Il l’a encore fait. Pat Brisson a encore brisé le cœur du Québec. Avec son sourire désarmant, son accent de Valleyfield et son charme hollywoodien, l’agent le plus puissant du hockey vient, une fois de plus, d’éteindre un rêve collectif.
Jean-Nicolas Blanchet (Journal de Montréal) l’a rencontré dans son bureau de Beverly Hills, un gratte-ciel de verre digne comparé par les journaliste à un décor de l'émission Suits, où les trophées côtoient l’océan Pacifique et où trône, bien en vue, un chandail de Crosby de l’Océanic de Rimouski.
Brisson l’y a accueilli avec sa décontraction légendaire, entre deux anecdotes de jeunesse sur les soirées avec Mötley Crüe et les cliniques de hockey offertes à Tom Cruise ou Mike Myers.
Il a parlé d’argent sans gêne (plus de 2 milliards de dollars en contrat0, de discipline, de ses racines québécoises. Et surtout, il a refermé, d’un ton calme et définitif, le chapitre qui faisait rêver tout un peuple :
« Sidney a été clair avec sa position. Il avait l’option de signer ou pas à Pittsburgh et il a signé deux ans. Il a dit que c’est là qu’il était heureux. »
Une phrase simple, anodine pour certains, mais qui résonne comme un coup de massue à Montréal. Car c’est ce même Pat Brisson qui, quelques mois plus tôt, avait enflammé tout le pays en comparant Crosby à Tom Brady.
En disant que, comme le quart-arrière légendaire, il méritait de jouer pour gagner, pas pour attendre une reconstruction. Que chaque année sans séries créait des « réalités » à considérer. Qu’il ne fallait jamais rien écarter. Bref, qu’un départ de Pittsburgh restait possible.
Et c’est lui, encore lui, qui avait nourri l’espoir que Crosby puisse finir sa carrière dans le bleu-blanc-rouge.
Ce double jeu, les amateurs de hockey le connaissent. C’est la marque de fabrique Brisson. Ce sourire diplomatique, cette capacité à semer le doute pour mieux faire monter la valeur de ses clients. Le Québec l’a vécu en direct avec Pierre-Luc Dubois.
On se souvient de la saga : Dubois qui parle de Montréal, l’agent qui laisse fuiter que 15 ou 20 équipes s’intéressent à lui, la presse qui s’enflamme, et, au final, un sign and trade avec Los Angeles pour 8 ans et 68 millions de dollars.
Résultat : Dubois devient le symbole d’une génération qui choisit l’argent et le soleil plutôt que la passion d’un marché exigeant. (cela s'est mal terminé puisqu'il a été échangé à Washinton).
Tout le monde sait que derrière chaque phrase, chaque sortie publique, chaque rumeur orchestrée, il y avait Pat Brisson.
C’est lui qui avait entretenu le rêve. Et c’est lui qui, ensuite, avait calmement expliqué que le joueur avait « trouvé son bonheur ailleurs ».
Aujourd’hui, il refait exactement la même chose avec Sidney Crosby. Il allume la flamme, laisse Montréal s’enflammer, puis souffle doucement dessus quand ça devient trop sérieux.
Et c’est là où le contraste avec son image publique fascine autant qu’il irrite. Car Brisson n’est pas un requin caricatural. C’est un homme chaleureux, intelligent, capable de parler de ses parents à Valleyfield dans la même phrase que d’un dîner à Beverly Hills avec des milliardaires.
Dans son bureau aux vitres panoramiques, il se vante encore de « manger ses restants », comme pour rappeler qu’il n’a pas oublié d’où il vient.
Mais dans ses affaires, il n’oublie jamais où il veut aller. Et à 60 ans, il règne sur la planète hockey avec une précision chirurgicale.
Ses clients, Crosby, MacKinnon, Tavares, Kane et compagnie, représentent plus de deux milliards de dollars en contrats.
Il sait exactement comment manipuler les récits médiatiques, comment utiliser une entrevue, une comparaison, une demi-réponse pour orienter le marché à son avantage. Et c’est ce qu’il a fait, encore une fois, cet automne.
Tout l’été, Montréal a vibré au rythme de la rumeur Crosby. Les ovations du Centre Bell lors du tournoi des 4, les propos du capitaine des Penguins disant qu’il avait grandi en fan du Canadien, les spéculations sur un plan de transition avec Kent Hughes. Et au milieu de tout ça, Brisson, discret mais omniprésent, laissant planer le doute :
« On ne peut jamais rien écarter. »
C’est lui qui a ouvert la porte à la discussion. Lui qui a validé le rêve montréalais. Et aujourd’hui, alors que Crosby inscrit un but et une passe dans une victoire de 4-3 contre les Islanders pour porter la fiche des Penguins à 2-0, alors que Malkin empile déjà cinq passes en deux matchs, Brisson referme le dossier avec un calme désarmant.
« Il est heureux à Pittsburgh. »
Cette phrase, c’est un coup de frein brutal dans l’imaginaire québécois. Parce que ce rêve-là, ce n’était pas juste un scénario de transaction. C’était une réparation historique, une union naturelle entre le plus grand joueur canadien de sa génération et le club qui a façonné son enfance.
Et Brisson vient de rappeler à tout le monde que dans le hockey moderne, les émotions ne font plus le poids face à la stratégie.
Ce qui rend tout cela encore plus cruel, c’est que Crosby, lui, n’a jamais fermé la porte. Ses déclarations ont toujours été mesurées. Il a dit qu’il comprenait la passion montréalaise. Qu’il avait grandi en admirant Roy et les Canadiens. Qu’il savait à quel point cette ville respirait le hockey.
Mais il n’a jamais, jamais contredit son agent. Il n’a jamais démenti quand Brisson faisait grimper la tension. Il n’a jamais confirmé non plus. Il a laissé le jeu se jouer, comme toujours. Et quand le rideau tombe, c’est Brisson qui tranche.
C’est sa façon de protéger son client, de garder la main sur la narration. Mais dans le processus, il joue aussi avec les émotions d’un peuple.
On ne lui en veut pas parce qu’il réussit. On lui en veut parce qu’il le fait avec un calme trop parfait. Parce qu’il sait exactement ce qu’il provoque quand il laisse filtrer une rumeur sur le CH. Parce qu’il sait que Montréal est un marché sentimental, que chaque mot déclenche un feu. Et parce qu’il s’en sert, encore et encore.
Pierre-Luc Dubois en a payé le prix. Il a voulu réparer trop tard, multiplier les entrevues, jouer la carte du bon gars. Mais les partisans ne pardonnent pas aux joueurs qui ont flirté avec eux avant de choisir l’argent. Et Brisson le sait très bien. Il est le metteur en scène de ces drames modernes, où les contrats valent plus que les symboles.
Dans le cas Crosby, Brisson a laissé la tension monter, puis a offert la conclusion qui arrange tout le monde : Pittsburgh est heureux, Crosby est heureux, et Montréal reste en attente.
Il calme le feu sans jamais le souffler complètement. Car il sait que le rêve d’un Crosby au Centre Bell ne mourra jamais vraiment.
Mais il sait aussi qu’en le ramenant à la réalité, il entretient sa propre légende. Celle d’un agent plus puissant que les équipes, plus calculateur que les directeurs généraux, plus influent que les médias eux-mêmes.
Pat Brisson ne joue pas avec des contrats. Il joue avec des nations. Avec les attentes, les émotions, les récits. Et cette semaine encore, il vient de rappeler au Québec que dans ce jeu-là, c’est lui qui gagne toujours.
Il l’a fait avec Dubois. Il le refait avec Crosby. Et il le refera encore, parce qu’il a compris une chose que peu de gens dans le sport comprennent : dans un marché où tout le monde veut croire, la désillusion vaut de l’or.