L'anomalie 2025 : Jeff Gorton traite les séries comme une erreur de calcul

L'anomalie 2025 : Jeff Gorton traite les séries comme une erreur de calcul

Par André Soueidan le 2025-05-05

C'était supposé être une année de transition, une autre saison de plus à souffrir en silence dans le temple du Centre Bell.

Une autre marche lente vers le sommet, où le mot d'ordre était "patience". Mais le Canadien a décidé de déjouer le plan.

Contre toute attente, l'édition 2024-2025 du Tricolore a réussi l'impensable : se qualifier pour les séries éliminatoires.

Des jeunes comme Lane Hutson, Juraj Slafkovsky, et Jakub Dobeš ont accéléré leur développement. Nick Suzuki a fait taire les sceptiques.

Martin St-Louis a galvanisé son groupe avec une saison au-dessus des attentes. Et à l'arrivée, le CH a fait partie de la danse du printemps.

Mais au lieu de savourer cet exploit comme une validation de la reconstruction, Jeff Gorton et Kent Hughes sont apparus... mal à l'aise.

« Ce n’est pas parce qu’on a fait les séries qu’on change notre plan. » - Jeff Gorton

Cette phrase, prononcée avec calme, a résonné comme une gifle dans le vestiaire. Comme si ce que les joueurs venaient d’accomplir était presque une erreur statistique.

Une anomalie à rectifier plutôt qu’une progression à entretenir.

Gorton n’a jamais nié l’effort, ni la fierté. Mais il a passé tout son point de presse à rappeler les limites de ce groupe.

« Il y a encore beaucoup de travail à faire. On a encore une équipe jeune. L’an prochain, elle pourrait l’être encore plus. »

Là est le nerf de la guerre.

Parce que pendant que les fans, les joueurs, et même Martin St-Louis voyaient dans cette saison une première étincelle, Gorton et Hughes ont gardé les deux pieds fermement cloués au plan quinquennal.

Et ce plan, il est clair : ne pas dévier. Ne pas acheter trop vite. Ne pas accélérer au risque de tout rater.

« On ne veut pas être bons une année et ensuite tout perdre. On veut construire quelque chose de durable. » - Kent Hughes

Mais à force de vouloir construire lentement, ne risque-t-on pas de laisser passer une opportunité réelle? La réponse de la direction, c’est que non. Et que cette année est justement là pour rappeler qu’ils doivent faire preuve de prudence.

Une saison en haut de la moyenne, oui. Mais un groupe encore trop vert.

David Savard et Christian Dvorak ne seront plus là. Et leur expérience, aussi limitée soit-elle, servait de stabilisateur à une jeune garde encore en pleine maturation.

« C’est le défi de Kent cet été », a lancé Gorton en pointant son directeur général avec un demi-sourire. Une façon de dire : à lui de trouver les bons vétérans. Sans brûler d’étapes.

Et c’est là tout le paradoxe. Car les jeunes veulent gagner. Ils ont goûté aux séries. Ils veulent y retourner. Mais l’état-major n’est pas prêt à hypothéquer ses espoirs pour leur faire plaisir.

« On pourrait être plus jeunes encore l’an prochain. On verra comment tout cela se développe. Mais c’est possible. » - Kent Hughes

Traduction? Ne vous attendez pas à l’arrivée de quatre vétérans aguerris. Le plan est encore de grandir de l’intérieur. Pas d’acheter.

Et c’est ce qui donne l’impression à certains que Gorton traite cette saison comme un simple bug dans la matrice. Une réussite mal calculée.

Quelque chose à analyser, mais pas à célébrer.

Or, cette posture pourrait avoir un prix. Parce que les jeunes joueurs, eux, n’ont pas envie de reculer.

Et Martin St-Louis non plus. Le coach a parlé avec ferveur du caractère de son groupe, de la fierté d’avoir tenu tête à des puissances comme Boston et Toronto.

Mais ce n’est pas lui qui décide de la suite. C’est le bureau du haut.

Et ce bureau continue de penser que l’objectif reste 2026-2027. Que 2025 était une accélération, pas une normalité.

La grande question est donc celle-ci : peut-on vraiment freiner volontairement une équipe qui s’est surprise elle-même à gagner?

Si c’était une erreur de calcul, alors Gorton la corrige. Mais si c’était une révélation, alors le CH passe peut-être à côté de quelque chose de plus grand.

Quoi qu’il en soit, les décisions de cet été seront cruciales. Et le ton donné par Gorton laisse penser qu’il ne déviera pas.

Pas pour une saison. Pas pour une surprise. Pas pour une anomalie.

Et pendant que les partisans rêvent d’un autre printemps en feu, pendant qu’ils comptent déjà les points imaginaires de Demidov et les arrêts de Fowler, Jeff Gorton, lui, fait des grimaces à l’idée de se faire piéger par l’euphorie.

Il n’a pas souri une seule fois quand on lui a parlé des séries.

Parce que dans sa tête, faire les séries cette année, c’était comme trouver un billet de loterie dans un vieux jeans. Chanceux, mais pas durable.

Et si on l’écoute vraiment, on comprend que ce n’est pas le prochain pas qu’il prépare.

C’est une reconstruction dans la reconstruction.

Un message brutal, sec, mais peut-être nécessaire : la marche vers la Coupe Stanley est encore loin.

Et il ne veut pas qu’on se trompe de sommet.