Pierre-Karl Péladeau annonce la fin de TVA Sports

Pierre-Karl Péladeau annonce la fin de TVA Sports

Par David Garel le 2025-05-07

Le chant du cygne de Pierre Karl Péladeau fait trembler le Québec médiatique.

C’est fini. Ou presque. Sans l’annoncer officiellement, Pierre Karl Péladeau vient de préparer le Québec à l’inévitable : la fermeture de TVA Sports.

Un aveu déguisé, formulé dans une phrase assassine, livrée avec le même aplomb que les dirigeants offrent leurs adieux à une entreprise condamnée.

“Il ne faudrait pas s’étonner que TVA Sports cesse ses activités”, a-t-il lancé.

Comme une bombe qu’on fait exploser en apparence calmement, mais dont l’impact dévaste tout un pan de l’industrie médiatique québécoise.

Pierre Karl Péladeau a fait cette déclaration pendant l’assemblée annuelle des actionnaires du Groupe TVA qui se tenait en fin de matinée à Montréal.

« Nous pouvons le dire dès maintenant : TVA Sports n’aura pas les moyens ni les modèles économiques pour payer les montants colossaux que la Ligue nationale de hockey demande pour les droits nationaux de diffusion des matchs de hockey, selon ce que nous comprenons de l’entente récemment intervenue entre Rogers/Sportsnet et la direction de la LNH »

C’est un tremblement de terre. Pas un choc soudain, mais un séisme annoncé depuis des années. Car TVA Sports est en soins palliatifs depuis au moins cinq ans, peut-être plus.

Chaque trimestre financier est une longue agonie. Chaque ronde des séries éliminatoires sans le Canadien est un supplice.

Et maintenant que les droits de diffusion de la LNH sont bloqués jusqu’en 2038 entre les mains de Rogers pour un contrat record de 11 milliards de dollars, et que RDS se positionne pour récupérer la majorité des matchs en français, le projet TVA Sports n’est plus qu’un mirage vidé de sens.

Depuis 2011, Québecor a perdu plus de 230 millions de dollars avec TVA Sports. Ce n’est pas une rumeur. C’est une déclaration publique de son propre président. Une somme colossale. Une hémorragie d’argent que même la passion du hockey ne peut plus justifier.

À ce sujet, Péladeau est cinglant.

« Après avoir investi plus de 230 millions de dollars, comme nous le disons en latin : don’t throw good money after bad ! »

La traduction est sans pitié: Péladeau est tanné de gaspiller et de jeter son argent par la fenêtre. Il veut arrêter les dégâts.

Et pourtant, ils y ont cru. Pendant plus d’une décennie, ils ont cru pouvoir renverser la vapeur, attirer les fans, prendre leur revanche sur Bell, sur RDS, sur les années de monopole du sport télévisé francophone. Mais au bout du compte, la recette n’a jamais levé.

Des salaires démesurés. Une grille horaire surchargée d’émissions souvent redondantes. Des chroniqueurs en surabondance. Une structure aussi lourde qu’un éléphant qui essaie de courir un 100 mètres. Et tout ça financé à coups de millions, année après année, alors que les revenus publicitaires s’effondraient, que l’auditoire migrait vers les plateformes numériques et que la culture de TVA Sports refusait de se réinventer.

Ce qui rend ce constat encore plus cruel, c’est le moment choisi par l’histoire. TVA Sports avait signé une entente de 12 ans en 2014, un pari audacieux de 720 millions de dollars pour devenir le diffuseur francophone officiel de la LNH.

Le problème? Dès 2015, le Canadien de Montréal a plongé en reconstruction. Des années de misère, de défaites, de fonds de classement. Pendant que TVA Sports payait le gros prix pour du contenu premium, le produit sur la glace était un désert d’enthousiasme.

Ils ont payé pour du caviar et ont reçu du tofu.

Et voilà qu’en 2026, au moment où le Canadien s’apprête enfin à redevenir un club d’élite, où l’équipe est construite autour de jeunes vedettes comme Ivan Demidov, Lane Hutson, Jacob Fowler et compagnie… c’est RDS qui va récolter les fruits.

Une ironie cinglante. Un coup de poignard dans le cœur de TVA Sports. Douze ans d’attente, pour céder la scène au moment où la pièce principale commence.

Ajoutons à cela une réalité plus crue encore : le Québec n’a jamais adopté le duo Félix Séguin – Patrick Lalime. Pendant que Pierre Houde et Marc Denis continuaient de faire vibrer les partisans sur RDS, TVA Sports proposait une description souvent jugée mécanique, sans âme, trop analytique ou trop scolaire.

Ce n’est pas une attaque personnelle, mais un fait d’écoute. Les chiffres le prouvent. TVA Sports ne parvient pas à créer de lien émotionnel avec son auditoire.

Et quand tu es une chaîne sportive, ça ne pardonne pas.

Le sport, c’est de l’émotion brute. Ce sont des cris dans le salon. Ce sont des frissons au but en prolongation. Ce sont des larmes à l’élimination.

TVA Sports a souvent semblé en décalage avec cette réalité. Trop froid. Trop corporate. Trop Bell-bashing et pas assez de passion naturelle.

Puis il y a eu les dérapages. Des chroniqueurs comme Jean-Charles Lajoie ou Élizabeth Rancourt qui, à plusieurs reprises, ont déclenché des controverses en ondes.

Des attaques sur Carey Price et Marc Denis (Rancourt) ou des insultes envers les gens des régions (Lajoie), ces interventions inacceptable ont fini par couler la chaine.

Dans un marché aussi sensible que celui du Québec, chaque mot pèse lourd, et TVA Sports a parfois manqué de doigté.

La goutte qui a fait déborder le vase est quand Jean-Charles Lajoie a annoncé en "primeur" la démission de Martin St-Louis avant Noël. On connaît la suite.

Pendant que la maison brûlait, on faisait du bruit pour faire du bruit, espérant que la fumée cache les fissures.

Pierre Karl Péladeau n’a pas annoncé la fermeture de TVA Sports. Pas encore. Mais tout son langage est celui d’un homme d’affaires qui prépare l’opinion publique à l’inévitable. Il parle comme un actionnaire épuisé. Il parle comme un homme qui sait qu’il ne reverra jamais son argent.

Au point de rejeter un actionnaire devant tout le monde alors que ce dernier lui demandait si TVA Sports essayait au moins de négocier pour avoir quelques matchs du CH après 2026.

« Je n’ai pas l’intention de négocier en public », a-t-il affirmé d'un ton sec et méprisant.

« L’entente annoncée nous amène à devoir nous préoccuper de la situation »

Et il a raison. Ce projet n’a plus de sens. Ni économiquement, ni stratégiquement.

Dès l’été 2026, sauf miracle, TVA Sports sera morte et enterrée. Il ne restera que des archives, des souvenirs, et peut-être un soupçon de regret.

Ce qu’il reste à sauver

Il reste une dernière lueur : les séries 2026. Si le Canadien se qualifie la saison prochaine, TVA Sports pourra diffuser une ronde ou deux. Ce sera l’occasion de faire le plein d’auditoire, une dernière fois, avant la fin de l’histoire.

Le CH sera encore meilleur. Alors oui, TVA pourra vivre un dernier moment de gloire. Un chant du cygne. Mais ce sera aussi une torture. Car chaque but, chaque victoire, chaque ovation au Centre Bell, ce sera un rappel cruel de ce qui s’en vient ensuite. Le silence. La fin.

Le problème n’est pas que TVA Sports a essayé. Le problème, c’est qu’elle a persisté trop longtemps à croire en un modèle qui ne fonctionnait pas. Il aurait fallu pivoter plus tôt. Il aurait fallu ajuster le tir. Investir mieux. Repenser la grille. Miser sur la créativité. Ouvrir YouTube avant 2025. Moderniser l’approche.

Mais il est trop tard.

TVA Sports est un projet condamné. Et Pierre Karl Péladeau le sait. Son regard en disait plus long que ses mots. Il parlait d’un ton détaché. D’un ton résigné. Comme on parle d’un proche qu’on va débrancher. Avec tristesse, mais avec lucidité.

Alors voilà. Le compte à rebours est lancé.

TVA Sports, 2011–2026.