Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les cotes d’écoute du printemps dernier sont tombés, et ils n’ont rien d’anodin.
Pour la tranche 25-54 hommes, cible reine dans le marché sportif, BPM Sports avait des forces indiscutables. Le matin, l’émission matinale (Max Lalonde, Anthony Desaulniers et Gilbert Delorme) affichaient 5,7 de part de marché.
Tony Marinaro, dans son créneau de 10h à midi, atteignait 4,7.
Georges Laraque et Stéphane “Gonzo” Gonzalez écrasaient la concurrence à l’heure du lunch avec 9,3.
Et Martin Lemay, dans le retour, affichait un impressionnant 9,2.
Dans le monde de la radio sportive, les résultats de Laraque-Gonzo et Lemay ne sont pas juste bons, ils sont spectaculaires. Et surtout, ils sont rares dans un contexte où la plupart des stations se battent pour gratter quelques points.
Ces chiffres signifiaient que BPM Sports avait trouvé un équilibre, un alignement d’animateurs qui savaient capter leur public et le fidéliser.
C’est là que la décision de Robert Ranger, président et chef de la direction chez RNC Media, devient difficile à comprendre.
Comment peut-on justifier le congédiement d’un animateur qui signait 9,2 de part de marché ? Comment peut-on se séparer d’un pilier qui faisait presque jeu égal avec la locomotive de la station, l’émission de Laraque et Gonzo ?
Martin Lemay ne faisait pas que livrer un show : il construisait un rendez-vous. Il apportait une structure, une rigueur, et un réseau de collaborateurs qui enrichissaient le contenu.
Dans une industrie où la fidélité de l’auditeur est fragile, son émission était un rare point d’ancrage solide. Les auditeurs savaient que, peu importe l’actualité sportive du jour, le retour de BPM Sports allait être dynamique, bien informé et authentique.
Ce n’est pas une question de talent, tout le monde en convient. C’est une décision purement économique. Mais même là, la logique surprend : comment affaiblir volontairement l’un des deux créneaux les plus performants d’une station déjà en déficit ?
La radio c’est avant tout une affaire de contenu qui se traduit en revenus… et en crédibilité.
Il faut prendre un moment pour penser à l’humain derrière le micro. Martin Lemay n’a pas seulement perdu une émission, il a perdu un espace où il exprimait sa passion, où il partageait chaque jour son amour du sport avec ses auditeurs.
Derrière les chiffres, derrière les parts de marché, il y a un homme qui vivait pour ce rendez-vous quotidien. Et aujourd’hui, lui et sa famille doivent composer avec ce vide.
Ce n’est pas rien de voir un projet que tu as construit, nourri et porté être retiré du jour au lendemain. Nos pensées les accompagnent, parce qu’il faut une sacrée dose de courage pour encaisser un tel coup.
Martin n’était pas seulement un animateur performant : il était une figure de stabilité dans une station qui, ces dernières années, a connu plus que sa part de turbulences.
Perdre ce point d’ancrage, c’est une onde de choc non seulement pour lui, mais pour tous ceux qui l’entourent, professionnellement et personnellement.
Sa famille vit aussi cette épreuve, et il serait hypocrite de minimiser le stress que cela engendre. Ce genre de décision laisse toujours un goût amer, surtout lorsqu’elle n’est pas liée à une baisse de performance.
À partir de cet automne, ce sont Greg Lanctot, FX Bernard et Benoit Roger qui prendront les commandes du retour (de 14h à 16h). Le défi est colossal : maintenir, voire dépasser, une performance de 9,2 dans une tranche horaire aussi compétitive.
Reproduire la connexion que Martin Lemay avait bâtie avec son auditoire prendra du temps… et il n’est pas garanti que les fidèles resteront au rendez-vous.
Pour comprendre cette décision, il faut revenir au contexte. RNC Média est encore propriétaire officiel de BPM Sports jusqu’à l’approbation de la vente par le CRTC, prévue pour l’hiver 2026, probablement en janvier ou février.
En attendant, toutes les décisions passent par eux, même si elles sont prises en consultation avec Sylvain Chamberland, futur propriétaire via Arsenal Média.
L’objectif de RNC est clair : limiter les pertes, estimées à environ 2 millions de dollars par année. Dans cette logique, chaque contrat est scruté, chaque salaire discuté.
Mais congédier un animateur performant, c’est jouer à la roulette russe avec la loyauté des auditeurs. Une économie à court terme peut coûter cher à long terme, surtout dans un marché où chaque point de cote d’écoute compte.
Quand Sylvain Chamberland prendra officiellement les rênes, il héritera d’une station affaiblie mais encore dotée de valeurs sûres.
L’émission du midi, avec Laraque et Gonzo, demeure un joyau avec ses 9,3 de part de marché. Mais il devra rapidement trancher : reconquérir les auditeurs perdus du retour, solidifier le matin (Anthony Marcotte remplace Max Lalonde) et réinventer le 10h–midi laissé par Tony Marinaro (4,7).
À noter que Max Lalonde sera en onde de 10h à 11h et que Laraque-Gonzo seront en dondes de 11h à 14h, en attendant qu'Arsenal Média devienne officiellement propriétaire de la station.
Sylvain Chamberland se prépare à prendre les commandes de BPM Sports. Autant le dire : il connaît son sport.
C’est un passionné qui comprend la radio de l’intérieur, qui sait ce que c’est que de bâtir une grille cohérente et performante.
Il connaît le marché, il connaît les auditeurs, et il sait ce que ça prend pour reconnecter une station avec son public.
Dans un univers où beaucoup improvisent, lui avance avec un plan. Là où Robert Ranger a fait des choix qui paraissent incompréhensibles vu les chiffres, Chamberland est plus stratégique, plus attentif aux résultats et à la valeur réelle de ses talents.
Il sait que la radio sportive, ce n’est pas juste une question de coûts, c’est une question de voix qui résonnent avec le public.
Robert Ranger semble avoir pris sa décision sur un tableau comptable, alors qu'on aurait probablement cherché à protéger une force de la station, même en période de transition.
Un 9,2 de part de marché dans le retour, ça ne s’invente pas, ça se bâtit. Et on sait aussi que ce genre de performance est rare, surtout dans un marché aussi compétitif que Montréal.
Derrière les chiffres et les décisions, il y a un climat interne. Le départ d’un animateur apprécié, malgré ses performances, envoie un message ambigu à ceux qui restent. Les talents savent qu’ils ne sont pas à l’abri, même avec de bons résultats.
Cela peut provoquer une prudence excessive, un ton plus calculé à l’antenne, et donc une perte d’authenticité. Or, en radio sportive, l’authenticité est la monnaie d’échange la plus précieuse.
Les données de marché sont souvent un thermomètre précis. Un 9,2 dans le retour, c’est la preuve que Martin Lemay savait capter le public de fin d’après-midi, cette tranche où les auditeurs veulent à la fois de l’information et du divertissement.
Un 9,3 au midi montre que Laraque et Gonzo sont devenus une habitude pour des milliers d’auditeurs. Le 5,7 du matin et le 4,7 du 10h-midi, eux, démontrent des segments plus fragiles qu'il faudra remonter coûte que coûte.
Au final, la question persiste : pourquoi couper un animateur qui livrait un tel rendement ? Les raisons officielles sont économiques, mais l’économie ne se résume pas à réduire les dépenses.
Est-ce que RNC Média cache une autre raison qu'on ne veut pas dévoiler?
Pour Martin Lemay, l’épreuve est lourde. Perdre son micro alors que son émission performait à ce niveau, c’est un choc professionnel et personnel.
BPM Sports joue avec le feu. En cédant une de ses forces, la station se met volontairement en position de fragilité avant même la transition vers Arsenal Média.
Greg Lanctot, FX Bernard et Benoit Roger ont un mandat ingrat : prouver que cette décision n’était pas une erreur stratégique.
Les auditeurs, eux, auront le dernier mot. Dans quelques mois, les prochains codes d’écoute diront si la greffe a pris… ou si BPM Sports a sacrifié un pilier pour rien.