Nous n'avons jamais vu Martin St-Louis aussi abattu.
Il y a des conférences de presse où un entraîneur révèle, malgré lui, qu’il n’a plus d’emprise sur son équipe. Et puis il y a des soirs comme celui-ci, où Martin St-Louis n’a pas seulement perdu un match ; il a perdu le contrôle de son discours, de sa posture, et même de sa capacité à imposer une direction claire.
On a vu un coach vidé, répétant mécaniquement les mêmes formules, se réfugiant derrière des « mauvaises bondss » et des « débuts corrects », alors que le Centre Bell venait de connaître une autre humiliation publique.
Depuis le 11 novembre, la séquence est indéfendable : défaite de 5-1 contre les Kings, défaite de 7-0 contre les Stars de Dallas, défaite de 8-4 contre les Capitals, défaite de 5-2 contre les Sénateurs, défaite de 6-1 contre le Lightning.
Ces chiffres ne sont pas des résultats : ce sont des signaux vitaux qui clignotent. Et pourtant, dans la salle de presse, les questions ressemblaient davantage à des couvertures pour dorloter coach qu’à des vraies questions pour le confronter.
Les journalistes parlaient comme s’ils devaient ménager un coach fragile, comme s’il fallait l’épargner, alors que c’est lui qui, match après match, humilie ses interlocuteurs, coupe les phrases, méprise les questions et impose un climat de tension qui éteint tout esprit critique.
Ce soir, les journalistes ont été d’une complaisance presque gênante. Face à un entraîneur qui semblait au bord de l’effondrement, ils lui ont fourni eux-mêmes des excuses, comme s’ils cherchaient à lui tendre la main plutôt qu’à analyser froidement la débâcle. Il aurait fallu l’affronter de front. Ils ont préféré le bercer.
Si vous avez envie d'avoir honte de vos journalistes québécois, cette vidéo va vous lever le coeur:
Pendant ce temps, St-Louis répétait des phrases qui sonnaient vides, brisées, comme si son langage avait vieilli plus vite que son équipe. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi les choses avaient déraillé après un début encourageant, sa réponse révélait déjà la crise interne :
« C’est intéressant, parce que moi j’ai trouvé nos… Première présence, c’était excellent. Pis tu sais, pis on en donne un. C’est un contre un, je ne joue pas le corps. »
Puis il a enchaîné immédiatement :
« Deuxième but, ça passe en dessous de notre palette. Puis ça va direct sur le gars qui sort des bains de punition. Ça donne deux buts en échappée de même. Jusqu’à ce moment-là, je n'haïssais pas notre marche. »
Toujours la même recette avec le pauvre Marty : un entraîneur qui cherche désespérément à transformer un naufrage en simple incident technique.
Alors que plusieurs joueurs avaient jugé la performance « inacceptable », St-Louis s’est contenté de dire :
« C’est sûr. Sauter à la maison, il faut qu’on soit meilleur à la maison. Mes conférences à la maison commencent à être plates. »
Plate ? Le mot est faible. Elles sont devenues alarmantes. Et les journalistes, eux, ont continué d’éviter la question centrale : comment une équipe peut-elle être aussi mal préparée, aussi fréquemment, sans que la responsabilité retombe enfin sur l’entraîneur ?
Lorsqu’un journaliste lui a demandé si les blessures expliquaient la différence avec le début de saison, St-Louis a répondu :
« C’est sûr, ça ne rend pas les choses plus faciles, mais ce n’est pas une ligue facile. Toutes les équipes ont leurs propres blessures. Il faut du contenu. C’est ça qu’on essaie de faire. »
Du contenu ? Le mot sonnait étrangement vide.
Comme si, même dans son vocabulaire, quelque chose s’effondrait.
Puis un autre journaliste a osé aborder la préparation déficiente, mais d’un ton tellement prudent qu’on aurait dit une intervention psychologique plus qu’une question sportive. St-Louis a répondu, sans jamais se remettre en question :
« Moi, c’est plus ça. Il faut… évidemment, il faut qu’il soit plus prêts. Il n’y a pas un jeu dans les deux ou trois premières minutes qui ne peut pas affecter le résultat. Chaque jeu est important. Chaque situation est importante. C’est sûr, sur le deuxième but, c’est un peu de malchance un peu. »
Le mot malchance, dans une séquence où l’équipe s’effondre match après match, résume l’aveuglement actuel.
Lorsqu’on lui a rappelé que le match n’avait pas si mal commencé mais qu’il avait dégénéré comme une boule de neige, St-Louis a tenté de replacer le récit :
« Moi, j’ai aimé comment on a réagi en deuxième. On n’a pas abandonné. On était là. On a essayé de revenir. En troisième, plus difficile, on en donne un de bonne heure, on prend deux punitions après. L’air était comme sorti du building un petit peu après ça. »
Puis il a livré une ligne qui trahissait tout son état mental :
« Comme je l’ai dit le matin, tu sais, c’est… Tu peux faire du progrès ou tu peux faire des excuses. Tu ne peux pas faire les deux. Fait qu’on va continuer à progresser. »
Le problème, c’est que tout ce qu’il venait de dire auparavant n’était qu’une longue suite d’excuses.
Interrogé sur les mauvais départs à domicile, il a dit :
« On donne beaucoup de buts de bonheur. Je ne sais pas si c’est un ajout, mais… Ça commence à être une tendance. Il faut que je corrige cette tendance-là. »
Mais corriger quoi, quand l’équipe est incapable de sortir mentalement prête ? Les joueurs eux-mêmes ont parlé d’un manque de préparation. Et si les joueurs ne sont pas prêts, cela ne peut signifier qu’une chose : le message ne passe plus.
À la question sur le fil conducteur entre les différentes humiliationséSt-Louis a bégayé : Il cherchait ses mots.
« Il y a un côté mental, ça c’est sûr. Il faut que ton mental soit plus fort que tes émotions. On se fait tester mentalement, présentement. »
Jamais il n’a prononcé l’idée que son propre message pouvait être en cause. Jamais il n’a laissé entendre que, peut-être, l’approche devait changer.
Puis est arrivée la question ultime, celle qui ouvrait enfin la porte à une responsabilité plus large : les gardiens en chute libre, la défensive brisée, les erreurs récurrentes. Qu’est-ce qui l’inquiète le plus ?
Sa réponse fut dramatique par sa pauvreté :
« Je n’ai pas nécessairement la plus grande inquiétude. Je trouve qu’au début du match, on ressemblait encore à nous-mêmes. Les deux derniers matchs, on ressemblait à nous-mêmes. Et puis on donne un but tôt. C’est défaitiste. C’est mon inquiétude. »
Sa plus grande inquiétude… c’est un but tôt.
Pas la structure honteuse de son système man-to-man.
Pas l’effondrement mental.
Pas la répétition des scores humiliants.
Un but tôt.
Un entraîneur encore attaché à des détails superficielles, refusant obstinément de voir que la maison brûle.
Et quand un journaliste lui a demandé comment on enseigne à une équipe de ne pas s’effondrer après un but, sa réponse révélait toute la fracture actuelle :
« Ça commence avec l’individu. Ils doivent faire la job, peu importe quoi. Les habitudes, c’est tout le temps. Tu ne peux pas juste faire les choses quand tu en as envie. »
Les joueurs, après avoir dit qu’ils n’étaient pas prêts, entendaient maintenant que le problème était leur incapacité individuelle à réagir.
Jamais le leadership.
Jamais l’encadrement.
Jamais l’entraîneur.
Puis la phrase la plus révélatrice de la soirée :
« Je le sens. Je le sens personnellement à 2-0. Je dois continuer. Je dois dire aux gars : continuons, continuons. On fait des bonnes choses. On doit juste aller chercher le prochain. Malheureusement, il n’est pas venu. »
Un entraîneur qui dit je le sens personnellement, c’est un entraîneur qui coule avec son équipe sans comprendre pourquoi.
Et les journalistes, eux, sont restés muets.
Aucun n’a osé dire ce que tout le monde voit : Martin St-Louis n’a plus les réponses.
Et pire encore : il n’a plus l’autorité pour les trouver.
