Depuis sa création en 2011, la chaîne sportive TVA Sports a accumulé des pertes dépassant les 300 millions de dollars.
Face à cette situation financière précaire, Pierre Karl-Péladeau, à la tête de Québecor, a déployé des stratégies innovantes et controversées pour générer des revenus supplémentaires et ainsi assurer la survie de cette branche déficitaire de l'empire médiatique.
Pour renflouer les caisses de TVA Sports, Péladeau a mis en place une stratégie consistant à diriger les producteurs indépendants vers les services de location et de postproduction de son studio MELS en faisant du chantage financier.
Cette méthode impose aux producteurs de recourir aux services de MELS pour leurs projets télévisuels et cinématographiques diffusés sur les chaînes du Groupe TVA, souvent à des coûts supérieurs à ceux du marché. On leur brandit la menace que s'ils n'utilise pas les services de MELS, ils vont perdre leur contrat de diffusion.
"Avec la crise qui sévit dans l’industrie audiovisuelle, les diffuseurs essaient d’avoir une rentrée d’argent à droite pour pouvoir en sortir à gauche." a affirmé un directeur de photographie à la Presse, sous le couvert de l'anonymat.
La Presse a fait son enquête et a pu déceler un climat de peur parmi les artisans et les producteurs qui se sont confiés sous le couvert de l'anonymat "par crainte de perdre des contrats, voire d’être « barrés » du métier." selon les propos du journaliste Charles-Éric Blais-Poulain.
Cette approche a suscité de vives critiques dans le milieu télévisuel et cinématographique. Une vingtaine d'acteurs de ce secteur, interrogés par La Presse, ont dénoncé cette pratique comme étant une forme de monopole malsain, limitant ainsi la flexibilité et le pouvoir de négociation des équipes de production.
En effet, plusieurs producteurs ont exprimé leur frustration face à l'obligation d'utiliser les services de MELS, sous peine de voir leurs projets rejetés.
« Les prix de MELS ne sont pas négociables » affirme un producteur en panique.
"Normalement, on fait sortir le prix de deux ou trois fournisseurs de postproduction, puis on fait notre choix. Mais là, il n’y a pas de négociation. Ton diffuseur t’oblige à aller voir des fournisseurs précis pour la location d’équipements, pour les studios, pour la postproduction."
Les critiques soulignent également que cette stratégie détourne d'importants fonds publics – provenant notamment du Fonds des médias et de Téléfilm Canada – vers de grandes entreprises comme Québecor, au lieu de servir à améliorer la qualité des projets à l'écran.
Cette redirection des fonds est perçue comme une perte pour l'ensemble de l'industrie audiovisuelle québécoise, qui aurait pu bénéficier de ces ressources pour accroître la créativité et l'innovation.
"Nous avons perdu des dizaines de milliers de dollars parce Quebecor oblige les producteurs à utiliser MELS pour être diffusé sur TVA, même si nos soumissions sont moins chère" affirme un dirigeant d'une boîte de post-production.
Bell Média, un autre grand acteur du marché, adopte une approche similaire en orientant les maisons de production vers Grandé Studios, dont elle détient des parts minoritaires.
Cependant, contrairement à Québecor, Bell ne rend pas cette orientation obligatoire, ce qui laisse une certaine marge de manœuvre aux producteurs. En d'autres mot, Bell ne fait pas de chantage financier.
Les producteurs et artisans indépendants subissent les conséquences directes de cette stratégie. Les témoignages recueillis par La Presse révèlent que plusieurs d'entre eux ont perdu des contrats importants car leurs soumissions, bien que souvent moins coûteuses que celles de MELS, n'étaient pas retenues en raison des exigences imposées par Québecor.
« MELS est vraiment plus cher que la compétition. Les factures sont gonflées pour des services qui ne devraient pas être facturés par exemple l’hébergement des données." affirme une productrice,
Les studios indépendants, comme le Studio Notre-Dame, se voient ainsi menacés, tandis que les pigistes, tels que les coloristes, voient leur volume de travail diminuer drastiquement.
« Ça m’affecte énormément » affirme un coloriste.
"Je viens de perdre deux contrats parce que des DOP (directeurs de la photographie) avec qui je travaille et qui voulaient travailler avec moi ne pouvaient pas. On ne devrait pas imposer un coloriste, un métier qui a une valeur artistique, à un directeur photo. C’est un duo qui fonctionne ensemble."
La stratégie de Pierre Karl-Péladeau pour sauver TVA Sports repose sur une intégration verticale des services de production et postproduction via MELS, une approche qui, bien qu'efficace pour générer des revenus supplémentaires, soulève des préoccupations majeures au sein de l'industrie audiovisuelle québécoise quant à la compétitivité, la diversité et la qualité des productions.
Péladeau ne s'en soucie guère. Tant que l'argent rentre. Au diable les principes et la valeurs humaines...