C'est la fin de la lune de miel entre Nick Suzuki et Martin St-Louis.
Il y a des moments charnières dans la vie d’une équipe. Des micro-secondes où la façade craque, où l’on aperçoit enfin ce que tout le monde refusait de nommer.
Le Canadien a vécu l’un de ces moments le 2 décembre, puis un second, encore plus brutal, dans les 24 dernières heures. Et ensemble, ils forment quelque chose de rare, de dangereux, et d’absolument impossible à ignorer : une rupture entre le coach et son capitaine.
C’est arrivé d’abord dans l’immédiateté cruel d’une dégelée. Une autre. Une soirée cauchemardesque où le système man-to-man s’est effondré devant les Sénateurs il y a une semaine, où les erreurs défensives se sont multipliées, où l’on a senti monter, graduellement mais irrémédiablement, une tension dans la chambre.
Puis Nick Suzuki a laissé tomber la bombe.
« Après la première période, il (St-Louis) est venu dans le vestiaire et a dit que si un joueur n’arrivait pas à défendre notre territoire, qu’il n’arrivait pas à faire son travail, il allait rester sur le banc. C’est toujours difficile de voir un coéquipier être cloué au banc. Jake (Evans) ne mérite pas ça. Il fait tout pour cette équipe. »
Le capitaine a exposé un conflit interne.
C’était l’équivalent médiatique d’un doigt pointé vers la décision de Martin St-Louis de clouer Jake Evans et Josh Anderson au banc. Et Suzuki en rajoute, comme s’il refusait d’avaler la punition :
« C’est dommage pour Jake, qui se bat depuis le début de la saison. Nous aurons besoin de lui lors du prochain match. »
Suzuki s’est placé du côté des joueurs. Pas du côté du coach.
Et ça, dans une chambre jeune, fragile, qui encaisse humiliation après humiliation, c’est le premier signe d’une fracture.
Cole Caufield lui-même, habituellement mesuré, a ajouté une couche :
« J’en ai marre de perdre parce que nous jouons mal dans notre zone… Vous devez repérer votre homme, gagner vos batailles… La majorité de leurs buts viennent d’erreurs de notre part. C’est inacceptable. »
Aucun joueur ne parle comme ça d’un système… sauf quand il n’y croit plus.
Une semaine plus tard St-Louis humilie publiquement Suzuki. Et ça, c’est peut-être encore plus grave.
Le journaliste Arpon Basu confronte Martin St-Louis:
« Nick a dit que, parce que vous avez beaucoup de blessures, une équipe déjà jeune est devenue encore plus jeune. Est-ce que ça reflète votre ressenti ? »
St-Louis l’interrompt :
« Répète ça ? »
Il sait très bien ce que Basu vient de dire.
Il veut le déstabiliser.
Il veut marquer son territoire.
Basu reformule.
Alors St-Louis crache son venin :
« Étions-nous l’équipe la plus jeune pour commencer la saison ? Oui. Et nous étions 10-3-2. Y’avait-il un problème de jeunesse ? Non. Alors pourquoi maintenant ? »
Puis il plante le poignard :
« Je ne sais pas. Demande ça à Nick. C’était cinq minutes après un match. C’est émotionnel. »
Voici la séquence vidéo où le pauvre journaliste se fait maltraiter par le coach:
Une manière détournée de dire : 'on capitaine a parlé sans réfléchir, a dit n’importe quoi et avait tort.
Et enfin, sa phrase-fétiche :
« Tu as deux choix : faire du progrès ou faire des excuses. Tu ne peux pas faire les deux. »
Le message est cinglant : ce que Suzuki a dit est une excuse. Et moi, Martin St-Louis, le dieu tout puissant, je refuse de valider cette excuse.
Dans le code non écrit du hockey, c’est un uppercut. Un coach ne contredit pas son capitaine en public. Jamais. À moins qu’un rapport de force soit déjà engagé.
Et là, il l’est.
Devant le même micro, devant les mêmes journalistes, St-Louis se retrouve questionné sur la débâcle défensive, sur le système qui implose match après match.
Sa réponse est tranchante :
« Vous pouvez avoir la meilleure des structures, tout commence avec l’attitude. Les gars connaissent leurs responsabilités. C’est une question d’attitude. »
Il vient de faire ce que tous les joueurs détestent : pointer vers eux quand le système ne tient plus.
Et quand on lui demande s’il doit changer son approche ? Il coupe net :
« Je ne coache pas les erreurs isolées, je coache les tendances. »
Mais quand ces tendances mènent à :
5-1 contre Los Angeles
7-0 contre Dallas
8-4 contre Washington
7-2 contre Colorado
6-1 contre Tampa Bay …c’est qu’il y a plus qu’une tendance.
Suzuki défend les joueurs, expose les décisions internes, exprime un malaise profond.
St-Louis, qui corrige son capitaine, nie le malaise, renvoie la responsabilité vers le vestiaire.
C’est une déclaration de guerre froide.
Et quand le coach n’a plus le capitaine…
Il n’a plus l’équipe.
Et quand il n’a plus l’équipe… c'est bientôt la fin...
