ll faut dire les choses comme elles sont : Pierre Karl Péladeau ne pense plus aux Nordiques. Il ne pense plus à TVA Sports. Il ne pense plus à Québec. Il pense à Transat. Ou plutôt, il en rêve la nuit, il y pense en déjeunant, il en parle avec ses financiers, et il s’acharne devant les tribunaux.
Le PDG de Québecor veut Transat comme un joueur en fin de carrière veut une dernière Coupe Stanley. C’est devenu une obsession, un projet personnel, un rachat de prestige.
Et ce n’est pas une hypothèse : les documents confidentiels obtenus par La Presse révèlent que Péladeau a soumis trois offres d’achat à Transat entre le 28 avril et le 17 juin 2025.
Trois propositions, dont la première offrait un seul petit dollar pour toutes les actions du voyagiste québécois. Un dollar symbolique, pour une compagnie qui devait encore à ce moment 772 millions $ au gouvernement fédéral.
Pourquoi ce chiffre? Parce que PKP espérait une restructuration par le biais de l’insolvabilité. Autrement dit : vider l’entreprise, récupérer le squelette, et la rebâtir à son image. Une approche dure, stratégique, presque cruelle.
Pas de pitié en business... surtout dans le monde de Péladeau...
Et ce qui est encore plus inquiétant, c’est qu’il ne mène pas cette opération en solitaire. Investissement Québec (IQ) et le Fonds de solidarité FTQ, deux bras financiers puissants du Québec, se retrouvent associés à son projet dans les documents consultés.
Sans jamais s’engager formellement, ils ont confirmé leur intérêt à participer au financement, selon ce que Péladeau a écrit lui-même dans sa proposition du 28 avril.
Une manœuvre qui soulève des questions éthiques évidentes, puisque le Fonds FTQ est aussi le principal actionnaire actuel de Transat, avec plus de 10,97 % des parts.
Pourquoi une telle fixation? Péladeau ne s’en cache même plus. À l’agence Bloomberg, il a affirmé, après son revers à la Cour supérieure en juillet, que Transat « aura besoin d’une autre restructuration » et que l’entreprise, même après l’accord avec Ottawa, ne pourra pas croître dans son état actuel.
Il veut la casser pour la reconstruire. Et pendant ce temps, TVA Sports coule, et le projet des Nordiques pourrit dans un tiroir.
En fait, cette nouvelle obsession pour Transat est une mauvaise nouvelle pour les employés de TVA Sports. Elle démontre clairement que Péladeau a changé ses priorités.
Son argent, son énergie, ses avocats, ses lobbyistes, tout est orienté vers l’acquisition de ce transporteur aérien.
On comprend donc que TVA Sports n’est plus dans son radar, qu’il ne cherche plus à sauver la chaîne ou à récupérer les droits de la LNH. Et surtout, qu’il ne souhaite plus redevenir le visage du hockey à Québec.
Ce changement de cap est une catastrophe pour les centaines d’employés de Québecor qui espéraient encore un sauvetage.
Car une fois que Transat deviendra officiellement une affaire d’État (ce qui semble probable, puisque le gouvernement fédéral pourrait en devenir l’actionnaire principal avec près de 20 % des titres), Péladeau pourra crier au nationalisme économique pour justifier son offensive.
Mais pour TVA Sports? Rien. Silence. Pas un mot. Pas un geste.
Et ce silence est assourdissant. Surtout quand on se rappelle les paroles de Péladeau lui-même. C’est cet homme qui disait, en 2015, que ramener les Nordiques était « une question de fierté nationale ».
Aujourd’hui, cette fierté est troquée contre des parts dans une entreprise touristique en déclin. Une fierté qui n’intéresse plus personneé
Ce changement de stratégie s’inscrit aussi dans un contexte financier extrêmement tendu pour Québecor. TVA Sports est en chute libre, avec des pertes qui se comptent entre 230 et 300 millions de dollars.
La chaîne est sur le point de perdre ses droits majeurs, ses audiences sont en déclin, et sa pertinence est remise en question. Dans les couloirs de la tour, certains disent déjà que TVA Sports ne survivra pas à la fin de l’entente actuelle de diffusion avec la LNH, en 2026.
Il y a des signes qui ne mentent pas. Il n’y a plus de promesse de relance. Plus de vision d’avenir. Plus de fierté. Juste un abandon graduel.
Rappelons-le : Péladeau a lui-même déclaré que « l’avenir de TVA Sports est incertain ».
“Il ne faudrait pas s’étonner que TVA Sports cesse ses activités”.
Par cette phrase, il avoue que la chaîne ne fait plus partie de ses priorités. Et ce n’était pas une phrase lancée à la légère : c’était un message codé aux employés, aux partenaires et aux décideurs politiques. Le message était clair : je lâche prise.
« Nous pouvons le dire dès maintenant : TVA Sports n’aura pas les moyens ni les modèles économiques pour payer les montants colossaux que la Ligue nationale de hockey demande pour les droits nationaux de diffusion des matchs de hockey, selon ce que nous comprenons de l’entente récemment intervenue entre Rogers/Sportsnet et la direction de la LNH » a-t-il affirmé pour faire comprendre à tout le monde qu'il va débrancher le respirateur artificiel.
Et, la phrase destructrice:
« Après avoir investi plus de 230 millions de dollars, comme nous le disons en latin : don’t throw good money after bad ! »
Ouch.
Il n’est donc pas surprenant que les employés de TVA Sports vivent aujourd’hui dans une angoisse permanente. Les départs se multiplient, les budgets sont coupés, les productions se réduisent comme peau de chagrin.
Et pourtant, personne ne vient les rassurer. Le président du conseil ne monte plus au front pour défendre leur avenir. Il est trop occupé à convoiter les ailes d’un avion en perdition.
Et comment ne pas faire le lien avec ce qui s’est passé à Échos Vedettes? À peine un an avant le démantèlement brutal de sa salle de rédaction, Péladeau disait encore croire au magazine.
Il affirmait vouloir maintenir une offre culturelle forte au sein de TVA Publications. Quelques mois plus tard, plus de la moitié des employés perdaient leur emploi. C’est le même scénario qui se dessine aujourd’hui pour TVA Sports : un abandon progressif déguisé en restructuration inévitable.
Ce qui rend la situation encore plus cruelle, c’est que les employés de TVA Sports ont tenu le fort jusqu’au bout. Ils ont couvert les séries, les événements majeurs, les nouvelles sportives quotidiennes, avec les moyens du bord.
Ils ont fait des miracles, souvent sans reconnaissance. Et aujourd’hui, on les efface du paysage comme s’ils n’avaient jamais existé. Même The Athletic, dans son classement des équipes de diffusion de la LNH, a rayé TVA Sports de la carte. Zéro mention. Zéro reconnaissance. Une invisibilité douloureuse.
Mais la blessure la plus profonde, c’est de voir leur patron consacrer toute son énergie à sauver une compagnie touristique surendettée, pendant qu’eux s’enfoncent.
Ce n’est pas juste une question de budget. C’est une question de respect. D’écoute. De loyauté. Et Péladeau, dans ce dossier, a tourné le dos à sa propre équipe.
Et pendant ce temps, PKP jette ses dernières ressources dans Transat. Le message est clair : il a abandonné la partie.
Et ce n’est pas une rumeur. Le 7 juillet, la Cour supérieure a rejeté la tentative de Péladeau de forcer la tenue d’un vote des actionnaires sur l’accord conclu entre Transat et Ottawa.
Un revers important. Mais un revers qui ne l’a pas découragé. Il l’a dit lui-même : il ne lâchera pas le morceau. Transat, c’est son nouveau cheval de bataille. Et pendant qu’il bataille là, il laisse ses autres projets mourir de faim.
C’est dans ce vide que s’engouffre Luc Poirier. Car pendant que PKP regarde vers le ciel, Poirier regarde vers la LNH.
Lui n’a pas tourné la page sur les Nordiques. Lui continue d’y croire. Et maintenant que Péladeau semble avoir jeté la serviette, Poirier se retrouve seul en piste. Il a le profil, l’argent, les contacts, et surtout, il n’a jamais menti à personne sur ses intentions.
Et c’est là que réside tout le drame : le rêve des Nordiques n’est pas mort. Il a simplement changé de mains. Ou du moins, il le pourrait.
Mais pour cela, il faudra que le gouvernement du Québec, la ville de Québec et la LNH tournent la page sur PKP. Car tant que Péladeau sera associé au dossier, il sera vu comme un boulet. Et tant qu’il aura le contrôle du Centre Vidéotron, aucune alliance ne sera possible.
Transat n’est donc pas qu’une entreprise à racheter. C’est le symbole d’un revirement de situation stratégique complète pour Pierre Karl Péladeau.
Un aveu implicite que le hockey, ce n’est plus son combat. Un renoncement qui, ironiquement, pourrait être le signal de départ tant attendu par Luc Poirier.
Mais au-delà du choc entrepreneurial, c’est toute une génération de partisans qui se sent trahie. Les promesses de 2015. Les communiqués. Les conférences de presse enflammées. Tout ça n’était que poudre aux yeux. Aujourd’hui, PKP n’en a plus rien à faire des Nordiques. Et il ne veut plus rien savoir de Québec.
Le peuple, lui, regarde ça, impuissant. Il voit bien que son espoir est passé d’un empire médiatique vieillissant (Quebecor) à un promoteur flamboyant (Poirier). Et il se demande : est-ce qu’il est déjà trop tard?
La réponse dépend peut-être d’un seul homme… qui n’a pas peur d’investir dans une équipe de hockey, mais qui refuse de s’associer à celui qui l’a fait fuir.