José Théodore n’avait pas choisi n’importe qui pour inaugurer son nouveau balado « 60 avec le 60 ».
Inviter Michel Therrien, son ancien entraîneur avec qui il a remporté le Vézina et le Trophée Hart en 2002, c’était déjà prometteur.
Mais personne ne s’attendait à ce que les deux lèvent ainsi le voile sur des pratiques pour le moins explosives. Dans un échange brut, sans langue de bois, Théodore et Therrien ont admis qu’ils faisaient… des paris sportifs ensemble, en plein cœur de la saison, pour motiver le gardien.
« On se faisait des petits gageurs », a lancé Therrien avec son franc-parler habituel. Théodore, crampé mais lucide, a confirmé :
« Je m’en souviens. Il avait mis un système de gageurs, l’année 2002. Un jeu blanc, c’était 50 piastres ou 20 piastres. Si je donnais un but, c’était 20 piastres. Deux buts, c’était encore 20 piastres. Trois buts… là, c’était moi qui donnais l’argent. »
Therrien en a rajouté :
« Il venait quasiment me collecter le lendemain matin. Moi, dans ma tête, j’étais content qu’il fasse un blanchissage. Mais lui, ça le motivait. Ça sortait son feu. »
On comprend vite que ce petit système, aussi « anodin » qu’il puisse sembler raconté sur un ton de camaraderie, constituait bel et bien une forme de pari illégal du point de vue de la LNH.
À l’époque, la Ligue interdisait strictement tout lien entre performance individuelle et argent placé en gage par les entraîneurs ou par le staff.
Mais Théodore, dans sa franchise, a reconnu l’effet galvanisant :
« À la fin, il m’avait quasiment fait un chèque en blanc, Mike. Chaque fois que j’arrivais avec un blanchissage, je savais que je collectais. Ça m’a motivé, ça me poussait. »
On touche ici à une zone grise fascinante de l’histoire du Canadien. En 2002, Théodore connaissait une saison irréelle : 30 victoires, 7 jeux blancs, une moyenne de 2,11 et un taux d’efficacité de ,931.
Il allait chercher le Vézina devant Dominik Hasek et Patrick Roy, puis le Hart devant Jarome Iginla. Et dans les coulisses, son entraîneur utilisait ce système de paris clandestins pour le stimuler encore davantage.
Aujourd’hui, cette révélation tombe comme une bombe. On imagine déjà la réaction de la LNH si un entraîneur avouait en conférence de presse avoir parié avec son gardien sur ses performances.
Mais Therrien et Théodore en parlent avec un naturel déconcertant, comme si cette mécanique faisait partie d’un vieux hockey « à l’ancienne », brut, sans filtre, où l’important était de trouver n’importe quel moyen pour gagner.
Ce qui choque, c’est aussi le contexte actuel. En 2025, la LNH a des partenariats officiels avec des géants du pari sportif. Elle vend des données en temps réel à des plateformes de mises en direct.
Les joueurs sont constamment exposés à la tentation. Et voilà que deux grandes figures du Canadien avouent qu’au début des années 2000, ils jouaient déjà avec cette limite. La différence? À l’époque, c’était illégal, secret, et strictement interdit par la convention de la Ligue.
Ce balado devient donc une pièce d’archive sensationnelle. Non seulement parce que Théodore et Therrien se retrouvent, mais surtout parce qu’ils lèvent le voile sur une énorme partie de leur relation que personne ne soupçonnait.
Leur complicité allait bien au-delà de la simple relation coach-joueur. Elle passait par ce pacte de gageurs, qui, en rétrospective, explique peut-être en partie l’intensité et la confiance qui ont marqué la saison de rêve de Théodore.
La phrase de Therrien résonne encore :
« Il fallait que je sois capable de tirer le maximum de mes gars. José, je savais comment le faire marcher. Les gageurs, ça le mettait dans le bon état d’esprit. »
Ce n’était pas un détail. C’était une méthode. Et une méthode interdite.
Alors oui, 23 ans plus tard, ces aveux font l’effet d’un tremblement de terre. José Théodore et Michel Therrien viennent de redessiner la légende de 2002 : derrière les arrêts miraculeux et les trophées, il y avait aussi des billets de vingt piastres qui circulaient.
Peut-être que nous avons la réponse qui explique pourquoi José Théodore ne reçoit toujours pas la reconnaissance officielle qu’il estime mériter.
Ces révélations sur les paris illégaux viennent s’ajouter à une longue liste de zones grises qui entourent l’héritage de José Théodore.
Et c’est peut-être là qu’on comprend enfin pourquoi le Canadien a tiré un trait sur son nom. Derrière le héros de 2002, il y a eu une succession de scandales qui ont fragilisé sa réputation et qui collent encore à sa peau.
On pense d’abord à cette photo célèbre avec un groupe de motards. Théodore a beau avoir expliqué qu’il s’agissait d’une rencontre fortuite, le mal était fait : dans l’œil du public, il s’était retrouvé dans un univers qui n’avait rien à voir avec la rigueur qu’on attendait du gardien vedette du Canadien.
Ajoutez à ça l’affaire judiciaire de 2006, lorsque son père et deux de ses oncles ont été accusés de blanchiment d’argent. Théodore n’a jamais été impliqué directement, mais l’ombre projetée sur son nom a suffi pour ternir son image auprès de l’organisation.
Il y a aussi le mythe des « trois amigos » : José Théodore, Mike Ribeiro et Pierre Dagenais, décrits comme des fêtards invétérés, toujours prêts à sortir après les matchs.
Théodore a nié plus tard, affirmant que leur fréquentation hors glace était largement exagérée. Mais à Montréal, la perception pèse plus lourd que la réalité. Et quand ton équipe se bat pour une place en séries, voir ton gardien associé à des soirées en ville devient une arme médiatique fatale.
Tout ça s’est empilé. Les blessures, la pression infernale des médias, les attentes impossibles. Et quand est arrivée l’heure du divorce avec le Canadien, en mars 2006, l’organisation a choisi de tourner la page avec une froideur glaçante.
David Aebischer en retour d’un ancien gagnant du Hart et du Vézina : c’était l’équivalent d’un crachat au visage pour un joueur qui avait porté l’équipe à bout de bras quatre ans plus tôt.
Depuis ce jour, l’organisation n’a jamais fait un seul geste concret pour réhabiliter son image. Pas d’invitation au tournoi de golf, pas de mention dans les cérémonies au Centre Bell, pas de place au cercle d’honneur. Rien. Le silence comme punition. Comme si les exploits de 2002 n’avaient jamais existé.
Et c’est là que le contraste devient violent. Comment un joueur qui a gagné le Hart, un trophée que même Carey Price n’a remporté qu’une seule fois, peut-il être ainsi effacé de la mémoire officielle du Canadien?
Comment expliquer que Shea Weber ait déjà son nom sur l’anneau d’honneur, alors que Théodore, Québécois francophone, héros de 2002, reste dans l’oubli?
La réponse, elle est sans doute dans ce mélange explosif de scandales, de perceptions négatives, et maintenant de ces révélations sur les paris sportifs avec Michel Therrien.
Aux yeux du Canadien, Théodore n’a jamais été « safe ». Pas assez lisse, pas assez contrôlable. Trop de zones grises.
Mais au-delà de ses erreurs, José Théodore reste plus grand que ses démons. Sa saison 2001-2002 demeure l’une des plus mythiques de l’histoire du club. Ses 7 blanchissages, ses arrêts miraculeux, son trophée Hart, son Vézina… personne ne peut effacer ça.
Il a incarné, l’espace d’un printemps, le symbole du héros montréalais : flamboyant, spectaculaire, capable de tout arrêter.
Alors oui, le Canadien peut continuer de l’ignorer. Oui, ses frasques et ses controverses expliquent en partie ce rejet.
Mais l’histoire, elle, retiendra que José Théodore a porté le Tricolore comme peu d’hommes l’ont fait avant lui. Et qu’il mérite, un jour, de retrouver la place qui lui revient dans la mémoire officielle de l’organisation.
Peu importe les 20 piastres en-dessous de la table.