La victoire 3-0 des Penguins de Pittsburgh contre les Rangers de New York hier soir pourrait passer inaperçue dans une saison encore jeune.
Mais pour le Canadien de Montréal, qui flirte ouvertement avec l’idée d’ajouter Sidney Crosby à son alignement, ce match soulève une question brutale : est-ce vraiment encore la bonne solution ?
Est-ce qu’à 38 ans, Crosby mérite toujours qu’on hypothèque une partie de l’avenir pour lui ?
Ou est-ce que l’obsession romantique autour de sa venue à Montréal fait perdre à Kent Hughes la froideur stratégique qui l’a toujours caractérisé ?
Hier, Crosby a été ménagé. L’attaquant le plus utilisé chez les Penguins a joué moins de 18 minutes. Il a obtenu deux tirs au but, remporté 57 % de ses mises en jeu… mais le souffle n’est plus le même.
On ne parle pas ici d’un déclin soudain et dramatique : il reste intelligent, utile, précieux dans certaines situations. Mais ce n’est plus le Crosby d’antan.
Sa vitesse n’est plus aussi tranchante. Ses enjambées en zone offensive se font plus rares. Son influence sur la glace repose désormais sur la lecture du jeu, pas sur la domination physique ou la cadence infernale.
Et ça, dans une équipe en reconstruction où le coach Dan Muse a distribué le temps de glace de manière équilibrée, ça saute aux yeux.
Le paradoxe, c’est que pendant que Crosby ralenti, Kent Hughes a déjà des regrets.
Il suffit de regarder du côté de Chicago pour comprendre. Hier soir, contre les Panthers, Frank Nazar a inscrit un but et une passe, poursuivant un début de carrière en feu.
Quel but en échappée!
Nazar, c’est le joueur que les Blackhawks ont repêché avec le 13e choix au total en 2022… le choix que le Canadien avait cédé pour acquérir Kirby Dach.
Ce simple rappel suffit à faire frissonner l’état-major montréalais : une seule décision sur un choix de première ronde peut marquer une organisation pendant une décennie.
Nazar est déjà une pièce maîtresse à Chicago, pendant que Dach, blessé ou "chokeux", n’a jamais eu l’impact espéré.
Dans une année où les choix 2026 et 2027 pourraient mener à un talent générationnel (Gavin McKenna est loin d'être seul), Hughes sait qu’il ne peut pas se permettre une deuxième erreur du même ordre.
À Montréal, la direction doit se demander si, dans une période où chaque choix de première ronde peut changer le destin, investir lourdement dans Crosby est encore défendable.
Si Frank Nazar était à Montréal au lieu de Kirby Dach, on ne parlerait même pas de Crosby en ce moment.
Il faut dire les choses clairement : Pittsburgh va exiger un prix colossal. Si Kent Hughes ne veut pas inclure Michael Hage, actuellement meilleur pointeur de la NCAA avec Michigan, ni David Reinbacher, qui fait partie du noyau intouchable du CH, il devra payer autrement.
Et le scénario le plus souvent évoqué autour de la ligue est simple : deux choix de première ronde (2026 et 2027) et un ou deux jeunes comme Beck, Roy ou Struble. C’est énorme. Pour un joueur qui, hier encore, a été correct sans être transcendant.
Et surtout... qui vieillit...
C’est là que l’équation devient délicate. Kent Hughes a bâti sa réputation sur la patience et la planification. En 2022, il s'est fait voler Frank Nazar.
Il ne voudra pas revivre la même erreur stratégique dans une année où la cuvée McKenna pourrait bouleverser l’équilibre de la ligue.
Donner un ou deux premiers choix dans ce contexte, c’est potentiellement se priver d’un talent générationnel ou de l’effet boule de neige que peuvent créer deux hauts choix consécutifs dans une reconstruction.
Et puis il y a la réalité : Sidney Crosby n’est plus une garantie de domination. Oui, il apporte leadership, culture de la victoire, et il reste capable de grandes choses par séquences.
Mais dans une équipe jeune qui mise sur la vitesse et la transition, est-ce qu’il serait vraiment le deuxième centre idéal derrière Suzuki ?
À 38 ans, peut-il jouer 82 matchs + séries sans voir ses performances décliner au printemps ?
Hier, son match a été sobre. Deux tirs, une bonne présence en supériorité, mais aucune explosion, aucune séquence où il a dicté le tempo comme autrefois.
À Pittsburgh, on commence d’ailleurs à le ménager intelligemment. Moins de minutes, moins de responsabilités à cinq contre cinq. Ce n’est plus le centre autour duquel tout tourne, c’est un pilier d’expérience dans un collectif en transition.
Et ça, ça doit peser lourd dans la réflexion de Montréal. Parce que le Canadien n’est pas à une Crosby près d’une Coupe Stanley. L’objectif, c’est de bâtir une équipe qui dominera à long terme, pas de vivre une lune de miel médiatique de deux ans.
La tentation émotionnelle est immense. On connaît tous l’histoire : le petit Crosby, fan du Canadien, ému au Centre Bell pendant le tournoi des 4 Nations, les rumeurs alimentées tout l’été, Darren Dreger qui en remet encore récemment en affirmant que Kent Hughes est “all-in” pour aller chercher un deuxième centre et que Pittsburgh est dans la mire.
Tout est là pour écrire une grande épopée médiatique. Mais le hockey d’aujourd’hui est brutal : les émotions coûtent des choix, et les choix forgent les dynasties.
Dans une ligue où des joueurs comme Nazar explosent, où la loterie McKenna approche, où chaque choix 2026 et 2027 pourrait valoir une fortune, céder deux premières rondes pour Crosby n’est plus une évidence.
Si Hughes peut construire une offre avec Struble, Beck, Roy et un choix, très bien. Mais dès qu’on entre dans la logique des deux premières rondes, la discussion change de nature. Ce n’est plus une transaction sportive : c’est un pari risqué sur un joueur qui n’est plus au sommet de sa courbe.
Et ce n’est pas un jugement sévère envers Crosby. À 38 ans, il amorce sa 21e saison. Il est encore compétitif, encore inspirant.
Mais hier, au Madison Square Garden, dans un match où Pittsburgh a brillé collectivement, Crosby n’a pas été le moteur. Il a été un rouage. Et Montréal ne doit pas payer le prix d’un moteur pour un rouage, aussi légendaire soit-il.
La réalité crue, c’est que l’équation Crosby à Montréal était excitante au cœur de l’été, quand tout était théorique. Mais maintenant que la saison commence, que le jeu réel s’installe, que les performances sont mesurables et que l’âge ne ment pas, la question devient incontournable : est-ce que Kent Hughes est prêt à sacrifier deux années de capital de repêchage pour un joueur dont la valeur sur la glace commence lentement à sa descente ?
La victoire de Pittsburgh contre New York n’a rien changé pour les Penguins. Mais elle doit tout changer dans la tête de Montréal.
Ce dossier ne peut pas être abordé comme une romance d’enfance. Il doit l’être comme une décision froide, structurée et stratégique.
Et hier, pour la première fois, on a peut-être vu la réalité en face : Sidney Crosby reste un nom mythique… mais il n’est plus intouchable.