La question était simple. La réponse, elle, était brutale et sans pitié.
Après une cinquième victoire consécutive, le vestiaire du Canadien vibrait au son de la musique et des célébrations. Tout semblait parfait.
Mais un détail a attiré l’attention des journalistes. Jeff Gorton et Kent Hughes sont descendus dans le vestiaire.
Ce genre de scène est rare. Un vice-président et un directeur général qui entrent dans le sanctuaire des joueurs, quelques jours avant la date limite des transactions ? Ce n’est pas anodin.
C’est à ce moment que Jérémie Filosa a posé LA question.
« Vous avez gagné cinq matchs. On peut entendre la musique, les célébrations. On connaît un peu les sentiments qui vous occupent présentement.
On a aussi vu Kent et Jeff s’en venir vers le vestiaire après le match. Tes conversations avec eux, sont-ils dans le même feeling, dans le même mood que le groupe dans le vestiaire ? »
La réponse de Martin St-Louis ?
« Honnêtement, on parle de ça, mais moi, mon focus est vraiment sur l’équipe et ce qui est en avant de moi. C’est les matchs qui s’en viennent. Je ne sais pas ce qui va arriver. Ça ne changera pas ce que je vais faire. »
Un peu sec, mais jusqu’ici, rien de trop alarmant.
Mais Filosa a insisté, tel un bon journaliste.
« Tu les sens-tu avoir autant de fun que vous autres présentement ? »
Et c’est là que St-Louis a lâché une réponse qui en dit long.
« Qui ça ? Jeff et puis Kent ? Je ne sais pas. Ce n’est pas comme s’ils sont avec nous autres avant une game, dans les pratiques. Ils font partie de l’organisation. C’est les boss. Mais, ils ne sont pas avec nous autres toute la journée. »
Boom. Une ligne vient d’être tracée.
La fracture entre St-Louis et la direction est maintenant évidente D’habitude, un entraîneur-chef parle toujours de « l’organisation » comme d’un tout.
Mais pas cette fois.
Cette réponse, froide et détachée, démontre clairement que Martin St-Louis ne considère pas Kent Hughes et Jeff Gorton comme faisant partie de son groupe.
Il aurait pu simplement dire :
« Oui, ils sont excités, ils voient notre progression. »
« Oui, on est tous dans le même bateau. »
Mais non. Il les a isolés.
Ils sont “les boss”. Ils ne sont pas avec nous. Cette déclaration est un message. St-Louis sait très bien ce qui s’en vient.
Hughes et Gorton ne sont pas là pour célébrer. Ils sont là pour trancher.
Et le coach ne veut rien savoir de cette réalité. Les joueurs veulent rester ensemble. La direction veut penser à long terme.
Ce n’est plus un secret pour personne : les joueurs du Canadien veulent rester ensemble.
Lane Hutson l’a dit.
Nick Suzuki l’a dit.
Mike Matheson l’a dit.
« On veut se battre jusqu’au bout. On ne veut pas de transactions. »
C’est un message lancé directement à Kent Hughes et Jeff Gorton. Mais ces derniers ne peuvent pas penser comme ça. Ils ont un plan à long terme. ls savent que le plafond salarial va exploser dans quelques années.
Ils savent que Evans, Armia, Savard et Dvorak ne seront plus là quand le CH redeviendra une puissance. Ils savent que c’est maintenant qu’il faut capitaliser sur leur valeur marchande.
Ils n’ont pas le choix.
Mais pour St-Louis, c’est une trahison. Si Hughes et Gorton sont descendus dans le vestiaire, ce n’est pas pour serrer des mains et boire du Gatorade avec les gars.
Ils ont voulu prendre la température du vestiaire.
Est-ce que les joueurs sont encore motivés ?
Est-ce que l’équipe croit vraiment aux séries ?
Est-ce que ça vaut la peine de détruire cette chimie ?
Ou alors…
Est-ce que le vestiaire est trop émotif pour voir la réalité en face ? Peut-être que Gorton et Hughes savaient déjà qu’ils allaient vendre.
Mais ils voulaient se préparer à faire face à la tempête.
Parce que s’ils échangent Evans, Armia ou Savard, ça va faire mal.
Il reste quelques jours avant la date limite des transactions. Le Canadien gagne. Le vestiaire est soudé.
Mais le couperet va peut-être quand même tomber. Martin St-Louis le sait. Une phrase a particulièrement résonné dans la salle de presse.
« Ce n’est pas comme s’ils sont avec nous autres avant une game, dans les pratiques. »
En d’autres mots :
« Ils vont prendre leur décision froidement. Et nous, on va devoir vivre avec. »
La tension est maximale à Montréal. Et ça ne fait que commencer.
Si Kent Hughes prend un moment pour réfléchir à la situation, il n’a pas besoin de chercher bien loin pour trouver un précédent historique.
Le 25 février 2007, alors que le Canadien était en pleine course pour une place en séries, Bob Gainey avait pris une décision controversée.
Il avait échangé Craig Rivet, un défenseur respecté, un leader du vestiaire, un joueur aimé de ses coéquipiers.
Résultat ?
Le vestiaire avait explosé. Les joueurs avaient été choqués de perdre un des leurs en plein sprint vers les séries.
Et la suite ? Le CH a raté les séries par deux petits points. Mais 18 ans plus tard… on parle encore de cet échange.
Pourquoi ?
Parce que l’échange de Craig Rivet avait rapporté Josh Gorges et un choix de premier tour. Et ce choix a permis de sélectionner Max Pacioretty.
Pacioretty est devenu capitaine du Canadien. Puis il a été échangé à Vegas pour… Nick Suzuki.
Oui, Nick Suzuki est ici aujourd’hui parce que Bob Gainey a eu le courage d’échanger Craig Rivet en 2007. Et c’est précisément la leçon que Kent Hughes doit retenir.
Dans le vestiaire, les joueurs pensent à aujourd’hui. Ils veulent se battre ensemble. Ils veulent rester unis. Ils ne veulent pas voir Evans, Armia ou Savard partir.
Mais un DG ne peut pas penser comme un joueur. Un DG doit penser à dans 5 ans. Un DG doit voir plus loin que les émotions du moment. Un DG doit avoir le courage de prendre des décisions difficiles.
Si Kent Hughes écoute son vestiaire et ne fait rien, il risque de regretter cette inaction pour le reste de sa carrière.
Dans quelques années, si le CH est encore en reconstruction, si l’équipe manque des pièces cruciales pour aller loin, on se souviendra de ce moment.
On se demandera ce que Montréal aurait pu obtenir pour Evans. On se demandera quel espoir aurait pu être repêché avec le choix d’Armia. On se demandera pourquoi Hughes a laissé passer l’opportunité de bâtir quelque chose d’encore plus fort.
Et si un autre DG dans 15 ans lève la Coupe Stanley avec un joueur obtenu dans un échange que Hughes n’aura pas fait, ce sera une cicatrice qui ne partira jamais.
Ne pas écouter les émotions… mais bâtir pour le futur
Bob Gainey n’avait pas hésité en 2007.
Et aujourd’hui, Nick Suzuki est ici grâce à cette décision.
Si Kent Hughes veut voir plus loin que la vague d’émotions dans son vestiaire, il doit se rappeler que son travail n’est pas de faire plaisir aux joueurs.
Son travail est de construire un club champion, de penser au repêchage de 2025, d'accumuler les bons choix et de préparer l’avenir.
Le vestiaire va peut-être pleurer en voyant partir certains gars.
Mais dans cinq, dix ou quinze ans, si un nouveau Nick Suzuki ou un futur Max Pacioretty débarque à Montréal grâce à un échange qui semblait impensable aujourd’hui…
Alors Kent Hughes saura qu’il a bien fait son travail.