Tragédie humaine pour une femme: Geoff Molson doit sortir de son silence

Tragédie humaine pour une femme: Geoff Molson doit sortir de son silence

Par David Garel le 2025-05-31

Il y a des histoires qui brisent le cœur. Des histoires si cruellement absurdes qu’elles révèlent les failles les plus profondes de notre société.

L’histoire de Julie Binette, telle que racontée avec une sensibilité bouleversante par Marie-Ève Fournier dans La Presse, est de celles-là.

C’est le récit d’une femme en deuil, écrasée par la douleur, et qui, au lieu de trouver un brin d’humanité dans l’appareil bureaucratique d’Air Canada, s’est retrouvée broyée par la froideur d’un système comptable, sans âme, sans cœur.

En avril dernier, Julie Binette était à l’autre bout du monde, en voyage scolaire avec des élèves au Guatemala, quand le ciel lui est tombé sur la tête.

Un appel, un seul, a suffi pour tout faire basculer. Son conjoint, l’homme de sa vie, venait de mourir subitement d’une crise cardiaque. Cinquante ans. Pas un adieu, pas un avertissement. Une absence brutale, irréversible.

De retour au pays, Julie, anéantie, tente de sauver une parcelle de ce qu’ils avaient rêvé ensemble : un voyage dans l’Ouest canadien, dans les Rocheuses, un périple amoureux qui devait les emmener à Banff, au sommet de leur passion commune pour les randonnées.

Elle décide alors de contacter Air Canada pour modifier son itinéraire. Pas pour annuler, pas pour être remboursée. Non. Simplement pour transférer le billet de son défunt conjoint à une amie, afin de ne pas marcher seule, dans le silence du deuil, sur les sentiers qu’elle avait rêvés de lui faire découvrir.

Elle n’avait qu’une demande : que quelqu’un l’accompagne sur cette route désormais marquée par l’absence. Elle voulait que la place de son amoureux soit occupée. Pas laissée vide.

Mais Air Canada a dit non.

Non à la compassion. Non à l’écoute. Non à l’humanité.

Même la mort ne fléchit pas les règles.

On pourrait croire qu’en cas de décès, les entreprises font preuve d’une certaine souplesse, qu’elles sortent un instant de la triste routine des politiques rigides pour faire place au bon sens. Mais non. Chez Air Canada, même la mort ne constitue pas une circonstance exceptionnelle.

« Les changements de nom ne sont pas permis. Même en cas de décès. » Voilà la réponse reçue. Julie Binette, effondrée, larmes à la voix, tentait d’expliquer son désarroi au téléphone. Elle voulait payer s’il le fallait. Elle voulait s’assurer que son amie serait assise à ses côtés dans l’avion.

Mais le message qu’elle a reçu, encore et encore, fut le même : envoyez-nous le certificat de décès, et nous allons annuler. Froidement. Mécaniquement. Comme si, en plus de perdre son mari, on lui arrachait le dernier vestige de leur rêve commun.

Et même lorsque le billet fut annulé, il fallut trois appels, des heures de démarches, pour qu’Air Canada confirme que des places restaient disponibles… à condition qu’elle se dépêche de réserver elle-même en ligne. Un détail qui aurait pu être réglé dès le premier appel. Une absence totale de jugement.

Mais c’est la suite qui donne envie de hurler.

Après avoir rédigé un courriel poignant pour faire entendre son indignation, Julie a reçu une réponse qui a été perçue – à juste titre – comme une gifle. Une réponse impersonnelle, déconnectée, mal rédigée, accompagnée d’un lien en anglais vers une politique… qui ne la concernait même pas.

On lui parlait des conditions de voyage pour assister à des funérailles. Or elle ne voyageait pas pour un enterrement. Elle voulait vivre un voyage, pour honorer une mémoire. Voilà où commence sa frustration véritable. Dans cette indifférence glaciale, cette incapacité à voir l’humain derrière la procédure.

Au nom... du prix de la rentabilité...

La raison invoquée par Air Canada pour refuser un simple changement de nom? La « gestion des revenus ». Une logique commerciale, purement économique, qui veut éviter que des gens achètent des billets à rabais pour les revendre ensuite plus cher.

Selon le porte-parole Christophe Hennebelle, il faut empêcher la création d’un « marché parallèle » de revente de billets d’avion. Un argument que l’avocat Jacob Charbonneau, PDG de Vol en retard, qualifie de « bidon », rappelant que les tours opérateurs revendent régulièrement des billets sans que cela ne bouleverse l’industrie.

Mais là n’est pas la question. Personne ne veut monter une « business » de revente de billets avec la mort de son conjoint. Julie Binette ne réclamait pas de faveur financière. Elle voulait simplement un peu d’humanité.

Et cette humanité, Air Canada l’a piétinée.

Ce récit glaçant soulève une question que tout amateur de hockey, et tout Québécois doté d’un cœur, devrait se poser : comment une organisation comme le Canadien de Montréal peut-elle encore s’associer à Air Canada?

Comment Geoff Molson, France Margaret Bélanger et le Groupe CH peuvent-ils justifier ce partenariat indécent, alors que cette entreprise enchaîne les scandales humains et linguistiques?

Rappelons-nous de l’automne 2021. Le PDG d’Air Canada, Michael Rousseau, avait provoqué un tollé en affirmant qu’il était « facile de vivre à Montréal sans parler français », après un discours tenu entièrement en anglais au Palais des Congrès.

Un affront direct à la langue officielle du Québec, un crachat au visage de millions de francophones. Rousseau avait dû s’excuser, mais le mal était fait. Et chaque année, Air Canada reste au sommet de la liste des entreprises les plus visées par des plaintes au Commissariat aux langues officielles.

Et pourtant, malgré tout cela, les chandails blancs du CH à l’étranger arborent fièrement le logo d’Air Canada. Une feuille d’érable devenue symbole d’indifférence.

Quel message cela envoie-t-il? Que l’image vaut plus que l’éthique? Que le transport de joueurs en classe affaires vaut plus que la dignité des familles endeuillées?

Un partenariat tout simplement honteux.

Le communiqué officiel du Canadien se veut rassurant. On y lit des phrases creuses, des slogans aseptisés : « C’est un privilège pour nous… » ; « une relation de longue date… » ; « un impact positif sur la communauté… ». Mais dans la vraie vie, ce partenariat n’a rien de noble.

Comment concilier l’indignation nationale qui a suivi les propos de Michael Rousseau et la froideur du cas Julie Binette avec la promotion d’Air Canada sur le torse du Bleu Blanc Rouge?

Comment peut-on prétendre incarner les valeurs québécoises et tolérer pareille dérive?

Les partisans méritent des réponses.

Les femmes comme Julie Binette méritent plus que des excuses générées par l’intelligence artificielle. Elles méritent notre compassion, notre écoute, notre appui. Et surtout, elles méritent de ne pas voir la marque qui les a ignorées célébrée sur la patinoire du Centre Bell.

Nos pensées sont avec vous, Julie

Julie Binette a vécu l’impensable. Elle a perdu son amoureux. Elle a dû se battre pour ne pas perdre aussi un voyage qui portait leur souvenir. Et elle s’est butée à une entreprise qui ne voulait pas écouter.

Elle n’a pas demandé la lune. Seulement qu’on lui tende la main.

Et ce refus, c’est nous tous qu’il touche. Parce qu’un jour, ce pourrait être nous. Ce pourrait être vous.

À travers le chagrin, la colère et l’incompréhension, une question reste suspendue, brûlante :

Air Canada mérite-t-elle encore notre confiance? Et surtout, mérite-t-elle d’être le commanditaire officiel de l’équipe de tout un peuple?