Martin St-Louis aurait dû se taire.
Car il arrive un moment, dans l’histoire d’une équipe, où les mots d’un entraîneur ne servent plus à expliquer une décision, mais à la masquer.
Et cette semaine, Martin St-Louis vient de franchir cette ligne fragile en tentant de justifier ce qu’aucun partisan, aucun journaliste, aucun analyste de statistiques avancées n’arrive à comprendre : pourquoi Ivan Demidov, le meilleur marqueur chez les recrues et le joueur le plus créatif du Canadien, continue-t-il d’être confiné à un rôle de second plan?
La déclaration qui a mis le feu aux poudres au Québec en entier:
Oliver Kapanen permettrait à Ivan Demidov de « prendre des risques », de jouer libéré, parce qu’il serait toujours « bien placé » pour le protéger défensivement.
« Je crois qu’Oliver Kapanen m’a permis de ne pas avoir à protéger Demidov contre les autres équipes. C’est aussi parce que Demidov m’a montré qu’il pouvait être fiable des deux côtés de la patinoire, mais je pense que Kapanen aide beaucoup à ce niveau.
Kapi est toujours dans une bonne position pour couvrir le risque que Demidov va parfois prendre. »
Les statistiques avancées détruisent cette version. (voir au bas de l'article), alors que Kapanen est tout simplement l'un des pires joueurs si on se fie aux stats avancées.
Mais surtout, ce discours expose quelque chose de beaucoup plus profond : la relation trouble, presque paradoxale, que Martin St-Louis entretient avec son joyau russe.
Ce week-end, plusieurs joueurs dans l’entourage du club ont remarqué un détail révélateur : Martin St-Louis n’a presque pas adressé la parole à Demidov sur le banc, sauf pour des consignes strictes, très courtes, presque mécaniques.
Aucun échange prolongé, aucun « tape sur les pads », aucune discussion individuelle comme celles qu’il multiplie avec d’autres jeunes.
Ce silence-là, dans la réalité d’un vestiaire de la LNH, parle plus fort que n’importe quelle citation de conférence de presse.
Chaque fois que Demidov semble prêt à passer à l’étape suivante, c’est Martin St-Louis qui freine.
Demidov fait absolument tout ce que le staff lui demande, et même plus. Il reste plus longtemps sur la glace après les pratiques, il travaille en extra avec Adam Nicholas (coach des habiletés), il arrive tôt à l’aréna… et pourtant, il est toujours puni.
La vérité, c’est que St-Louis vit un paradoxe avec Demidov : il admire son talent, mais il craint ce qu’il représente.
Il admire son audace, mais il redoute qu’elle expose les limites d’un système qui commence déjà à se fissurer aux yeux de toute la LNH.
Il admire son sens du jeu, mais il sait que l’élever trop vite reviendrait à remettre en question les hiérarchies du vestiaire, celles qu’il protège parfois plus que le résultat sur la glace.
Demidov n’a pas besoin d’un tuteur. Il n’a pas besoin qu’on le protège. Il n’a pas besoin qu’on l’accroche à un centre de profondeur pour le « sécuriser ». Il n’a surtout pas besoin d’être « excusé » chaque fois qu’il produit plus que ceux qui jouent devant lui.
Ce qu’il lui faut, et ce qu’il mérite, c’est des joueurs de talent autour de lui.
Car la réalité, elle, ne ment pas :
Demidov récupère plus de rondelles que Kapanen.
Demidov génère plus de chances de marquer que Kapanen.
Demidov ferme mieux les lignes de passe que Kapanen.
Demidov transporte mieux la rondelle que Kapanen.
Demidov fait progresser le trio.
Kapanen en profite. Et St-Louis inverse les rôles.
Et si cela choque autant, c’est parce que cette inversion révèle quelque chose de dérangeant : St-Louis ne tente pas d’aider Demidov.
Il tente d’arranger son propre inconfort. Il ne protège pas un jeune. Il se protège lui-même et sa propre vision passé date.
Une vision dans laquelle Demidov n’était pas supposé bousculer autant de choses, aussi vite.
Il y a un côté presque personnel dans la façon dont St-Louis gère Demidov. Une volonté de le « cadrer » plutôt que de le libérer.
Comme si le seul endroit où il veut bien le voir exceller, c’est dans les limites qu’il a lui-même définies.
Et dans un marché comme Montréal, où le talent offensif est scruté comme de l’or pur, cette approche commence à exaspérer.
On le voit sur les réseaux sociaux. Dans les tribunes d’après-match. Chez les analystes qui n’ont rien en commun mais qui, pour une fois, se rejoignent : Demidov est sous-utilisé.
Il y a un décalage profond entre la valeur réelle du joueur et le rôle que St-Louis s’entête à lui donner.
Et ce décalage, qui était au début une simple irritante curiosité, prend maintenant la forme d’un malaise.
Un malaise parce que Demidov, sans dire un mot, prouve match après match qu’il mérite plus.
Un malaise parce que les autres recrues de sa cuvée jouent deux, trois, parfois quatre minutes de plus que lui.
Un malaise parce que les chiffres exposent que le duo Demidov-Kapanen ne fonctionne que dans une seule direction : celle du Russe qui doit porter son centre.
Mais surtout, un malaise parce que St-Louis a maintenant été pris en flagrant délit de justification improvisée.
Dire que Kapanen protège Demidov, alors que les données démontrent qu’il l’expose… c’est se condamner à une perte de crédibilité.
Et dans un marché où les entraîneurs ne survivent pas aux narratifs qui s’effondrent, St-Louis vient de s’engager dans une pente dangereuse.
Celle où le public commence à réaliser qu'il s'agit d'un mensonge.
Demidov n’a jamais répondu à son coach. Il ne répondra jamais.= Ce n’est pas son style.
Mais chaque fois qu’il touche la glace, il donne la seule réponse qui compte : il est prêt, il est meilleur que son rôle et il est plus grand que la niche où on tente de le confiner.
Surtout, il force les projecteurs à se tourner vers la seule question qui reste :
Combien de temps encore Montréal acceptera que l’avenir de son attaque soit freiné par la prudence d’un homme qui a peur de lui donner les clés?
