Il fallait voir l’accueil qu’on lui a réservé.
Une ovation à l’entraînement, des chandails vendus par palettes, des comparaisons avec Malkin et Datsyuk dès la première présence.
À Montréal, on s’est comportés comme si Ivan Demidov allait marcher sur l’eau, guérir les blessés, et transformer notre avantage numérique en machine divine.
Mais pendant ce temps-là, en Russie, on riait.
Pas méchamment. Pas avec arrogance.
Mais avec la lucidité cruelle de ceux qui savent déjà ce que nous refusons de voir.
Dans un podcast russe qui circule abondamment depuis quelques jours, des spécialistes locaux ont démonté calmement le phénomène Demidov.
«His passing was very good in terms of timing. This is exactly what many players lack when they get to the NHL. I think he played above all his praise» — Washington Scout Andrei Nikolishin talks about Ivan Demidov’s playoffs game https://t.co/fKk83VRXfR pic.twitter.com/m39ByDJKPR
— Милена (@D1VDsAGUJsk2iPk) May 3, 2025
Ce qu’ils voient, eux, c’est un jeune joueur à talent brut, oui, mais loin, très loin du sauveur qu’on a tenté de lui faire jouer au Centre Bell.
« Deux tirs dans toute la série. Deux points, tous sur le powerplay. »
Voilà le résumé glacial qui revient à répétition dans la bouche des analystes russes.
Pas d’explosion à 5 contre 5. Pas de moment décisif. Rien qui mérite une statue à l’entrée du Stade olympique.
Ils rappellent qu’à Moscou, dans le système du SKA, Demidov n’était même pas utilisé pour orchestrer l’avantage numérique.
Il jouait en bas du filet, un rôle secondaire.
À Montréal, on l’a mis tout de suite sur la première vague, en haut, avec Hutson.
Comme si son CV suffisait à lui donner les clés de la ville.
Et attention : personne ne remet en doute son talent.
Les Russes sont les premiers à dire qu’il a « des flashs impressionnants, une vision hors pair, et un instinct créatif rare ».
Mais le mot qui revient sans cesse, c’est celui-ci : adaptation.
Parce qu’en ce moment, c’est là que ça coince.
Demidov joue encore comme s’il était dans la MHL.
Il cherche à créer à chaque présence, même quand ce n’est pas le moment.
Il oublie que dans la LNH, les opportunités se gagnent dans la douleur, pas avec un toe drag en sortie de zone.
Et surtout, il n’a pas encore compris que si tu ne peux pas produire offensivement, tu dois au moins contribuer défensivement.
À Montréal, on a fermé les yeux sur ses replis approximatifs.
On a ignoré ses pertes de rondelles coûteuses en transition.
On a balayé sous le tapis le fait qu’il a terminé la série avec le pire différentiel de l’équipe à égalité numérique.
Mais en Russie? On a tout noté.
On a vu. On a jugé.
Et on s’est demandé : Pourquoi diable en font-ils un demi-dieu alors qu’il joue comme un joueur de troisième trio?
« Il ne mérite pas encore ce statut, et il ne l’a jamais eu ici », a lancé un analyste du podcast.
« Comparez-le à Snuggerud ou Leonard. À ce niveau-là, il tient la route. Pas plus. »
Mais à Montréal, l’émotion a pris le dessus sur la raison.
On a voulu croire, parce qu’on avait besoin d’y croire.
Parce qu’après tant d’années de misère, d’espoirs déçus, de rebuilds avortés, un gamin au nom exotique qui arrive avec des highlights de feu, ça nous faisait du bien.
Le problème, c’est que l’espoir, quand il n’est pas encadré, devient une illusion.
Et l’illusion finit toujours par éclater.
Aujourd’hui, Demidov n’est pas un bust.
Il est simplement ce qu’il est : un jeune de 19 ans, projeté dans un marché francophone survolté, encore incapable de gérer le rythme, le poids et la constance exigés à ce niveau.
Et c’est là que le contraste est le plus frappant :
Pendant que le Québec le proclame héritier de Kovalev, la Russie le juge comme un étudiant de première année, encore vert, encore naïf, mais plein de potentiel… s’il apprend à défendre, à bloquer des lancers, à jouer pour l’équipe, pas juste pour les fans.
Et c’est peut-être ça, le plus grand danger :
Qu’on brûle Demidov à force de le glorifier.
Qu’on lui mette des ailes trop grandes, trop tôt.
Qu’on oublie qu’il est un humain avant d’être un mythe.
Parce que la Russie l’a bien vu :
Il n’est pas encore un joueur de premier trio.
Il n’est même pas encore un joueur complet.
Il est une promesse. Et rien d’autre.
Et pendant qu’on brandit des banderoles à son nom au Centre Bell, pendant qu’on vend des tuques à son effigie sur Saint-Laurent, les Russes, eux, attendent.
Ils attendent que Montréal redescende sur terre.
Parce qu’à leurs yeux, ce n’est pas Demidov qui est dans l’illusion…
C’est nous.
Et ce n’est pas une première.
Montréal a cette fâcheuse habitude de vouloir créer des légendes avant qu’elles aient prouvé quoi que ce soit.
On l’a fait avec Alex Galchenyuk.
On l’a fait avec Jesperi Kotkaniemi.
On veut croire que le prochain est le bon. On veut coller des étiquettes trop vite. On veut sauter les étapes, brûler les cycles, ignorer les failles.
Mais la Ligue nationale ne pardonne pas.
Et Ivan Demidov, aussi talentueux soit-il, n’échappera pas à cette règle-là.
Les experts russes ne sont pas en train de le crucifier.
Ils ne disent pas qu’il est fini, ou qu’il n’a pas d’avenir.
Ils disent simplement : pas encore.
Pas encore prêt, pas encore solide, pas encore fiable.
Et le plus grand danger pour Demidov, ce n’est pas l’adversaire.
C’est Montréal.
C’est cette machine à broyer les jeunes qu’est devenu ce marché.
Parce que si tu ne livres pas après trois matchs, tu es déjà considéré comme une déception.
Et si tu livres trop tôt, tu deviens une cible.
Le seul salut d’Ivan Demidov passera par le silence.
Le silence des attentes. Le silence des surnoms ridicules.
Le silence des faux prophètes qui lui promettent la lune alors qu’il apprend à patiner dans un couloir défensif.
Il faut lui laisser le droit d’échouer.
Le droit de traverser l’enfer d’une première saison.
Le droit d’être un adolescent en apprentissage, pas un dieu sur la glace.
Parce qu’à force de l’idéaliser, c’est nous qui risquons de tout gâcher.
Et les Russes, eux, ne seront pas surpris.
Ils auront vu venir notre aveuglement.
Misère