Le 5 septembre 2025: un vendredi noir pour Montréal

Le 5 septembre 2025: un vendredi noir pour Montréal

Par David Garel le 2025-09-06

Il y a des dates qui marquent l’histoire d’une organisation. Des journées où le temps s’arrête, où le passé et le présent s’entrechoquent dans un mélange d’émotion, de nostalgie et de douleur.

Le 5 septembre 2025 en sera une à jamais gravée dans la mémoire des partisans du Canadien de Montréal.

Le même jour, deux légendes masquées ont quitté nos vies.

Ken Dryden, géant du Tricolore des années 70, six fois champion de la Coupe Stanley, s’est éteint à 78 ans après un combat contre le cancer.

Et Carey Price, héritier spirituel de Dryden, dernier grand mur du CH, a vu son contrat échangé aux Sharks de San Jose.

Deux trajectoires différentes, deux époques, mais une même conclusion : la fin d’une époque.

Depuis des années, le dossier Carey Price pesait comme une enclume sur les finances et sur le mental des dirigeants du Canadien. Ce contrat de 10,5 millions de dollars, signé pour l’éternité, était devenu un cauchemar administratif pour Kent Hughes et Jeff Gorton.

Finalement, Hughes a trouvé une porte de sortie. Mais à quel prix?

Le contrat de Price est désormais dans les livres des Sharks de San Jose (avec un choix de 5e ronde), contre des miettes : Gannon Laroque, un défenseur usé par les blessures, incapable de s’imposer même en Ligue américaine, promis à Trois-Rivières ou à la retraite.

C’est ça, la réalité crue d’un champion qui n’a plus de jambes, d’un gardien dont la carrière s’est arrêtée brutalement en 2021, mais dont le nom continuait d’alourdir les colonnes comptables du CH.

Et pourtant, derrière ce mouvement sec et comptable, il y a une histoire humaine. Carey Price a tout donné à Montréal. 15 saisons, des milliers d’arrêts, des soirs de gloire et des soirs de détresse. Une finale de la Coupe Stanley en 2021, qui restera son chant du cygne.

Hier, il fut échangé comme si sa légende n’était plus qu’un boulet administratif.

Angela Price a eu l’honnêteté de le dire : cette saga est difficile à vivre. Elle sait que Carey ne l’avouera jamais publiquement. Trop fier. Trop loyal. Mais le voir trimballé à San Jose, comme une marchandise comptable, ça rouvre des plaies.

Chaque rumeur lui a rappellé la rechute, la douleur, la fin abrupte d’une carrière qui aurait pu être couronnée d’une Coupe Stanley. Chaque article lui a rappellé que son mari n’est plus un gardien, mais un contrat à échanger.

Et hier soir, alors que les Sharks ont envoyé leur communiqué froid et impersonnel, Angela partage en story la vidéo hommage du Canadien à son mari. Des images du Centre Bell, des soirs de gloire, des arrêts impossibles. Une manière de dire merci, sans dire le mot.

Il faut le dire sans détour : Geoff Molson est soulagé. Pour lui, ce dossier était aussi devenu une plaie ouverte. Chaque été, les mêmes questions. Chaque automne, les mêmes explications autour de la LTIR. Chaque hiver, les mêmes critiques.

On dit qu’il est le plus impatient de tous dans ce dossier. Qu’il n’attendait qu’une chose : ouvrir une bouteille de champagne le jour où le nom de Price disparaîtrait des livres du CH.

Et ce jour est arrivé. Mais le champagne aura un goût amer. Parce que Molson, l’homme d’affaires, respire mieux. Mais Molson, le partisan, sait qu’il vient de fermer la porte sur l’un des chapitres les plus intenses de l’histoire moderne du club.

Le même jour, une autre légende masquée quittait ce monde.

Ken Dryden, 6 Coupes Stanley, trophée Conn-Smythe, Calder, Vézina à répétition, s’est éteint à 78 ans.

Dryden, c’était plus qu’un gardien. C’était une légende. Son masque blanc, peint par Serge Lemoyne, est entré dans l’histoire de l’art autant que dans celle du hockey. Sa silhouette debout, gants appuyés sur le bâton, est devenue une icône.

Il a marqué la dynastie des années 70, mais aussi le Canada tout entier lors de la Série du Siècle en 1972. Plus tard, il a marqué la politique canadienne, comme député et ministre. Et surtout, il a marqué des générations entières de gardiens qui ont rêvé de devenir lui.

Dont un certain Carey Price.

Deux gardiens, deux époques, une même douleur.

Dryden avait choisi de partir jeune, à 31 ans, après avoir tout gagné. Il avait quitté le hockey par choix, par dignité, pour aller vers une autre vie. Price, lui, a dû quitter par obligation, brisé par ses genoux, ses hanches, ses démons intérieurs.

Mais tous deux partagent ce point commun : ils ont marqué le CH au fer rouge. Ils ont incarné la confiance. Ils ont porté Montréal sur leurs épaules. Et ils sont partis sans que le club n’ait réussi à leur offrir une fin de carrière digne d’eux.

Dryden avait tourné le dos à une organisation qui refusait de payer à sa juste valeur. Price quitte par la petite porte, vendu comme un contrat mort.

Deux humiliations différentes, mais un même arrière-goût amer.

Il faut cependant reconnaître une chose : Kent Hughes a gagné sa guerre d’usure. Pittsburgh et Chicago exigeaient un choix de deuxième ronde pour absorber le contrat de Price. Hughes a dit non. Il a résisté.

Résultat : il réussit à s’en débarrasser pour des miettes, sans hypothéquer l’avenir du club. Il n’a pas sacrifié un choix premium (seulement un choix de 5e ronde). Mais il a sauvé ses munitions pour aller chercher ce qu’il veut vraiment : un deuxième centre.

Hughes a joué froid. Et il a gagné.

Il faut le dire comme c’est : Carey Price quitte par la petite porte.

C’est indigne. C’est injuste. Mais c’est la réalité de la LNH moderne.

Price a touché tout son argent. Ses 84 millions de dollars. Son dernier chèque de deux millions. Mais ce contrat, qui devait symboliser la fidélité et la grandeur, se termine comme une liquidation de faillite.

Le 5 septembre 2025 restera dans l’histoire.

Ken Dryden est mort. Carey Price a été échangé.

Deux géants, deux gardiens masqués, deux symboles.

Le premier, parti en héros, masque au ciel, six bagues au doigt.

Le second, parti en comptabilité, genoux en miettes, cœur en morceaux.

Pour les partisans, c’est un double deuil. Deuil d’un passé glorieux, et deuil d’un présent brisé.

Mais c’est aussi un rappel cruel : dans le sport professionnel, les légendes meurent deux fois. Une première fois sur la glace. Une deuxième fois dans les livres comptables.

Carey Price et Ken Dryden. Deux noms liés à jamais par une date.

Le 5 septembre.

Un jour noir pour Montréal.