La déclaration qui fait mal: Sidney Crosby abandonne Nick Suzuki

La déclaration qui fait mal: Sidney Crosby abandonne Nick Suzuki

Par David Garel le 2025-11-06

À Montréal, l’ambiance est paradoxale. D’un côté, le capitaine Nick Suzuki vit sans doute le meilleur début de saison de sa carrière : trois buts, seize passes, dix-neuf points en treize matchs, une constance à toute épreuve, et une efficacité à cinq contre cinq qui inspire confiance.

De l’autre, un malaise grandit dans les coulisses : et si, malgré tout, le capitaine du Canadien voyait sa place au sein d’Équipe Canada glisser entre ses doigts ?

Parce qu’à San Jose, un certain Macklin Celebrini est en train de voler la vedette à tout le monde, et il a le plus redoutable des parrains : Sidney Crosby.

Depuis le camp d’orientation d’Équipe Canada, la phrase tourne en boucle dans les bureaux de Hockey Canada :

« Il a gagné le droit d’être dans la conversation. » Ce sont les mots exacts de Crosby à propos de Celebrini. Une phrase lourde de sens, presque prophétique, parce qu’elle ouvre la porte au jeune prodige de 19 ans pour une place parmi les 13 attaquants de la formation olympique de 2026.

Et cette porte, elle s’ouvre forcément aux dépens de quelqu’un. En coulisses, personne n’ose le dire tout haut, mais tout le monde le pense : le nom qui pourrait en payer le prix, c’est Nick Suzuki.

Ce qui rend la situation encore plus explosive, c’est que Celebrini ne cesse d’alimenter sa propre légende. Huit buts, treize passes, 21 points en 14 matchs avec une équipe en déroute comme les Sharks, c’est presque irréel. (différentiel de +4)

Il joue plus de vingt et une minutes par match, affronte les meilleurs trios adverses, et affiche un différentiel positif dans un club qui perd presque tous ses matchs.

On ne voit pas ça souvent. À tel point que Doug Armstrong, le directeur général d’Équipe Canada (et des Blues de Saint-Louis), a personnellement dépêché un dépisteur à San Jose pour le suivre sur place match après match.

Quand le DG d’une équipe olympique s’intéresse à un adolescent avec autant d’insistance, c’est rarement pour le simple plaisir de rêver à l’avenir.

Pendant ce temps, à Montréal, Suzuki fait exactement ce qu’on attend de lui et plus encore. Il a transformé son trio avec Caufield et Slafkovsky comme une ligne élite, enchaîne les performances exemplaires, et incarne une forme de stabilité que peu de joueurs canadiens possèdent.

Doug Armstrong a d’ailleurs assisté en personne à son festival contre les Flyers, où Suzuki a livré un match complet : domination au cercle des mises au jeu, vision du jeu impeccable, but sur une passe magistrale de Demidov et un lancer bloqué qui a sauvé son équipe.

Tout ce qu’un entraîneur pourrait souhaiter d’un centre polyvalent dans un tournoi court comme les Jeux. Et pourtant, la tension monte : Crosby ne parle pas de lui.

Le silence du capitaine des Penguins a fait mal à Montréal. Parce qu’au sein de Hockey Canada, les mots de Crosby pèsent plus lourd que n’importe quelle statistique.

Quand Crosby appuie un joueur, il ne fait pas qu’émettre une opinion : il façonne la hiérarchie morale du vestiaire canadien.

Et le fait qu’il ait choisi de mettre en lumière Celebrini sans même nommer Suzuki a été perçu comme une exclusion évidente, surtout que les deux joueurs sont en compétition pour les derniers postes avec Robert Thomas et Mark Scheifele.

Dans l’écosystème médiatique canadien, cela a suffi à déplacer le centre de gravité : le jeune prodige est devenu la coqueluche du public, pendant que Suzuki, pourtant irréprochable, a disparu du discours.

Le contexte n’aide pas. Suzuki n’a jamais été un favori politique à Hockey Canada. Il n’a pas les relations d’Anthony Cirelli, protégé du duo John Cooper–Julien BriseBois à Tampa Bay, deux figures clés du comité de sélection.

Il n’a pas non plus le prestige médiatique d’un Connor Bedard ou la nouveauté rafraîchissante d’un Celebrini. Il incarne plutôt le capitaine modèle, sobre, fiable, discret, ce qui, paradoxalement, le rend moins « sexy » pour un tournoi où le narratif compte autant que la performance.

C’est le drame des joueurs équilibrés : ils font tout bien, mais on les oublie vite.

À Montréal, on commence à en parler avec inquiétude. Les analystes locaux, qui voyaient Suzuki comme un choix automatique pour un rôle de troisième ou quatrième centre au sein d’Équipe Canada, reconnaissent désormais que le vent tourne.

Le fait que Celebrini ait participé au Championnat du monde, alors que Suzuki avait décliné l’invitation, pèse lourd dans l’opinion des décideurs.

C’est ce tournoi qui a permis à Celebrini de prouver qu’il pouvait performer sur grande scène, dans un rôle défensif, face à des vétérans. Et c’est précisément ce que Hockey Canada cherche pour compléter son alignement derrière les McDavid, Crosby, MacKinnon et compagnie.

Le pire scénario pour Suzuki serait que le comité de sélection, influencé par Crosby et Armstrong, choisisse d’équilibrer son alignement en combinant jeunes et vétérans.

Dans cette logique, un quatrième trio formé d’un joueur énergique (Cirelli), d’un centre polyvalent en pleine ascension (Celebrini) qui peut jouer à l'aile et d’un ailier responsable (comme Scheifele ou Point) pourrait être privilégié.

Ce serait tellement cruel. Car Suzuki a construit sa réputation sur les mêmes qualités que celles que Celebrini est aujourd’hui encensé pour avoir : intelligence, sens du jeu, discipline, constance.

Le jeune joueur de San Jose n’est finalement que le reflet du Suzuki de 2021, celui qui avait mené le Canadien en finale de la Coupe Stanley.

Sauf qu’aujourd’hui, la narration médiatique préfère la nouveauté à la loyauté. Le pays découvre Celebrini comme il avait jadis découvert Crosby, et le hockey canadien adore ces histoires de passation de flambeau. Même si, cette fois, la torche risque de brûler un innocent.

Le symbole est fort. Nick Suzuki est capitaine du Canadien, mais il n’est pas capitaine dans le cœur du Canada. C’est toute la nuance. À Montréal, il est le visage de la reconstruction, le modèle de persévrance, celui qui a accepté de porter le poids du marché le plus exigeant de la LNH.

Mais à l’échelle nationale, il reste perçu comme un bon joueur d’équipe, pas une vedette. Et dans une sélection où chaque place se joue aussi sur la perception, cela peut faire toute la différence.

Crosby, lui, n’a pas prononcé un mot au hasard. Il sait très bien que son opinion résonne jusque dans les bureaux de Doug Armstrong et de Jon Cooper.

En supportant Celebrini, il l’a propulsé sur la voie royale vers Milan 2026. Et par effet domino, il a fragilisé la candidature de Suzuki.

D’autant plus que Robert Thomas, le centre numéro un des Blues de Saint-Louis, et donc protégé d’Armstrong, sera lui aussi dans la conversation. Si Armstrong pousse pour Thomas, Cooper pour Cirelli et Crosby pour Celebrini, le blocage devient évident : où placer Suzuki ?

Ce débat, purement symbolique il y a quelques mois, devient aujourd’hui un véritable enjeu politique. Car Suzuki, en plus de devoir prouver chaque soir qu’il mérite sa place, doit désormais combattre un vent narratif contraire.

Il n’a pas de mentor influent pour plaider sa cause. Il n’a pas non plus de carte « avenir du hockey canadien » à jouer. Il est dans cette zone grise, celle du joueur complet qu’on respecte, mais qu’on relègue au second plan au moment des choix finaux.

Et pourtant, objectivement, il n’a jamais été aussi fort. Mais la logique sportive ne suffit pas toujours. Au Canada, la sélection olympique est une game politique, où les symboles et les alliances comptent autant que les chiffres.

À Montréal, on commence à comprendre que la menace ne vient plus de l’extérieur, mais du prestige interne. Suzuki joue contre des noms, pas contre des chiffres. Et ces noms (Crosby, Cooper, Armstrong) ont le pouvoir de décider de son destin.

Dans cette guerre silencieuse, la performance ne sera peut-être pas suffisante. Pour Suzuki, le vrai combat ne se jouera pas sur la glace, mais dans les coulisses d’Hockey Canada, là où l’ombre de Crosby pèse plus lourd que la lumière des statistiques.