La chaise de Juraj Slafkovsky n’a jamais été confortable.
Quand le CH a gagné la loterie en 2022, Montréal a carrément sorti les chaises sur Sainte-Catherine pour célébrer.
On venait de décrocher le premier choix overall, un cadeau tombé du ciel.
Mais au lieu d’un consensus clair, c’était le chaos.
Shane Wright présenté comme le choix « safe ».
Logan Cooley, le centre américain explosif qui faisait rêver les partisans d’attaque.
Et au milieu de ce bras de fer : Juraj Slafkovsky, l’ailier slovaque au physique de colosse, sorti de nulle part pour voler la vedette.
La saga Wright–Slaf–Cooley a déchiré la ville avant même que Kent Hughes monte sur le podium.
Et quand le DG a prononcé le nom de Slafkovsky, tout le monde a crié… mais tout le monde savait aussi que le miroir, un jour, viendrait demander des comptes.
Aujourd’hui, ce miroir ne renvoie pas les feux d’artifice du Centre Bell ni les promesses de parade.
Il renvoie deux chiffres. Deux chiffres qui font mal.
Le premier : 66. Le nombre de points que Lane Hutson a inscrits à sa toute première saison dans la LNH.
Le deuxième : 51. Le sommet de carrière de Slafkovský jusqu’ici, après trois saisons.
Deux chiffres qui, mis côte à côte, font grincer des dents et réveillent de vieux fantômes.
Parce que si on refaisait le repêchage de 2022 aujourd’hui, est-ce que quelqu’un, dans son bon sens, prendrait Slafkovsky au premier rang? Non.
Hutson, 62e choix, passerait probablement top-3 sans discussion, et même premier overall pour une bonne partie des recruteurs.
Pire encore : Logan Cooley, qui fait déjà danser l’Arizona avec son coup de patin et son flair offensif, serait probablement choisi avant Slafkovsky aussi.
On peut bien se raconter que « le fit » avec le Canadien justifiait le choix d’un ailier costaud plutôt qu’un petit centre dynamique, mais quand tu mets les chiffres sur la table, c’est brutal.
Slafkovsky a beau avoir progressé, avoir gagné en constance et avoir finalement décroché un contrat digne d’un joueur du top-6, ça ne change rien au fait qu’il traîne l’étiquette du premier choix overall.
Et cette étiquette, elle est impitoyable.
Tu ne peux pas juste être « correct ». Tu dois être dominant. Tu dois écraser ton année recrue, tu dois transformer ton équipe, tu dois changer la donne.
Slafkovsky n’a rien changé. Il a progressé, oui, mais il n’a pas explosé. Et ça, ça colle à la peau.
Maintenant, imaginez une seconde qu’on n’ait pas Lane Hutson.
Imaginez un monde parallèle où Kent Hughes rate son coup au 62e rang.
Imaginez que ce petit défenseur américain, rejeté par toutes les autres équipes à cause de sa taille, ne devienne pas le bijou de la reconstruction montréalaise.
Imaginez que le seul joyau de 2022, ce soit Slafkovsky, avec ses 51 points comme sommet de carrière et son 10 millions par année.
Montréal serait en feu. La pagaille totale.
Les partisans crieraient au scandale chaque soir au Centre Bell. Le fameux contrat de Slafkovsky serait disséqué à la loupe et ridiculisé comme une erreur monumentale.
Mais Hutson existe. Et sa présence change tout.
Ce n’est pas exagéré de dire qu’il a sauvé Slafkovsky d’une pression insoutenable.
Parce que la vérité, c’est que le « prix de consolation » du 62e choix est en train de devenir plus précieux que le premier overall.
Montréal se console avec Hutson. On se ferme la gueule parce que, mine de rien, le CH a quand même frappé un coup de circuit au même repêchage.
On n’a pas juste Slafkovsky… on a Hutson. Et tant mieux.
Slafkovsky le sait. Il n’est pas cave. Il voit bien qu’Hutson, en débarquant à Montréal, a fait ce que lui n’a pas fait : marquer l’imaginaire immédiatement.
Le kid a pris la LNH d’assaut, a ramassé 66 points à sa première saison, a décroché le Calder, et surtout, il a redonné de l’électricité à Montréal.
Il est devenu, en quelques mois, le visage du futur de la défensive montréalaise. Slafkovsky, lui, est encore en construction.
Et ça doit piquer.
En même temps, il y a un paradoxe. Parce qu’aussi cruel que soit le miroir, Hutson enlève de la pression.
Slafkovsky n’a pas besoin d’être « le sauveur ». Il peut devenir un bon ailier de puissance, progresser tranquillement, et personne ne lui tombera dessus comme on serait tombé sur lui si Hutson n’était pas là.
Les projecteurs se sont déplacés. Montréal rêve autant de voir Hutson quarterbacker l’avantage numérique que de voir Slafkovský écraser un défenseur dans le coin.
Mais reste que, dans sa tête, ça doit travailler.
Slafkovsky a beau sourire, répéter qu’il est heureux à Montréal et qu’il croit à la reconstruction, il sait qu’il sera toujours comparé à Cooley, à Wright, et surtout à Hutson.
Et quand tes deux chiffres de référence sont 51 et 66, c’est un rappel cruel que le destin n’a pas choisi le bon ordre cette année-là.
On peut bien réécrire l’histoire comme on veut : Wright qui n’a jamais cassé la baraque, Cooley qui aurait peut-être mal « fitté » avec le CH, Slafkovský qui reste un profil unique pour l’organisation… la réalité demeure.
Le Canadien a misé son premier choix sur un joueur qui, aujourd’hui, n’est pas le plus marquant de sa propre cuvée.
C’est Hutson qui change les matchs. C’est Hutson qui fait lever la foule. C’est Hutson qui rend la reconstruction excitante.
Et c’est pour ça qu’à Montréal, on ne hurle pas. On ne crie pas au désastre.
Parce que même si Slafkovsky n’est pas un « premier overall » digne du terme, on a Hutson comme police d’assurance.
On sait que ce repêchage n’a pas été gaspillé. On peut avaler plus facilement les 51 points de Slafkovsky quand on a 66 points de Hutson en bonus.
Slafkovský dans le miroir, ça fait mal. Mais Slafkovský dans l’ombre de Hutson, ça passe.
Parce que le bijou du 62e rang a sauvé le bijou un peu terni du premier rang.
Et tant que Hutson continuera de briller, Slafkovsky pourra respirer.
Mais attention : respirer, ce n’est pas suffisant quand tu es censé être « le choix numéro un ».
À un moment donné, il faudra que Slafkovský transforme la douleur des deux chiffres en carburant.
Parce que le miroir, lui, n’oublie jamais.
Ouch...