Il fallait que ça vienne de quelqu’un d’irréprochable pour que tout le monde réalise à quel point Martin St-Louis est en train de gâcher un joyau.
Même Mathias Brunet, d’ordinaire patient avec les jeunes joueurs, a fini par sortir le marteau : Ivan Demidov est mal utilisé, mal entouré, et ça se voit dans chaque chiffre.
Trois matchs, trois constats qui font mal. L’attaque du Canadien roule, Zachary Bolduc brille, Kirby Dach tient son rôle, mais le trio d’Ivan Demidov, Alex Newhook et Oliver Kapanen traîne la patte comme aucun autre. Et ce n’est pas une impression : les statistiques avancées de Brunet le confirment sans appel.
Le trio Suzuki–Caufield–Slafkovský domine outrageusement ses adversaires : 42 tirs tentés contre 20, un ratio de 67 %.
Le trio Dach–Bolduc–Gallagher suit avec 24-21, soit 53 %, une belle surprise pour un trio improvisé.
Celui d’Evans–Anderson–Laine affiche 14-20, donc 41 %, plombé par la lenteur et le manque d’implication de Laine.
Et enfin, celui de Kapanen–Newhook–Demidov… tombe à 14 tirs pour contre 29 contre, un minuscule 32 %.
À cinq contre cinq, le Canadien se fait littéralement étouffer dès que ce trio met le patin sur la glace. Et c’est encore pire lorsqu’on regarde les tirs cadrés : 6 tirs sur le filet pour, 21 contre. On parle ici d’un rapport de 32 % en faveur de l’adversaire.
C’est plus qu’un problème de chimie. C’est un fiasco structurel. Et c’est surtout la démonstration parfaite de la dérive de Martin St-Louis, qui semble décidé à faire “payer” Demidov avant de le laisser briller.
À moins que le coach manque tout simplement... de vision...
Ce n’est pas la première fois qu’on voit ce film. À Saint-Pétersbourg, en KHL, Roman Rotenberg faisait exactement la même chose. Il l’avait cloué au banc pendant des semaines, l’accusant de ne pas jouer sans la rondelle, de manquer d’effort défensif.
À l’époque, on criait à l’injustice, on disait que Rotenberg voulait le punir pour son départ vers la LNH.
Mais aujourd’hui, la même rengaine refait surface à Montréal. Et cette fois, même les observateurs les plus prudents n’y voient plus une “leçon”, mais une erreur.
Brunet le dit avec ses mots :
“On ne laisse pas un joyau comme Demidov à lui-même.”
Et il a raison. Car les chiffres ne mentent pas. Quand Demidov est sur la glace, l’équipe passe plus de temps coincée dans sa zone que dans celle de l’adversaire. Non pas parce qu’il manque de talent, mais parce qu’il n’a aucun appui autour de lui.
Newhook patine beaucoup, mais n’amène rien. Kapanen peine à suivre le rythme du Russe. Et pendant ce temps, Demidov cherche désespérément un partenaire capable de penser le jeu à sa vitesse.
Le plus ironique, c’est que Martin St-Louis, le joueur, aurait détesté être traité ainsi. Il était lui-même un joueur d’instinct, un créateur, souvent incompris par les entraîneurs rigides de son époque. Aujourd’hui, il agit exactement comme eux.
Il répète qu’il veut “faire grandir ses jeunes dans l’adversité”, qu’il ne veut pas donner de passe-droits. Mais dans le cas de Demidov, cette approche tourne à la punition. On ne parle plus d’un encadrement rigoureux. On parle d’un frein.
Demidov n’a ni temps de jeu en avantage numérique, ni partenaires créatifs, ni liberté. Il joue douze minutes par match, avec deux joueurs qui ne voient pas le jeu comme lui. Et St-Louis continue de répéter que “ce n’est pas grave”, que “ça va venir”.
Mais à ce rythme-là, ça ne viendra jamais.
Pendant que Demidov cherche de l’oxygène, Zachary Bolduc, lui, nage en plein ciel.
Deux buts à égalité numérique, un autre en avantage numérique, un impact constant. Le Québécois s’impose déjà comme une révélation et justifie amplement la confiance que St-Louis lui accorde.
Brunet souligne d’ailleurs que le trio Dach–Bolduc–Gallagher est devenu la vraie bougie d’allumage du club. On parle de 24 tirs pour contre 21 contre, un rendement de 53 %, et surtout une présence constante en zone adverse.
Le paradoxe, c’est que Bolduc est récompensé pour sa fougue, alors que Demidov, pourtant plus talentueux, est puni pour sa créativité.
Le message envoyé aux jeunes est clair : joue simple, ferme ta gueule et attends.
Mais Montréal n’a jamais été un marché pour les joueurs qui attendent.
Ce qu’on voit dans les chiffres de Brunet, c’est un trio en perdition. Kapanen est dépassé, Newhook ne trouve pas ses repères, et Demidov, isolé, finit par traîner son bâton plus qu’il ne touche la rondelle.
Ce trio ne génère rien. Il subit 29 tirs, en produit 14, et passe le plus clair de son temps à défendre.
C’est exactement ce que les dépisteurs américains disaient avant le repêchage : Demidov “perd de son intensité quand il n’a pas la rondelle”. C’est un joueur de possession, pas un coureur. Le problème, c’est que St-Louis le force à jouer dans un contexte où il n’a jamais la rondelle.
On le place avec deux travailleurs honnêtes, mais pas de cerveaux offensifs. Résultat : il étouffe.
Mathias Brunet va plus loin. Il note que même les trios les plus faibles défensivement, comme celui d’Evans, Anderson et Laine, font mieux sur le plan du contrôle territorial.
Zéro tir pour, six contre, c’est pathétique, mais au moins, ils n’accordent pas de buts.
Le trio de Demidov, lui, accorde tout, sans rien produire. Et tout cela est la responsabilité directe du coach.
Un entraîneur qui voit ces chiffres doit réagir. Il doit réaménager, tester, bousculer les choses. Pas figer son jeune talent dans un rôle impossible.
Ce qui frappe, c’est le ton de Brunet.
Habituellement, il prône la patience, il prêche contre la panique. Mais cette fois, il envoie Martin St-Louis sous l' autobus. Il parle d’un joyau laissé à lui-même, d’un joueur qu’on laisse dériver au lieu de le construire.
Et dans ce marché, quand un observateur aussi pondéré que lui critique le coach, c’est que la grogne monte.
Le mot circule déjà dans la ligue : Demidov est mal géré.
Plusieurs dépisteurs et agents, dans l’ombre, le disent ouvertement. Montréal est en train de répéter les mêmes erreurs que dans le passé : confier un rôle clé à un jeune sans lui donner les outils pour réussir.
Le salut viendra peut-être de Michael Hage.
Parce qu’au-delà du problème immédiat, il y a une autre question : qui, dans cette organisation, peut jouer avec Ivan Demidov ?
Oliver Kapanen n’a pas le profil. Owen Beck est défensif. Jake Evans n’a pas la vision. Alex Newhook est rapide, mais sans imagination. Kirby Dach est lent comme une tortue.
La réponse, selon Brunet, pourrait venir plus tard dans la saison.
Michael Hage, le jeune prodige du CH évoluant à l’Université du Michigan, est le seul centre de l’organisation capable de comprendre le jeu à haute vitesse d’un artiste comme Demidov.
Mais il ne sera pas disponible avant la fin de la saison universitaire.
En attendant, Demidov va devoir survivre.
Les signaux d’alarme se multiplient : frustration visible sur le banc, langage corporel négatif, communication rompue avec St-Louis.
Le scénario de Saint-Pétersbourg se rejoue mot pour mot, et à Montréal, on sait où ce genre d’histoire finit : en crise médiatique.
Il ne faut pas que le cas Demidov devienne un nouveau talent gâché par une gestion psychorigide. Le joueur a besoin de liberté, d’un centre qui le comprend, d’un entraîneur qui ose.
Et pour l’instant, il n’a rien de tout ça.
Mardi soir, face à Seattle, Martin St-Louis aura le dernier changement à domicile.
C’est sa chance de corriger le tir, de soustraire Demidov à des affrontements défensifs et de lui donner, enfin, de l’air. S’il ne le fait pas, la pression médiatique ne fera qu’exploser.
Parce qu’à Montréal, quand même Mathias Brunet dit que tu maltraites ton joyau, c’est que le feu est déjà pris.