Le hockey reste le sport le plus imprévisible, le plus humain, le plus cruel aussi.
Lundi soir, au PPG Paints Arena, le match entre les Penguins de Pittsburgh et les Blues de St. Louis a été de vrais montagnes russes.
En moins de trois heures, Sidney Crosby est devenu le neuvième joueur de l’histoire de la LNH à atteindre le plateau légendaire des 1700 points, les Penguins ont signé une cinquième victoire à leurs six derniers matchs, et un spectateur a été grièvement blessé après une chute du deuxième balcon.
C’était un soir d’émotions brutes à Pittsburgh, un de ces soirs où tout ce que vit la ville passe par la glace. Et, pendant que Crosby redéfinissait encore l’histoire, une certitude s’imposait : le rêve montréalais s’éloigne. Tant que les Penguins gagnent, Sidney Crosby ne partira nulle part.
À 38 ans, Crosby continue de repousser les limites du possible. En récoltant un but et deux passes dans une victoire de 6 à 3 contre les Blues, il est devenu le neuvième joueur de l’histoire à franchir la barre des 1700 points.
Il rejoint ainsi un panthéon restreint, où trônent Wayne Gretzky (2 857), Jaromir Jagr (1 921), Mark Messier (1 887), Gordie Howe (1 850), Ron Francis (1 798), Marcel Dionne (1 771), Steve Yzerman (1 755) et Mario Lemieux (1 723).
Crosby, lui, est désormais à 1 701 points, un souffle derrière le grand Mario, qu’il a déjà dépassé dans plusieurs catégories symboliques du club.
« Joindre ce groupe, ce sont des joueurs que j’ai idolâtrés en grandissant », a-t-il déclaré avec humilité.
« Je n’ai jamais cru que je me retrouverais avec eux ou près d’eux. C’est quelque chose pour lequel je suis reconnaissant : d’avoir pu jouer aussi longtemps et faire partie de ce groupe. »
Le capitaine des Penguins, sélectionné premier au total en 2005, a tout connu, tout gagné, tout surmonté. Trois Coupes Stanley, deux trophées Hart, deux Art Ross, deux Conn Smythe. Et, plus incroyable encore, il demeure le seul joueur actif à avoir atteint ce plateau mythique.
Mais pendant que l’histoire s’écrivait sur la glace, le drame se jouait dans les gradins.
Aux alentours de 19 h 15, un spectateur assis dans la section 234 a chuté du deuxième balcon. L’homme a heurté une autre personne avant de s’effondrer lourdement au niveau inférieur.
Les paramédics sont intervenus immédiatement. Transporté sur une civière, il souffrirait de blessures graves mettant sa vie en danger.
L’autre individu impliqué a refusé d’être conduit à l’hôpital après avoir été évalué sur place.
La Ville de Pittsburgh a ouvert une enquête des crimes majeurs pour déterminer les circonstances de l’accident. Par voie de communiqué, les Penguins ont indiqué « suivre la situation de près » et offert leur soutien aux familles concernées.
La différence entre l'excitation sur la glace et la panique dans les gradins résume tout ce que le sport peut avoir de brutalement humain : la joie, la peur, la fragilité, le tout dans la même respiration.
Sur la glace, les Penguins, eux, ne ralentissent plus.
Avec sept victoires en dix matchs et cinq gains à leurs six dernières sorties, la troupe de Dan Muse s’impose comme l’une des surprises du début de saison dans la LNH.
Bryan Rust a ouvert la marque dès la première minute de jeu, avant d’inscrire le but gagnant en troisième période. Anthony Mantha, Parker Wotherspoon, Evgeni Malkin et évidemment Sidney Crosby ont complété la feuille.
Crosby a d’ailleurs scellé la victoire à 16:39 de la troisième période, sur une échappée, son 703e but en carrière. Et comme si le destin voulait insister, c’est dans un match dominé par les vétérans que Pittsburgh a retrouvé son âme : Crosby, Malkin, Letang.
Trois noms, trois bagues, trois hommes qui refusent le temps.
À mesure que Crosby grimpe dans les livres d’histoire, les comparaisons avec Mario Lemieux deviennent inévitables.
Lemieux lui-même a réagi cette semaine, réaffirmant que Sidney ne quitterait pas Pittsburgh, qu’il « finirait sa carrière là où tout a commencé », tout comme lui.
Ce n’est pas une simple déclaration d’orgueil : c’est une promesse de fidélité à une ville et à une institution. Lemieux a toujours vu en Crosby le prolongement naturel de son héritage, et tant que l’équipe demeure compétitive, il n’a aucune intention de le laisser partir.
Et c’est là que Montréal entre en scène.
Pour Kent Hughes et le Canadien de Montréal, cette séquence est un cauchemar stratégique.
Depuis des mois, tout tournait autour de l’idée que Pittsburgh finirait par s’effondrer, que Crosby, lucide, accepterait de partir pour un dernier chapitre ailleurs.
Montréal, avec sa jeunesse, son aura, et le lien profond que Crosby entretient avec le Québec, semblait le point de chute parfait.
Mais la réalité est têtue : les Penguins gagnent.
Leur fiche (7-2-1) les place dans le top de la division Métropolitaine, et leur élan semble réel.
Tant que Pittsburgh demeure dans la course, Crosby n’ira nulle part.
Et Hughes, qui rêve d’ajouter un deuxième centre élite à son alignement, devra se résigner à regarder ailleurs.
Le DG du Canadien l’a lui-même dit à Edmonton :
« Au moment opportun, on va surpayer pour obtenir un joueur. Mais il faut que ce soit le bon moment, et le bon joueur. »
Ce moment-là n’est pas encore venu. Crosby, semble décidé à repousser l’inévitable.
Dans son discours d’après-match, Crosby a encore une fois rappelé pourquoi il reste un modèle pour toute une génération.
« Je pense que quand on est dans notre position, on a une bonne opportunité de faire une différence, sur la glace comme en dehors, » a-t-il confié.
Et il a tenu à parler de Mario Lemieux, de son influence, de la normalité qu’il lui a apportée à ses débuts.
« Avoir quelqu’un comme Mario et sa famille pour garder les choses simples, c’était essentiel. Je ne peux pas mettre en mots ce que ça représente. »
Ce Crosby-là, humble, réfléchi, enraciné, c’est celui que Montréal rêve d’accueillir. Mais c’est aussi celui que Pittsburgh ne laissera jamais partir tant qu’il portera encore leur écusson dans son cœur.
Un mythe vivant
À ce stade, Crosby ne joue plus pour des records. Il joue pour son héritage sportif.
Avec 1 902 points en carrière toutes compétitions confondues, il a déjà dépassé Lemieux dans l’histoire totale des Penguins.
Il a plus de matchs, plus de passe, plus d’impact communautaire qu’aucun joueur avant lui.
Et maintenant qu’il a dépassé les 1 700 points, il entre dans la dernière phase de sa carrière : celle où chaque but, chaque passe, chaque victoire devient un souvenir en temps réel.
Alors, oui, Montréal peut continuer de rêver. Mais à ce rythme, ce rêve ne se réalisera pas cette année.
Crosby et les Penguins sont en feu.
Et tant qu’ils gagnent, aucune rumeur, aucun plan, aucune offre de Kent Hughes ne changera le destin.
