À Montréal, on a toujours aimé se donner l’image d’une organisation « noble », vieille école, où le moindre bouton de manchette du veston doit passer par l’approbation de trois vice-présidents et où, si tu as le malheur de vouloir te faire un petit extra hors de la glace, on te regarde comme si tu venais de vendre ton âme au diable.
C’est ça, la Sainte-Flanelle : une église avec ses règles non écrites. Et aujourd’hui, Patrik Laine vient d’allumer la chandelle qui risque de faire lever bien des sourcils dans les bureaux vitrés du Centre Bell.
Parce que oui, Laine n’a pas attendu de jouer trois saisons à Montréal pour commencer à se bâtir un petit empire personnel.
À peine débarqué l’an passé, le Finlandais a déjà apposé sa barbe et son air de rockstar sur une bouteille de boisson énergisante en Finlande, une collaboration avec la marque Oshee qui, évidemment, ne fait pas partie du répertoire de la cantine du Centre Bell.
Non, on ne parle pas d’un Gatorade avec un petit logo discret approuvé par le département marketing du CH.
On parle d’un produit 100% européen, marketé à mort dans son pays, avec Laine en pleine face, sourire carnassier, comme si on assistait au retour d’une tournée mondiale de Rammstein.
Et ça, dans l’univers du Canadien, ça fait lever des drapeaux.
Pas parce que Laine utilise le logo du CH ... il ne le fait pas, et il est assez intelligent pour éviter cette erreur de débutant ... mais parce que ça réveille un vieux malaise.
Ce même malaise qui a existé avec P.K. Subban quand il s’est mis à signer des deals à gauche et à droite, à faire des pubs et à devenir plus gros que l’équipe dans l’œil du public.
On se souvient tous du regard crispé de Marc Bergevin chaque fois que Subban faisait une apparition publique qui n’avait rien à voir avec le hockey.
À Montréal, c’est tolérance zéro pour tout ce qui donne l’impression que la « marque joueur » devient plus forte que la « marque équipe ».
Et là, avec Laine, on vient de replonger dans cette vieille paranoïa.
Sauf qu’il y a une différence majeure. Patrik Laine, en Finlande, c’est déjà une légende vivante. Il n’a pas besoin du CH pour vendre quoi que ce soit là-bas.
Ce n’est pas un espoir qui essaie de se faire un nom.
Ce n’est pas un joueur de quatrième trio qui cherche à rentabiliser ses 200 000 abonnés Instagram.
C’est une rockstar du hockey finlandais.
Le gars pourrait vendre des frigos dans le cercle polaire et ça partirait en rupture de stock.
Alors, quand il sort un drink à son nom, c’est un événement… en Finlande.
Ici, c’est juste un prétexte pour jaser en plein mois d’août...
Mais au Centre Bell, on sait comment ça marche : aujourd’hui, c’est une boisson énergisante en Europe.
Demain, c’est un deal avec une marque internationale qui veut utiliser son image en Amérique du Nord.
Et là, on entre dans une zone qui met les patrons sur les nerfs.
Parce que tout partenariat majeur doit passer par la LNH et par l’organisation.
Et même si Laine ne fait rien d’illégal, on sait que, dans cette ville, les perceptions comptent autant que les faits.
La moindre apparition publique, le moindre geste qui donne l’impression qu’un joueur « joue sa game » en dehors de la glace, ça se transforme en débat d’opinion sur les lignes ouvertes.
C’est aussi ça, Montréal : un marché où le hors-glace est parfois plus scruté que les performances sur la patinoire.
Carey Price, par exemple, a été l’égérie de plusieurs marques pendant sa carrière, mais il l’a toujours fait d’une manière « acceptable » pour la direction.
Brendan Gallagher aussi. Même Noah Dobson, fraîchement débarqué, a sauté sur un partenariat avec Cadillac en un claquement de doigts.
Mais on parle de marques qui cadrent avec l’image nord-américaine, validées dans les coulisses. Pas d’un produit venu de l’autre bout du monde, complètement hors du circuit corporatif du CH.
Ce qui rend Laine encore plus imprévisible dans ce dossier, c’est sa personnalité.
On le sait : Patrik Laine n’a jamais été le gars le plus « corporate » de la LNH.
C’est un franc-tireur, dans tous les sens du terme.
Sur la glace, il aime jouer à sa façon.
Hors glace, il ne se gêne pas pour faire les choses à sa manière.
Ce n’est pas un hasard si son nom a souvent été associé à des histoires de « compatibilité » dans les vestiaires.
Il n’a pas peur d’assumer qui il est. Et quand tu mets un gars comme ça dans un marché comme Montréal, où chaque décision peut se retrouver en première page, c’est une recette parfaite pour les frissons dans le bureau du DG.
En même temps, est-ce que Laine fait vraiment quelque chose de mal? Absolument pas.
Ce drink Oshee ne se vend même pas au Québec.
Il n’y a aucun lien avec le logo du Canadien. Aucune règle violée.
C’est un joueur qui capitalise sur sa notoriété dans son pays natal, point. Mais c’est ça, l’ironie : même quand ce n’est pas grave, à Montréal, ça devient un sujet.
Parce qu’on est encore marqués par les épisodes passés. On est encore traumatisés par l’idée qu’un joueur devienne une « star de marketing » avant d’être un joueur du CH.
Et il faut dire que l’historique est lourd. On n’a qu’à se rappeler les chicanes sous-jacentes avec Subban, les soupirs de la direction quand Max Domi multipliait les projets hors-glace, ou encore les malaises quand certains joueurs prenaient trop de place dans l’espace médiatique en dehors des conférences de presse officielles.
À Montréal, la vieille école préfère que les gars soient 100% concentrés sur le hockey.
Les initiatives personnelles? Oui, mais discrètes.
Toujours avec un clin d’œil d’approbation des hautes instances. Et surtout, jamais, ô grand jamais, d’air de rockstar qui pourrait voler la vedette à l’équipe.
Alors, qu’est-ce qu’on a ici avec Laine? Rien de dramatique.
Juste un geste anodin qui, dans 25 autres marchés de la LNH, passerait complètement inaperçu.
Mais à Montréal, ça devient un symbole. Un rappel que, peu importe l’année ou le DG, la direction du CH garde toujours un œil sur ce que ses joueurs font en dehors de la glace.
Et que, même si on ne peut rien reprocher légalement à Laine, il y aura toujours cette petite crispation dans les bureaux.
Parce que dans cette ville, on aime contrôler le narratif, et Laine, lui, aime l’écrire à sa manière.
En attendant, la vérité, c’est que ça ne changera absolument rien à sa saison.
Laine va débarquer au camp d’entraînement, marquer des buts, donner des entrevues où il glissera une ou deux phrases piquantes, et le reste appartiendra aux tabloïds.
Mais dans un marché où l’on peut passer une semaine à décortiquer la coupe de cheveux d’un joueur, on sait très bien que ce genre de petite bombe marketing va continuer à alimenter les discussions… surtout en août, quand on n’a rien d’autre à se mettre sous la dent.
Alors, Patrik, continue à vendre ton Oshee en Finlande.
Ici, on va continuer à faire ce qu’on fait de mieux : transformer ça en mini-crise nationale, juste pour le plaisir.
Parce qu’au fond, ce n’est pas vraiment le drink qui dérange.
C’est l’idée que, pour une fois, le Canadien ne contrôle pas toute l’image de l’un de ses joueurs.
Et ça, dans l’univers bien ordonné de la Sainte-Flanelle, ça vaut bien quelques nerfs à vif.
AMEN