À force d’observer Martin St-Louis jour après jour, on finit par comprendre une chose : le coach du Canadien n’improvise jamais vraiment.
Derrière chaque mot, derrière chaque confession, derrière chaque mea culpa parfaitement placé au bon moment, il y a une stratégie. Et aujourd'hui, en revenant du voyage dans l’Ouest, St-Louis a offert ce qui ressemble furieusement à une opération diversion.
Car alors qu’une véritable tempête entoure l’utilisation d’Ivan Demidov, tempête qui gronde depuis des semaines, qui a explosé durant le weekend, et qui prend désormais des proportions incontrôlables, St-Louis a choisi précisément ce moment pour se déclarer fautif… mais surtout sur un point totalement secondaire.
Dans son point de presse du retour, le coach a levé la main, humble, affirmant qu’il avait « pris la mauvaise décision en demandant à son groupe d’être plus passif en zone neutre ».
Une belle phrase, presque touchante, prononcée avec calme, mesurée, parfaitement déposée dans le décor d’un revers 7-2 au Colorado. Une phrase qui montre un homme honnête, responsable, prêt à admettre ses erreurs.
Sauf que tout Montréal le sait : ce n’est pas cette erreur-là qu’on voulait entendre.
Pendant que les fans, les analystes, les chiffres avancés, les comparatifs de temps de jeu et même les recrues de la ligue exposent l’incohérence totale du traitement réservé à Ivan Demidov, St-Louis choisit de reconnaître une erreur… tactique, sans conséquence durable, une erreur qui ne touche ni son vestiaire, ni son évaluation des joueurs, ni sa responsabilité dans son traitement indigne d'Ivan Demidov.
Un mea culpa qui ne coûte rien.
Et c’est là que son génie médiatique apparaît : il offre aux journalistes un aveu, un os à ronger, un morceau à commenter, et la majorité saute dessus parce que ça fait du bien de tenir un entraîneur responsable.
Pendant ce temps, le vrai dossier brûlant, pourquoi Demidov joue pratiquement autant que Florian Xhekaj, pourquoi son temps de glace fond malgré sa production, pourquoi Martin St-Louis s’entête à l’utiliser avec Oliver Kapanen, reste dans l’angle mort.
Et personne n’ose poser la question.
Parce que St-Louis, à Montréal, a un aura unique : celui d’un ancien joueur adoré, d’un pédagogue charismatique, d’un homme qui parle bien, qui explique bien, qui inspire. Et ce prestige étouffe parfois la critique. On préfère commenter ce qu’il dit plutôt que ce qu’il évite.
Hier encore, les journalistes ont accepté sa confession sur le système défensif comme une grande preuve de transparence, alors que c’était surtout une brillante manœuvre de contrôle narratif : St-Louis dirige la conversation dans une direction où il est confortable, loin de celle qui l’exposerait vraiment.
Pendant que Montréal hurle :
« Pourquoi Demidov joue-t-il comme un 12e attaquant alors qu’il mène toutes les recrues de la ligue au pointage ? »
Saint-Louis répond :
« Nous avons été trop passifs en zone neutre, c’est ma faute. »
Le message est clair : il admet des erreurs, oui, mais uniquement celles qu’il choisit.
Et c’est d’autant plus flagrant que, ces derniers jours, St-Louis a multiplié les explications sur Oliver Kapanen, un joueur qu’il décrit comme un « protecteur » pour Demidov, un joueur prudent, fiable, qui lui permettrait de ne pas « protéger » son jeune Russe autant qu’il le pourrait autrement.
Une justification qui a fait exploser la communauté analytique, puisque les statistiques avancées prouvent exactement l’inverse : Kapanen coule dans presque toutes les métriques et c’est Demidov qui, en réalité, le traîne dans ses minutes à 5-contre-5.
Mais sur ce sujet-là, silence.
St-Louis refuse de s’engager, refuse de reconnaître un malaise qui enfle, refuse de donner du pouvoir aux chiffres, aux critiques, aux fans, préférant ramener la conversation sur un terrain qu’il contrôle, celui de la tactique générale, de la philosophie d’équipe, de l’humilité du coach.
Et honnêtement, c’est habile. Très habile.
Il sait que Montréal bouillonne, que les réseaux sociaux s’enflamment, que même des vétérans comme Maxim Lapierre et des plateformes comme TVA Sports commencent à tirer dans sa direction.
Il sait que chaque décision sur Demidov devient un test de leadership. Il sait que la pression monte. Alors il joue la carte du coach humain, imparfait, vulnérable, qui apprend, qui ajuste.
Mais il ne touche jamais à la question Demidov.
Et tant que personne n’osera l’y forcer, il continuera de maîtriser la conversation comme il l’a fait hier.
St-Louis contrôle la scène.
Les journalistes suivent son script.
Et Demidov, pendant ce temps, reste coincé dans sa niche.
Une diversion parfaite.
