Il y a des parcours linéaires.
Et il y a ceux, chaotiques, imprévisibles, où chaque centimètre de progrès semble arraché au monde. Juraj Slafkovsky n’a jamais eu droit à la facilité.
Depuis qu’il est devenu, contre toute attente, le tout premier choix du repêchage de 2022 devant Shane Wright, le Slovaque traîne une pression monumentale sur ses épaules.
Une pression que même un colosse de 6 pieds 3, bâti comme un tank, peine à porter.
À Montréal, on ne pardonne pas l’arrogance. On ne pardonne pas l’inconstance. Et Slafkovsky a souffert des deux. On a tout dit sur lui : qu’il était immature, qu’il parlait trop, qu’il ne produisait pas.
On l’a accusé de jalousie envers sa copine au point de la suivre jusqu'à 4 heures du matin, d’indifférence sur la glace, de ne pas se coucher assez tôt. On a scruté sa vie privée, ses déclarations, ses moindres gestes.
Et pourtant, malgré tout cela, il est toujours là.
Mais pendant que Montréal marchait sur son jeune attaquant, sur la côte ouest, un autre géant connaissait un chemin étonnamment parallèle: Quinton Byfield.
Même gabarit, même année de repêchage, mêmes attentes. Lui aussi a vécu une lente éclosion. Mais à Los Angeles, on l’a laissé respirer.
Le hockey ne fait pas la une des journaux comme à Montréal. Et pourtant, même là-bas, les Kings en ont eu assez. Ils ont tenté de l’échanger à la Caroline pour Mikko Rantanen.
Un échange avorté non pas à cause de Byfield, mais parce que Rantanen refusait de signer une prolongation de contrat en Californie, en raison du fardeau fiscal de l’État.
Résultat : Rantanen a signé à Dallas pour 8 ans et 12 millions par saison. La Caroline, frustrée, s’est tournée vers Logan Stankoven et des choix.
Byfield est finalement resté à L.A… mais dans le doute.
Pendant ce temps, Montréal recevait des appels. Les Kings voulaient Slafkovsky. Ils étaient prêts à envoyer Byfield à Montréal pour l’obtenir.
Et Kent Hughes, lui, a dit non. C’était une décision courageuse. Une décision risquée. Mais aujourd’hui, elle commence à porter ses fruits.
Car voilà le nœud de cette histoire : Slafkovsky a fini par se réveiller.
Après une série de critiques cinglantes dans les médias, des rumeurs de transaction avec Noah Dobson, les accusations de nonchalance, d’arrogance, de je-m'en-foutisme… Slafkovsky a répondu.
Sur la glace. Comme un vrai. Un match monstre contre Ottawa. Un train lancé à pleine vitesse. Un but, des mises en échec, un combat contre Ridly Greig, et surtout, une attitude transformée.
Le regard dans le vide a laissé place à un feu intérieur. Les mots creux ont été remplacés par des actes.
Et plus que tout : il a reconnu ses fautes. Il a dit avoir honte de sa saison. Il a dit que ce match-là devait devenir sa norme. Et ses coéquipiers – Suzuki, Caufield – l’ont soutenu. Ils ont reconnu ce changement. Ils ont vu, enfin, le joueur qu’on leur avait promis.
C’est ici que la comparaison avec Byfield devient fascinante. Les deux ont vécu l’enfer de la transition vers la LNH avec un gabarit qui les trahissait : trop gros, trop puissants, pas encore à l’aise dans leur propre corps.
Les deux ont mis du temps à comprendre comment utiliser leur physique comme une arme et non comme un fardeau.
Mais à la différence de Byfield, Slafkovsky a dû le faire sous les projecteurs de la métropole québécoise. Sous les micros, les critiques, les tweets assassins. Et aujourd’hui, il est encore là.
Le plus ironique? Alors qu’on pensait que Byfield aurait le dernier mot, c’est Slafkovsky qui se stabilise. Et c’est Byfield qui, à nouveau, se retrouve dans les rumeurs de transaction.
Montréal aurait pu dire oui. Il aurait pu céder à la tentation d’échanger Slafkovsky. Il aurait pu échanger le joueur incompris pour un autre géant incompris.
Mais Kent Hughes a tenu bon. Et aujourd’hui, il récolte les premiers fruits de cette patience.
Slafkovsky n’est pas sauvé. Il est loin d’être parfait. Son jeu de puissance est encore atroce, ses instincts défensifs parfois absents. Il doit apprendre à performer match après match.
À jouer comme un power forward tous les soirs, et non une fois par mois. Mais il a montré, enfin, qu’il en est capable.
Dans quelques années, on se souviendra peut-être de ce mois de mars 2025 comme du point tournant. Le moment où Slafkovsky a décidé de se battre.
Non seulement contre la peste des Sénateurs, Ridley Greig, mais contre le destin que plusieurs lui réservaient déjà. Celui d’un flop, d’un mal-aimé, d’un autre nom sur la liste des mauvais choix de repêchage.
Mais surtout, on se souviendra qu’il a résisté à la tempête. Et qu’au final, il est resté à Montréal pour y régner.