Le vent a tourné à Cogeco : Ivan Demidov est la nouvelle cible du 98,5 FM.
Le jeune prodige russe, qu’on voyait encore il y a quelques semaines comme l’étincelle la plus brillante du Canadien, est maintenant traité comme un adolescent qui doit apprendre la vie. Et le plus triste, c’est que les commentateurs qui, hier, réclamaient la liberté créative pour les jeunes talents, sont aujourd’hui les premiers à lui jeter la pierre.
Mardi soir, l'attaque envers le jeune a dépassé les limites. Martin McGuire a lancé la blague cinglante :
« Ivan Demidov a peut-être passé trop de temps avec Patrik Laine cet été. Il a pris des mauvaises habitudes. »
La phrase a fait rire Mario Langlois. Mais dans le fond, elle a révélé quelque chose de beaucoup plus profond : la méfiance désormais ouverte des médias québécois envers le joyau offensif du CH.
Ce qu’on appelait autrefois “une adaptation normale à la LNH” est devenu un procès public. Demidov est désormais jugé pour chaque présence, chaque repli, chaque tir manqué. Et plutôt que de défendre l’instinct du joueur, certains comme Danny Dubé ont choisi de rejoindre la ligne du coach : minimiser le talent, suranalyser les défauts.
Martin McGuire a enchaîné sur le ton ironique qui lui est propre :
« Ça serait facile de dire qu’il s’est pas mal tenu avec Laine cet été. »
Le message était clair : Demidov, dans sa tête, jouerait encore en mode flashy, pas en mode exécution. Comme si, d’un seul coup, son style flamboyant était devenu un problème.
Ce n’était pas une simple flèche ; c’était une réhabilitation médiatique de Martin St-Louis. Car McGuire, après la blague, s’est empressé de nuancer pour mieux protéger le coach :
« Je pense que Martin, quand il nous répond ce qu’il a répondu tout à l’heure, c’est mon observation, c’est ma lecture : il fait la colonne de l’actif et du passif avec Demidov, et je pense qu’il y en a beaucoup plus dans l’actif que dans le passif. C’est pour ça que publiquement, il va pas là. Il ne veut pas l'écorcher publiquement. »
Pour McGuire, St-Louis est prudent, réfléchi, bienveillant ; Demidov, lui, doit “apprendre”.
Le scénario est parfait pour les ondes : le coach devient le pédagogue, et le prodige, le garnement.
McGuire n’en reste pas là. Il explique même que St-Louis agit en coulisse, dans l’ombre :
« Il va y avoir des petites séances vidéo avec les adjoints. Il fait attention pour ne pas ébranler la confiance, briser quoi que ce soit avec Demidov. Fidèle à lui-même, Martin ne regarde jamais personne publiquement. »
Le coach ne fait plus d’erreurs : il “protège”.
Le jeune ne se cherche plus : il “doit apprendre”.
Et les médias, eux, se félicitent d’être “compréhensifs”.
Depuis quand le 98,5 FM sert-il de service de relations publiques au CH ?
La même mécanique s’est répétée à propos de Zachary Bolduc.
Mario Langlois lance :
« Une petite observation, le temps file vite, mais sur Zach Bolduc… quelqu’un fait le pointage deux, trois matchs de suite avec un but, et là, wow, wow, wow… »
Puis, il passe la parole à Dubé :
« Dany, ton appréciation ? Son temps de glace : est-ce qu’il est victime de ne pas être sur un trio régulier ou le coach en veut plus ? »
Et là, la réponse tombe, comme su Dubé était aux pieds de St-Louis, comme s'il était son serviteur.
Dubé, qui devrait défendre les jeunes attaquants québécois, répond sans broncher :
« Écoute, ça, je sais pas ce que le coach veut avec lui, faudrait demander à Martin pour ça, j’ai pas cette réponse-là. »
Puis il poursuit :
« Mais moi, je pense que lui, si on le classait à la place de Newhook, on aurait pu avoir un résultat. Il est meilleur sur les rondelles libres, il est meilleur en espaces restreints. »
Avant d’ajouter, en bon élève :
« Mais dans le contexte, c’est normal que Newhook soit là. C’est un joueur vétéran, établi… »
Tout est dit. Le talent est là, la logique aussi, mais on choisit la hiérarchie.
Dubé a ensuite justifié le tout en long et en large :
« Les minutes de Bolduc, moi, je m’en ferais pas trop avec ça, parce que je pense que c’est très circonstanciel. Là, Martin, il faut qu’il mette son échec avant à l’ordre avec ses joueurs. Quand il a replacé Evans, Gallagher et Anderson ensemble, ça a un peu enlevé une chaise à Bolduc… »
Autrement dit, le coach est toujours excusé.
Peu importe que Bolduc, lui, perde confiance.
Peu importe que Demidov soit ralenti dans son développement.
L’important, c’est que Martin St-Louis “sait ce qu’il fait”.
Et quand Dubé conclut :
« Je ne ferais pas un gros plat avec ça. Je ne trouve pas que Bolduc a baissé et je ne pense pas que Martin est déçu », on comprend que le message est passé. Sur les ondes de Cogeco, on ne remet plus rien en question de la part du coach.
Ce glissement est fascinant : à mesure que l’équipe gagne, la critique devient suspecte.
Dire que Demidov devrait jouer plus, c’est presque une offense à l’intelligence du coach.
Dire que Bolduc mérite un vrai trio, c’est manquer de “contexte”.
Les analystes s’écrasent, comme si poser une question sur la gestion du talent offensif était un acte de trahison envers le coach.
Et c’est là que le danger guette. Car Montréal n’est pas seulement une ville de hockey : c’est une ville médiatique.
Quand les médias se taisent, la passion se transforme en propagande.
Et aujourd’hui, il faut bien le dire : Cogeco sonne comme une salle d’attente du CH.
La blague de McGuire sur Laine résume à elle seule la situation : on ridiculise ce qu’on ne comprend pas.
Deux joueurs qui dérangent les structures, deux artistes qui pensent le jeu à l’instinct.
Et à Montréal, ce genre de joueurs ne survit pas longtemps sans être ramené à l’ordre.
Alors on rit d’eux, on les recadre, on leur trouve des “mauvaises habitudes”.
Parce que dans cette ville, on préfère un bon soldat à un artiste indomptable.
Au fond, le vrai problème, ce n’est ni Demidov ni Bolduc.
C’est la manière dont le discours médiatique s’est aligné sur celui du vestiaire.
Les mêmes mots, les mêmes excuses, les mêmes silences.
Tout ce qu’on reprochait aux entraîneurs d’avant (Michel Therrien, Claude Julien, Dominique Ducharme) la peur de l’erreur, la rigidité, le manque de créativité, est en train de redevenir la norme, sous les applaudissements des analystes.
Et si Demidov commence à jouer comme un robot, ce ne sera pas un hasard. Quand tu es dans la niche de Marty... tu perds ton identité...
