C’est une histoire de cravate, mais pas seulement.
C’est une histoire de symbole. Une histoire de loyauté. Une histoire qui sent la vieille garde, les vieux liens, les vieilles amitiés. Et dans l’univers feutré du country club du Canadien de Montréal, tout ce qui semble anodin est en réalité hautement révélateur.
À première vue, c’est une anecdote « cute », racontée par le journaliste Kevin Dubé du Journal de Québec depuis la Coupe Memorial à Rimouski.
Brad Richards, ancien complice de Martin St-Louis avec le Lightning, a tenté, en vain, de récupérer une vieille cravate bleue qu’il avait laissée chez son ancien coéquipier.
Une cravate qui lui avait été discrètement empruntée onze ans plus tôt. Une cravate qui, depuis, est devenue l’accessoire fétiche de Martin St-Louis. Sa cravate de la chance.
« Je lui ai demandé et il m’a dit : “Aucune chance” » affirme Richards en riant.
C’est là que la blague cesse. Parce qu’à travers cette histoire de bout de tissu oublié dans un garde-robe new-yorkais, c’est toute la culture du Canadien version country club qui refait surface.
Brad Richard dévoile la vérité:
« C’est arrivé en 2014, quand Martin a été échangé aux Rangers. Il restait souvent chez moi les jours de match parce que sa maison était trop loin du Madison Square Garden.
Un soir, il avait oublié sa cravate. Il est allé dans mon garde-robe et il en a pris une. Une bleue. Je ne l’ai jamais revue. Ce qui est drôle, c’est que je ne m’en suis même pas rendu compte. J’avais tellement de cravates à l’époque.
Ce n’est que récemment, quand un journaliste a ressorti une vieille photo de Martin avec cette cravate, que j’ai réalisé que c’était la mienne. J’ai rigolé, je lui ai demandé s’il me la rendrait cet été. Il a répondu : “Aucune chance.” Et il riait. »
Martin St-Louis est un coach aimé, oui. Respecté, sans doute. Mais aussi profondément enraciné dans un écosystème où les connexions personnelles priment sur les compétences froidement évaluées.
Le Canadien version Jeff Gorton et Kent Hughes a souvent été accusé de favoriser ses amis, ses anciens coéquipiers, ses fils spirituels.
Et Brad Richards, aujourd’hui président d’honneur de la Coupe Memorial à Rimouski, sent qu'il pourrait être le prochain chapitre de cette saga.
Richards est de plus en plus visible autour de l’organisation. On le voit aux événements de prestige. Il accorde des entrevues. Il est cité. Il est présent. Il est… là. En orbite autour du Tricolore.
Et tout le monde pose la question à demi-mot : va-t-il se retrouver avec un titre bidon comme “conseiller au développement” ou “adjoint spécial à la culture” ?
Parce que dans l’univers du CH actuel, quand tu es un ancien chum, un ancien coéquipier, ou un ami d’enfance d’un gars dans le vestiaire, tu as ton laissez-passer.
Tu peux intégrer l’organigramme. Pas besoin de CV béton. Il suffit de partager un historique de matchs de golf, de soupers à Tampa ou de trophées soulevés ensemble.
On le sent. On le pressent. Ce ne serait pas une surprise de voir Richards nommé « conseiller au développement des jeunes attaquants » dans quelques mois. Et ce n’est pas un reproche personnel : Richards est intelligent, charismatique, articulé. Il a de l’expérience. Il a gagné.
Mais ce n’est pas ça le fond du problème.
Le problème, c’est qu’au lieu de faire un appel à candidatures, on tire dans le bottin personnel de Martin. On recrute chez les amis Facebook. On recrute chez les champions de 2004, chez ceux qui ont déjà partagé un vestiaire avec St-Louis ou un vol d’avion avec Hughes.
La cravate, elle, devient le fil conducteur de cette culture. On croit à la superstition. À la chance. Au country club. On fait confiance à ce qui est familier, pas à ce qui est objectivement meilleur.
St-Louis, dans cette anecdote presque tendre, ne veut pas la rendre, cette cravate. Il l’a portée dans les moments cruciaux. Elle est devenue son porte-bonheur. Mais elle dit surtout ceci : je garde ce que j’ai emprunté à mes anciens amis. Je le transforme en quelque chose d’à moi. Je ne rends rien. J’absorbe. J’intègre. Je bâtis mon univers avec leurs morceaux.
Et dans ce monde-là, Brad Richards ne récupère pas sa cravate. Il récupère plutôt un bureau au Centre Bell.
Et si on poussait plus loin?
Cette affaire aurait pu être banale. Mais quand on observe ce qui entoure l’organisation du Canadien, elle devient révélatrice.
Jeff Gorton qui nomme son ami Kent Hughes.
Kent Hughes qui nomme son ami Martin St-Louis.
Qui dirige le développement des joueurs? Des anciens chums.
Qui obtient des rôles de consultant? Les meilleurs amis de St-Louis.
Qui parle encore à voix basse de Vincent Lecavalier, toujours officiellement « conseiller spécial », mais invisible?
Ajoutez Brad Richards à cette liste. Le voici tranquillement rapatrié. Avec le sourire. Par la porte d’en arrière. Difficile de se plaindre après la saison incroyable du CH.
Et si la cravate était le test d’entrée?
Quand tu peux rire d’avoir subtilisé un accessoire à un ancien coéquipier et refuser de le lui rendre avec fierté, c’est que tu es dans la famille. Tu fais partie du noyau. Tu es safe. Intouchable. Officiellement intégré au country club.
Pas besoin de contrat signé.
La cravate, c’est ton badge.
Le CH n’a pas juste changé son organigramme, ces dernières années. Il a changé son ADN. Il s’est recentré sur un cercle d’élus. Martin St-Louis, avec sa mainmise sur les opérations, n’est plus seulement entraîneur. Il est le cœur de ce club privé.
Et quand Brad Richards rit de ne jamais revoir sa cravate, il ne rit pas juste d’une anecdote de vestiaire. Il rit avec un pied déjà dans la place.
Il ne la récupérera jamais.
Mais ce n’est pas grave.
Parce qu’il récupérera mieux : un titre. Une fonction. Une chaise. Peut-être même un veston. Avec la cravate bleue autour du cou.