire semble se répéter.

Deux petits matchs, treize minutes de jeu au premier, douze maigres minutes au deuxième, aucun véritable rôle sur l’avantage numérique, aucune séquence où on le sentait installé, en confiance, au cœur du jeu offensif du Canadien.

Le jeune prodige russe découvre que dans le monde de Martin St-Louis, la patience n’est pas un privilège qu’on accorde facilement aux artistes. Et le sentiment qui s’installe, dans les estrades comme dans les vestiaires, c’est que l’entraîneur-chef veut le casser avant de le construire.

Ce n’est pas la première fois qu’on assiste à ce scénario avec un talent comme celui-là. On l’a vu à Saint-Pétersbourg, dans la KHL, où Demidov avait souvent été laissé sur le banc par Roman Rotenberg, l'ex puissant entraîneur-dirigeant du SKA, que tout le monde accusait à l’époque de saboter le développement de son jeune joueur pour le punir d’avoir choisi la LNH.

Les médias russes parlaient d’un “boycott déguisé”, d’une vengeance politique car il quittait la KHL pour la LNH, alors que Rotenberg, lui, répétait inlassablement que Demidov devait « apprendre à jouer sans la rondelle ».

Tout le monde criait à l’injustice, mais au fond, le message du coach russe était peut-être plus lucide qu’on ne voulait le croire : le génie offensif d’Ivan Demidov était indéniable, mais son jeu sans la rondelle, lui, demeurait problématique. Et aujourd’hui, ce même défaut revient hanter son arrivée à Montréal.

Car si Martin St-Louis semble vouloir imposer une discipline rigide à son joyau, ce n’est pas seulement par entêtement ou par orgueil. C’est aussi parce qu’il voit les mêmes signes que les recruteurs de la LNH avaient relevés au dernier repêchage.

On se souvient que les Blackhawks de Chicago, malgré tout le battage autour de Demidov, avaient préféré sélectionner Artyom Levshunov au deuxième rang. Les Ducks, eux, avaient misé sur Beckett Sennecke, un attaquant plus nord-américain dans son approche, plus fiable dans ses replis, plus constant dans son engagement sans rondelle.

D'ailleurs, Sennecke a marqué son premier but à son premier match à vie hier:

Et pendant que Montréal rêvait déjà d’un Kucherov 2.0, ces organisations-là parlaient de maturité, de structure, de constance. Ce soir, après deux matchs dans la LNH, on comprend peut-être un peu mieux pourquoi.

Parce que oui, Ivan Demidov est un feu d’artifice quand il a la rondelle. Il transporte, il crée, il transforme des séquences banales en œuvres d’art.

Mais quand la rondelle n’est pas sur sa palette, c’est une autre histoire. Il flotte. Il observe. Il semble déconnecté de la réalité du jeu. Et ce manque d’implication sans la rondelle saute aux yeux d’un entraîneur comme Martin St-Louis, qui a bâti toute sa carrière sur l’effort, la lecture, la rigueur et la responsabilité.

St-Louis a vu la même chose que Rotenberg avant lui : un joueur de génie, mais un joueur qui, dès qu’il n’a plus le contrôle du jeu, devient vulnérable. Alors il applique la même méthode : il le prive de minutes, il le confronte à la frustration, il le force à apprendre à survivre sans être le centre du monde.

Le problème, c’est que cette méthode, aussi noble qu’elle soit sur papier, frappe fort sur un joueur de 19 ans qui s’attendait à vivre un rêve, pas une leçon de vie.

Demidov est arrivé à Montréal avec l’image d’un sauveur. On lui avait promis la lumière, il découvre le banc. Il pensait être une priorité, il devient un projet. Et ça se voit sur son visage.

Ses gestes sont saccadés, ses présences écourtées, ses réactions de plus en plus nerveuses. On l’a vu hier soir, entre deux présences, assis au bout du banc, le regard vide, sans émotion, comme si le feu qui l’animait s’était éteint.

Et pendant ce temps, les partisans s’interrogent. Une partie du Québec crie encore à l’injustice. On entend les comparaisons :

“C’est comme Rotenberg à Saint-Pétersbourg, il veut le casser, il veut lui apprendre une leçon”.

Mais de plus en plus de monde se range maintenant du côté de Martin St-Louis. Les partisans les plus lucides commencent à reconnaître que, oui, Demidov a besoin d’être encadré, qu’il doit apprendre à jouer sans la rondelle, qu’il doit cesser de tricher offensivement.

Et surtout, qu’à 19 ans, il n’est pas encore prêt à dominer physiquement dans une ligue où les espaces se ferment beaucoup plus vite qu’en Russie.

Le parallèle avec Beckett Sennecke est cruel. L’attaquant repêché par Anaheim, que plusieurs voyaient comme un choix « sécuritaire », a marqué dès son premier match dans la LNH. Une présence, un but, et déjà, les comparaisons fleurissent : Sennecke performe, Demidov s’efface.

Et pendant que les projecteurs se tournent vers lui, le nom de Cayden Lindstrom, un autre espoir de ce repêchage 2024 sélectionné 4e au total, revient aussi hanter les discussions.

Son agent avait menti sur son état de santé, on avait appris plus tard qu’il souffrait d’une hernie discale, et malgré tout, on parle encore de lui comme d’un futur attaquant puissance vedette d'ici quelques années.

C’est dire à quel point la perception de Demidov commence à se fissurer, même chez les observateurs qui étaient les premiers à le défendre.

Mais au-delà de ces comparaisons, le cœur du problème demeure le même : Demidov n’a pas encore trouvé sa place dans le système de Martin St-Louis.

 Il pensait qu’on allait le lancer aux côtés de Suzuki et Caufield, qu’on allait lui donner les clés de la première unité du powerplay, qu’on allait lui permettre de jouer son jeu instinctif.

À la place, on lui demande de reculer, de suivre les schémas, de comprendre le “cycle”, de bloquer des tirs, de trimer en fond de territoire. En d’autres mots, on veut le transformer.

Et ce n’est pas un hasard si cette philosophie suscite autant de débats à Montréal. Certains voient en St-Louis un coach courageux, un formateur à la main ferme qui veut construire un joueur complet plutôt qu’un feu de paille offensif.

D’autres y voient un excès d’orgueil, une obsession du contrôle qui risque d’étouffer la créativité d’un artiste. Mais une chose est sûre : le message est brutal, et Demidov l’a reçu de plein fouet.

Après le match d’hier, il n’a pas voulu parler aux médias. En fait, il n'a pas parlé aux journalistes depuis le début de la saison.

Son regard sur le banc hier disait tout. Il semblait désorienté, frustré, presque abattu. Lui qui s’imaginait déjà en train de dynamiter les défensives adverses se retrouve à attendre qu’on l’appelle pour une présence symbolique en fin de deuxième période.

Et le contraste avec ses rivaux du même repêchage rend la situation encore plus douloureuse. Beckett Sennecke a marqué. Artyom Levshunov joue déjà 17 minutes par match.

Même dans la défaite, ces jeunes-là voient la glace, apprennent, progressent. Demidov, lui, observe. Il est sur le banc, prisonnier d’un plan de développement qui, pour l’instant, ressemble surtout à une punition.

Mais peut-être que St-Louis sait exactement ce qu’il fait. Peut-être qu’il veut provoquer une réaction de feu. Peut-être qu’il veut que Demidov explose, qu’il prenne ça personnel, qu’il se mette à bouger les pieds dans les replis, à gagner ses batailles, à se battre pour chaque présence.

C’est le genre de traitement que St-Louis lui-même a reçu dans sa carrière. Il sait ce que c’est d’être sous-estimé, de devoir prouver qu’on mérite chaque minute. Et il veut, par la douleur, faire grandir son jeune joueur.

Reste à savoir si Demidov répondra à ce défi ou s’il s’enfermera dans la frustration.

Parce qu’à Montréal, on le sait : le feu des projecteurs peut propulser un joueur aussi vite qu’il peut le brûler. Et pour Ivan Demidov, le compte à rebours est déjà commencé. Deux matchs, vingt-cinq minutes, aucune trace sur le tableau à part une maigre passe. C’est peu. Trop peu.

Mais si ce plan de Martin St-Louis fonctionne, si ce “cassage” temporaire forge chez Demidov une mentalité de tueur, alors dans quelques mois, on parlera peut-être d’un coach visionnaire.

Sinon, on parlera d’un gâchis monumental.

Et ça, à Montréal, on en a déjà vu trop souvent.