Donald Beauchamp a passé un quart de siècle au cœur de la machine la plus scrutée du Québec : le Canadien de Montréal.
Vingt-cinq ans à gérer les crises médiatiques, les scandales qui menacent d’exploser, les guerres d’ego entre vedettes, les tempêtes de journalistes prêts à tout pour une phrase, un scoop, une fuite.
Un métier où chaque mot peut déclencher un incendie et où le silence est souvent la seule arme. Pourtant, cet homme habitué à travailler derrière la ligne de front, cet ancien vice-président des communications du CH, a choisi aujourd’hui de briser le silence.
Pas seulement pour raconter les coulisses du Canadien, mais pour ouvrir son cœur sur l’histoire la plus bouleversante de sa vie : celle du miracle qui a sauvé son fils Émile, littéralement revenu de la mort.
Son témoignage est tout simplement bouleversant:
Dans l’entrevue qu’il nous a accordée, Beauchamp l’a dit d’emblée : sa vie, désormais, est guidée par un mot.
« Tous les matins, quand je me lève, ce mot-là, c’est gratitude. La gratitude que mon fils soit en vie et en santé. »
L’histoire commence en mars 2019, au Club Med de Cancun. Émile Beauchamp a 15 ans, il est en vacances avec ses parents, Donald et Catherine:
Comme des milliers d’adolescents québécois pendant la relâche scolaire, il profite du soleil, joue avec des amis dans l’océan, lance une balle, rit, oublie les cicatrices de ses six opérations cardiaques subies depuis sa naissance.
Et soudain, le noir total.
« Je lançais une balle avec des amis dans l’océan puis soudain, black-out. Le noir complet », racontera plus tard Émile. Son cœur s’arrête brutalement. Mort subite. Le corps glisse dans l’eau, la tête enfoncée, les jambes encore ballottées par les vagues.
Cet extrait donne des frissons dans le dos:
À quelques mètres, un sauveteur de 19 ans, Jordy, comprend en un instant que quelque chose cloche. Il saute de sa chaise, traîne le jeune corps inanimé hors de l’eau, tente les premières manœuvres de réanimation. Il crie à l’aide.
Premier miracle : cinq médecins québécois et un dentiste, tous en vacances, sont sur la plage. Parmi eux, le Dr Martin Dumas-Laverdière, anesthésiste à l’Hôtel-Dieu de Lévis. Il accourt.
« J’étais convaincu que le jeune homme était noyé. Il avait beaucoup de sable sur la poitrine et une longue cicatrice au sternum. Il fallait faire comprendre aux sauveteurs que nous étions médecins et que nous pouvions aider », dira-t-il plus tard.
Le temps joue contre eux. L’arrêt cardiaque est une course de secondes. Déjà, l’infirmière du Club arrive avec un masque et de l’adrénaline. Le dentiste file chercher le défibrillateur. On tente les premiers électrochocs.
Premier choc, rien. Deuxième, toujours rien. Troisième, pas le moindre battement. Le cœur d’Émile refuse obstinément de repartir.
Pendant ce temps, au loin, Donald et Catherine Beauchamp profitent d’une autre plage. Ils ignorent tout. Jusqu’à ce que le chef du village arrive avec son adjointe, un bracelet du Club Med à la main.
Ce bracelet qu’on coupe pour identifier un enfant en détresse.
« Êtes-vous les parents d’Émile Beauchamp ? » La question qui glace le sang.
Donald se souvient encore de ce moment dans notre entrevue :
« Ils nous ont dit : écoutez, votre garçon, on l’a trouvé noyé. Et il est parti à l’hôpital. Mais ils ne pouvaient pas nous dire s’il était vivant ou décédé. »
Le couple se précipite, le cœur brisé par l’angoisse. Quand ils arrivent à l’hôpital Amerimed, Émile est déjà branché à toutes les machines possibles.
Les médecins ont multiplié les électrochocs, neuf en tout, quatre sur la plage, cinq dans l’ambulance, avant qu’un battement ne revienne. Quarante minutes d’arrêt cardiaque. Statistiquement, aucune chance de survie. Et pourtant, un mince filet d’espoir renaît.
À l’hôpital, le Dr Fernando Rivas, formé à Montréal, prend le relais. Il plonge le garçon en hypothermie artificielle, recouvert de glace, pour protéger son cerveau. Deux jours ainsi, le cœur fragile suspendu à des fils. Donald et Catherine prient, jour et nuit.
« Nous parlions souvent à Émile pendant son coma, me confie Donald, la voix chargée d’émotion. Papa est là. Maman aussi. Lâche pas mon grand. »
Mais le Dr Rivas se montre réaliste : ne vous faites pas de faux espoirs. S’il se réveille, nul ne sait dans quel état.
Quatre jours plus tard, un clignement des yeux. Puis des doigts qui bougent. Puis une voix.
« Qu’est-ce que je fais ici ? »
L’inimaginable se produit : Émile se réveille, sans séquelle apparente.
« On a un patient », lâche le Dr Rivas avec un sourire.
Donald raconte ce moment comme une renaissance.
« On nous a dit qu’il avait moins de 1 % de chances de s’en sortir. Et encore moins de revenir sans séquelle. Mais il est revenu. Il est parfait. »
Émile, miraculé, n’en est pas à sa première bataille. Né avec une tétralogie de Fallot, quatre malformations cardiaques, il avait déjà subi six chirurgies avant 15 ans.
Au Mexique, les médecins lui posent un pacemaker pour prévenir une nouvelle mort subite. À 16 ans, il en est à sa septième opération. Et pourtant, seize jours après le drame, il reprend l’avion pour Montréal, souriant, solide, accompagné d’un médecin venu de Miami.
Aujourd’hui, à 22 ans, il étudie en communication à l’Université de Montréal. Il s’entraîne six jours par semaine au gym. Il lance sa propre entreprise, Fighter Fantasy, inspirée de sa passion pour la UFC.
« Il est en vie, il est en santé. Zéro séquelle. C’est notre plus grande joie », répète Donald.
Au fil de notre entrevue, Donald Beauchamp est revenu sur sa carrière au Canadien, sur ses années à gérer la pression médiatique, mais ce récit dépasse le hockey.
C’est l’histoire d’un père qui a vu son fils mourir sous ses yeux... et revenir. C’est aussi un cri du cœur en faveur d’une cause : équiper tous les lieux publics de défibrillateurs.
« Au Canada, dit-il, 60 000 personnes par année subissent un arrêt cardiaque. Une personne sur dix survit à l’extérieur des hôpitaux. Une seule. Et la clé, c’est la rapidité d’intervention. Mon fils a eu des anges autour de lui. Ces anges, ce sont les médecins qui étaient sur la plage. »
Ce n’est pas un hasard si Beauchamp est aujourd’hui président du conseil d’administration de la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC. Pour lui, chaque défibrillateur installé dans un aréna, une école ou un centre commercial est une chance de répéter le miracle d’Émile.
Il est rare qu’un homme comme Donald Beauchamp se livre ainsi. Sa carrière au CH a été faite de silences stratégiques, de confidences retenues, d’incendies éteints loin des caméras.
Mais quand il parle de son fils, il abandonne la prudence des communiqués. Sa voix tremble, ses mots frappent.
« On a toujours pensé que les anges, c’étaient des créatures avec des ailes blanches. Moi, j’ai compris que les anges, ce sont les médecins qui étaient sur cette plage. »
« Gratitude. Ce mot, je le répète chaque matin. Parce qu’il est là. Parce qu’il vit. »
Dans un Québec où le Canadien est une religion et où ses dirigeants vivent dans l’ombre de la Sainte-Flanelle, le témoignage de Donald Beauchamp brise les codes.
Oui, il a des anecdotes croustillantes sur les coulisses du CH, sur les crises internes et les bombes médiatiques qu’il a dû gérer. Mais il a surtout une histoire humaine qui dépasse le hockey.
Une histoire de mort et de vie, de foi et de médecine, de hasard et de miracles. Une histoire qui rappelle que derrière les communiqués froids et les conférences de presse contrôlées, il y a des pères, des mères, des enfants.
Émile Beauchamp est revenu de la mort. Neuf décharges électriques. Quarante minutes sans battement. Quatre jours dans le coma. Moins de 1 % de chances de survie. Et aujourd’hui, il sourit, il s’entraîne, il étudie, il vit.
Pour Donald Beauchamp, il n’y a pas de plus grande victoire. Ni dans les coulisses du Canadien, ni ailleurs.
C’est une histoire qu’il fallait raconter. Et c’est une histoire qu’il nous a confiée, à cœur ouvert, dans une entrevue que vous pouvez écouter en intégralité ici :
Parce que parfois, les plus grandes leçons de vie ne se trouvent pas sur une patinoire, mais sur une plage de Cancun, entre les mains d’anges sans ailes.
