Samuel Montembeaut... et la victoire de la pitié..
Il y a des soirs où le hockey raconte autre chose que le sport. Ce samedi au Centre Bell, le Canadien a battu les Sénateurs 4 à 3 en prolongation, mais la vraie histoire n’est pas le but spectaculaire d’Alex Newhook ni la passe magique d’Ivan Demidov. La vraie histoire, c’est Samuel Montembeault, l’homme que tout le monde voulait sauver.
La sirène venait de retentir pour annoncer la fin de la deuxième période. Sur le chemin vers le vestiaire, Montembeault a jeté un regard noir vers un arbitre, quelques mots secs échangés, probablement au sujet du but controversé accordé à Ottawa.
Le gardien était furieux. Pour lui, c’était clair : ce but-là n’aurait jamais dû compter.
« C’était de l’obstruction, j’ai été frappé, je ne pouvais pas revenir dans ma position », a-t-il répété après la rencontre.
Sauf que les reprises disaient tout autre chose. Montembeault avait eu le temps de se replacer. Le contact était mineur et a eu lieu bien avant le but. Le Québécois avait tellement temps de se replacer.
Le but était bon. Mais dans sa tête, il refusait la réalité.
C’est tout le problème de Montembeault cette saison : il cherche des explications à tout ce qui lui arrive, comme s’il devait sans cesse se convaincre qu’il est malchanceux plutôt qu’en déclin.
Ce soir encore, la séquence du deuxième but a tout déclenché. Il a perdu pied, il s’est fâché contre le sort, contre les arbitres, contre les bonds. Et autour de lui, tout le monde a senti le besoin de le consoler.
Quand il est revenu au banc, Nick Suzuki est allé le voir. Le capitaine lui a dit calmement :
« Ce sont deux mauvais bonds, ne t’en fais pas. »
Quelques secondes plus tard, Mike Matheson l’a rejoint à son tour. Le défenseur, coupable involontaire du deuxième but, a tenu à s’excuser. Montembeault a répondu que ce n’était pas grave. Il a dit qu’il voulait rester positif, garder un bon langage corporel.
C’est là que tout s’est mis à sonner faux. Quand tout un vestiaire doit rassurer un gardien après chaque période, c’est qu’on ne parle plus d’un gardien en contrôle. On parle d’un joueur qu’on protège.
Les joueurs du Canadien ont traité Montembeault comme un frère en difficulté, pas comme un pilier de confiance. L’entraîneur Martin St-Louis l’a dit lui-même après la rencontre :
« C’était une grosse victoire pour Sam. Les gars le savaient et je suis content pour lui. »
Autrement dit, ce match n’a pas été gagné pour le classement, mais pour Montembeault. C’était une victoire d’équipe… par pitié.
On pouvait voir un gardien à fleur de peau.
Depuis quelques semaines, Montembeault se bat contre lui-même. Il se dit en confiance, mais ses gestes trahissent l’inverse.
Un pourcentage d’arrêts de .839, une moyenne de 3.66 buts alloués, des séquences où il cherche la rondelle comme un gardien novice, et un langage corporel qui en dit long : les épaules qui tombent, le regard vers le sol après chaque but, la petite tape résignée sur le poteau avant de replacer son masque.
Son discours est toujours le même : ne pas stresser, « laisser aller les choses », profiter du travail avec l’entraîneur Éric Raymond.
C’est noble, mais c’est déconnecté du niveau d’urgence qu’exige la LNH. Pendant qu’il parle de sérénité, Jakub Dobeš, lui, empile les victoires et affiche des statistiques dignes d’un candidat au trophée Calder et même du trophée Vézina.
Pendant qu’il se répète qu’il n’a « pas oublié comment jouer », Jacob Fowler blanchit des adversaires à Laval.
Montembeault reste seul avec sa philosophie zen pendant que la relève le dépasse à toute vitesse.
Ce fameux but d’Amadio, qui a rebondi sur le patin de Matheson avant de franchir la ligne, illustre à lui seul tout le paradoxe Montembeault.
Le gardien avait d’abord bénéficié d’une décision favorable : les arbitres avaient signalé de l’obstruction. Mais après révision vidéo, le but a été accordé.
Et Montembeault n’a jamais accepté cette conclusion. Même après la victoire, il y revenait encore.
« Ce n’était pas ma faute. J'ai été obstrué. Le but n'aurait pas dû compter. Et c’était un mauvais bond », répétait-il.
Il a même osé affirmer que les Dieux du hockey étaient contre lui. À écouter son entrevue, on voit un gardien... qui a le mot "excuse" étampé dans le front...
Cette extrait vidéo révèle une fissure profonde. Montembeault n’assume plus. Il rationalise. Il se réfugie derrière les rebonds, les déviations, les arbitres. Un gardien dominant, un vrai numéro un, assume même ce qu’il ne contrôle pas.
Carey Price l’avait compris : quand tout tourne mal, tu te blâmes d’abord, tu inspires la confiance en te tenant responsable. Montembeault, lui, inspire la compassion. Et c’est précisément ce qui le condamne.
Martin St-Louis, visiblement conscient de la fragilité de son gardien, a tenté cette semaine une stratégie inhabituelle : lui annoncer son départ deux ou trois jours à l’avance.
Une pratique rarissime. Habituellement, un gardien apprend qu’il joue la veille. Mais St-Louis a voulu « limiter le stress et l’incertitude ». Une belle intention. Sauf qu’à force de ménager Montembeault, on finit par le traiter comme un enfant.
Le coach dit qu’il ne veut pas lui parler trop souvent pour ne pas qu’il sente son inquiétude. Mais tout le monde sait ce qui se joue.
Montembeault n’est plus en contrôle de rien. On l’envoie dans la gueule du loup à Edmonton, puis dans un retour de voyage contre Ottawa, deux contextes parfaits pour l’échec, et ensuite on le félicite pour avoir « tenu le fort » après avoir accordé trois buts sur 17 tirs.
C’est la pitié institutionnalisée. Le message qu’on envoie, c’est : « Bravo d’avoir survécu. » Pas « Bravo d’avoir gagné. »
La fiche dira que le Canadien a gagné 4-3 en prolongation. Mais à la vérité, Montembeault a été sauvé par Ivan Demidov et Alex Newhook.
Sans le but égalisateur du jeune Russe en fin de troisième période, l’histoire aurait été tout autre. Et sans l’échappée chanceuse de Newhook, Montembeault serait aujourd’hui le visage d’un effondrement de plus.
Le public l’a applaudi plus fort que d’habitude au moment de l’annonce de son nom, signe que les partisans eux aussi sentent qu’il a besoin d’amour pour survivre à cette tempête. Mais ce n’est pas de l’amour dont un gardien a besoin. C’est du respect. Et le respect, ça se gagne par la performance, pas par la sympathie.
Montembeault n’a plus de marge d’erreur. Son contrat, valable jusqu’en 2027, ne le protège plus moralement. Il n’a plus le filet garanti. Surtout qu'il n'a pas de clause de non-échange.
Dobeš est déjà en avance sur le plan du rendement. Fowler est en feu à Laval. Et si Kent Hughes a choisi de ne pas l’échanger cette saison, c’est uniquement pour éviter de brûler ses jeunes trop vite. Pas parce qu’il croit encore que Montembeault est la solution.
Le plus inquiétant, c’est qu’à l’interne, on ne parle plus de « rotation », mais de « gestion de confiance ». Ce mot-là, dans la bouche d’un entraîneur, c’est la preuve pour dire qu’on marche sur des œufs.
En quittant la patinoire, Montembeault a reçu l’accolade de ses coéquipiers. Les sourires étaient sincères, les tapes sur le casque pleines de compassion.
Mais il y avait quelque chose d’étrange dans cette célébration. Comme si tout le monde savait que cette victoire ne change rien. Comme si, malgré les trois étoiles du match, malgré la photo officielle, malgré le discours positif, la hiérarchie des gardiens était déjà tranchée.
Montembeau a gagné. Mais il n’a convaincu personne. Et au fond, il le sait. Il l’a dit lui-même :
« C’est une victoire qui fait du bien. Côté statistique, c’est peut-être pas top top, mais je me sentais bien. »
Cette phrase résume tout : Montembeault ne se bat plus pour l’excellence, il se bat pour le soulagement.
Le hockey est cruel avec les gentils. Ce soir, Samuel Montembeault a gagné le match que tout le monde voulait qu’il gagne.
Ses coéquipiers l’ont porté, son entraîneur l’a protégé, les partisans l’ont applaudi. Mais rien de tout cela ne change le verdict du réel : il n’a plus le niveau d’un numéro un.
C’est peut-être le plus grand paradoxe de la soirée. L’homme qui a reçu le plus d’amour au Centre Bell est aussi celui dont la chute semble inévitable.
Et si on veut être honnête : cette victoire n’a pas relancé Montembeault. Elle l’a prolongé.
