Tension à Québec: une lutte à finir entre Pierre-Karl Péladeau et Luc Poirier

Tension à Québec: une lutte à finir entre Pierre-Karl Péladeau et Luc Poirier

Par David Garel le 2025-08-04

La nouvelle est tombée comme une tonne de briques dans l’univers du hockey : selon les propos rapportés par Chris Johnston, journaliste respecté de TSN, le prix pour obtenir une franchise d’expansion dans la Ligue nationale de hockey serait désormais fixé à 2 milliards de dollars américains.

Un chiffre astronomique qui laisse sans voix, et qui, converti en dollars canadiens, frôle les 2,7 milliards. Un prix qui, pour plusieurs, referme définitivement la porte à un éventuel retour des Nordiques de Québec.

Et ce chiffre n’a rien d’anodin. Il agit comme un électrochoc dans le débat québécois sur le retour du hockey professionnel.

Car il oblige à regarder en arrière, à faire le deuil d’un rêve brisé, mais surtout à désigner le responsable de ce naufrage : Pierre Karl Péladeau.

L’homme fort de Québecor avait l’occasion d’acheter une équipe pour 500 millions de dollars il y a quelques années à peine.

Il avait les moyens, il avait l’amphithéâtre, il avait la machine de communication. Mais il n’a jamais déposé d’offre formelle.

Il n’a jamais vraiment joué la partie. Et aujourd’hui, ce qui aurait pu être une opportunité d’affaires magistrale,  acheter à 500 millions pour revendre à 2 milliards, est devenu un symbole d’inertie, d’orgueil mal placé et de rendez-vous manqué.

Encore aujourd’hui, personne ne sait exactement pourquoi Pierre Karl Péladeau a reculé à la dernière minute lors du processus d’expansion de la LNH.

Pourquoi n’a-t-il pas déposé une offre officielle, alors que toutes les conditions semblaient réunies? Pourquoi a-t-il laissé passer une occasion unique de frapper un grand coup à la fois financier et politique?

Est-ce la peur de perdre la face si la LNH refusait son offre? Est-ce le prix de 500 millions, qu’il jugeait trop élevé à l’époque?

Ironiquement, ce demi-milliard semble aujourd’hui une aubaine historique. À l’heure où le prix d’entrée a quadruplé, on peut légitimement se demander si Péladeau a été trop frileux.

Et s’il a privé la ville de Québec de son équipe à long terme simplement parce qu’il ne voulait pas se plier aux exigences de Gary Bettman et de la ligue.

Car oui, la LNH a toujours été frileuse à l’idée de faire affaire avec un investisseur aussi polarisant. Le commissaire Gary Bettman ne l’a jamais dit publiquement, mais les coulisses sont claires : tant que Québecor est au cœur du projet, l’expansion à Québec est bloquée.

Trop de conflit, trop de rigidité, trop d’arrogance perçue. Et c’est là qu’un homme comme Luc Poirier a compris quelque chose d’essentiel.

Luc Poirier, l’homme d’affaires derrière de nombreux projets immobiliers au Québec, s’est imposé ces dernières années comme la figure de rechange à Péladeau dans le dossier des Nordiques.

Contrairement à PKP, Poirier affiche un profil d’entrepreneur indépendant, apolitique, structuré, et surtout ouvert à bâtir des ponts avec les acteurs de la LNH. 

En entrevue à RDS, il a été cinglant. Lorsqu’on lui demandait s’il s’intéressait à la Formule 1, il a souri et lancé cette phrase soigneusement calculée :

« Je préférerais ramener les Nordiques à Québec. »

Une bombe en apparence anodine, mais qui en disait long sur son ambition… et son ressentiment envers PKP. Car Luc Poirier ne veut pas ramener les Nordiques avec Péladeau. Il veut les ramener malgré lui.

Il est allé encore plus loin sur les ondes de Radio X :

« PKP étant PKP, ce n’est pas évident de faire des affaires avec lui. »

Une phrase qui résume le fond du problème. Selon Poirier, ce n’est pas le projet des Nordiques qui pose problème. C’est l’homme qui prétend le porter.

Et c’est ici que l’histoire devient tragique. Car Luc Poirier a, selon ses propres déclarations, déjà offert jusqu’à 800 millions de dollars pour une franchise.

Il a tenté d’acquérir les Coyotes de l’Arizona en 2017, avec comme objectif clair de les déménager à Québec. Il a les ressources, il a la détermination. Mais il n’a pas l’amphithéâtre.

Tout le cœur du problème se situe ici : le Centre Vidéotron appartient à Québecor. Et pour Poirier, ou tout autre investisseur, il est impensable de ramener une équipe dans un amphithéâtre qu’il ne contrôle pas.

Comme l’a déjà affirmé Poirier :

« Ramener une équipe sans être en mesure de gérer l’amphithéâtre, c’est presque impossible. »

Impossible, car la rentabilité de l’opération dépend en grande partie des revenus générés par l’aréna : billetterie, concessions, publicité, stationnements, loges corporatives.

Si ces revenus sont captés par Québecor, l’équipe est condamnée à opérer à perte. Et c’est pourquoi tant que PKP détiendra les clés du Centre Vidéotron, aucun investisseur sérieux ne s’aventurera à déposer 2 milliards de dollars pour une franchise.

C’est un blocage qui arrange bien Pierre Karl Péladeau. Même s’il ne veut plus se lancer dans le projet, il ne veut pas non plus que quelqu’un d’autre le réalise à sa place. Il préfère saboter le rêve plutôt que de le voir se concrétiser sans lui.

Et il faut bien le dire : Péladeau ne semble plus accorder d’importance réelle au projet des Nordiques. Ces derniers mois, son obsession s’est déplacée.

Elle s’appelle Transat A.T., la maison mère d’Air Transat. PKP a multiplié les offres d’acquisition, allant jusqu’à proposer un maigre 1 $ pour racheter l’entreprise en difficulté, à condition de restructurer sa dette.

Il s’est même allié à Investissement Québec et au Fonds de solidarité FTQ pour monter un plan de sauvetage… à sa façon.

Ce pivot stratégique en dit long. Alors que TVA Sports s’effondre, que les pertes s’accumulent, que le hockey s’éloigne, PKP mise désormais sur l’aérien.

Air Transat avant les Nordiques. Pour les employés de TVA Sports, c’est un signal terrible. Le patron a changé de priorité. Et pour les fans de hockey, c’est la confirmation que PKP a définitivement tourné la page.

Avec un prix d’entrée de 2 milliards, la question se pose : est-ce que Luc Poirier ou un autre groupe québécois pourrait encore répondre aux exigences de la LNH?

Rien n’est impossible, mais le défi est immense. Ce n’est plus seulement une question d’amour du sport ou de prestige. C’est une opération à haut risque, dans une province où le bassin corporatif est limité et où la valeur du dollar canadien fait très mal.

En 2017, Poirier offrait 800 millions. Il pourrait probablement s’allier à d’autres investisseurs aujourd’hui, mais il devra prouver à la LNH qu’il a non seulement les poches profondes, mais aussi la gouvernance, la vision et la stabilité nécessaires. Bref, tout ce que Péladeau a échoué à démontrer.

C’est dans ce contexte tendu que l’Avalanche du Colorado, ancienne incarnation des Nordiques, a décidé de ressortir le mythique chandail bleu de Québec pour la saison 2025-2026.

Un clin d’œil qui n’a rien d’innocent. Ce chandail est un rappel cruel : l’équipe est partie, mais son âme hante toujours la LNH. Et elle hante surtout le Québec.

Car à chaque fois qu’on voit le logo fleurdelisé sur le dos de Nathan MacKinnon ou Cale Makar, on se demande : « Et si…? »

Et si PKP avait dit oui? Et si Poirier avait eu l’amphithéâtre? Et si la ville de Québec avait été dirigée par une coalition d’affaires mature, ambitieuse, solidaire?

Au lieu de cela, nous sommes les spectateurs impuissants d’une lutte de pouvoir stérile, d’une guerre d’ego, et d’un héritage perdu.

Il faut maintenant être lucide. La LNH s’apprête à passer à autre chose. Les villes d’Atlanta et Houston sont les deux grandes favorites pour les prochaines expansions.

De grands marchés, de puissants groupes d’investisseurs, une croissance démographique soutenue. Tout ce que Québec n’a pas, ou plus.

Gary Bettman l’a affirmé au Pat McAfee Show sur les ondes d'ESPN :

« Québec fait partie des marchés envisagés. »

Mais entre figurer sur une liste et être invité à la table, il y a un monde. Et Québec n’a plus les moyens de rêver les yeux fermés.

Il faut maintenant aligner les chiffres, convaincre les gouverneurs, rassurer les diffuseurs, montrer une cohésion stratégique. Et surtout : se débarrasser des vieilles guerres intestines.

La saga des Nordiques est devenue un miroir de nos limites collectives. Elle révèle l’orgueil mal placé de nos élites, l’absence de vision commune, le manque de confiance entre nos leaders.

Pierre Karl Péladeau aurait pu écrire l’histoire. Il a préféré jouer à l’empereur blessé. Luc Poirier aurait pu le remplacer. Mais il est enfermé dans un système verrouillé par Québecor.

Aujourd’hui, le prix a quadruplé. Et avec lui, la distance entre le rêve et la réalité.

Deux milliards. Deux milliards de raisons de regretter. Deux milliards de dollars qui auraient pu être investis ici, dans une équipe qui porterait nos couleurs.

On regarde maintenant, impuissants, tout cet argent s’envoler vers le Sud. Quelle tristesse...