Le Canadien de Montréal connaît un départ canon. Six victoires à ses huit premiers matchs, une unité défensive solide, un gardien recrue en feu, et une cohésion offensive qui semble s’installer.
Et pourtant, dans tout ce bonheur collectif, une frustration commence à grandir à Montréal : Ivan Demidov, le joyau offensif de 19 ans, est en train d’être freiné par son propre entraîneur.
Après avoir été limité à un seul point à ses trois premiers matchs, Demidov a récolté cinq points à ses cinq dernières rencontres. Il est désormais le troisième meilleur pointeur du Canadien, avec six points en huit parties. Et le plus frustrant, c’est qu’il n’a joué qu’en moyenne 14 minutes 13 secondes par match.
À Calgary mercredi, il a été magique, encore une fois. Une passe de génie pour Mike Matheson en prolongation, une autre séquence de jeu qui a fait lever la foule, et la confirmation que le jeune Russe n’a peur de rien.
Mais cette patience, cette intelligence de jeu, ce talent naturel qui rappelle les plus grands, Martin St-Louis refuse encore d’en faire son moteur offensif.
À 19 ans, Demidov démontre déjà un calme et une maturité rares. Il se détache de la pression, ne lit pas les médias, a supprimé toutes les applications de réseaux sociaux sur son téléphone et se consacre entièrement à son sport. Son agent, Dan Milstein, l’a répété :
« Ivan ne pense pas à ses statistiques. Il veut seulement aider Montréal à gagner. Il rêve de ramener la Coupe Stanley à cette ville. »
Un message clair, presque un appel à la confiance de son entraîneur. Et pourtant, Martin St-Louis semble le traiter comme un junior qui doit mériter chaque présence.
Demidov a été limité à 13 min 46 s à Calgary, 12 min 27 s contre Buffalo, souvent relégué au troisième trio, rarement utilisé en avantage numérique.
Pendant ce temps, les vétérans plus effacés cumulent les minutes, même lorsqu’ils n’ont aucun impact offensif.
Josh Anderson, Brendan Gallagher et Jake Evans sont bel et bien les chouchous de Martin St-Louis.
Cette gestion à l’envers coûte déjà cher : si la tendance se maintient, Demidov ne remportera pas le trophée Calder, remis à la meilleure recrue de la LNH.
C’est une réalité cruelle pour les partisans montréalais : le CH pourrait avoir dans son alignement deux lauréats potentiels du trophée Calder consécutifs, Lane Hutson l’an dernier, Demidov cette année, et voir le deuxième lui échapper pour de simples raisons d’utilisation.
Mathias Brunet l’a d’ailleurs résumé avec justesse :
« Oubliez ça, c’est fini. Le trophée Calder, c’est assuré pour Matthew Schaefer. »
Et difficile de lui donner tort. Pendant que Demidov plafonne à 14 minutes de jeu, Matthew Schaefer, le prodige des Islanders de New York, ne quitte plus la glace.
Premier choix au total du dernier repêchage, Schaefer est déjà le meilleur joueur de son équipe. Il mène les Islanders avec sept points en six matchs, une moyenne d’utilisation de 22 minutes 07 secondes, et il a déjà pris la place de Tony DeAngelo sur la première unité du jeu de puissance.
Patrick Roy l’a même utilisé deux fois plus de 26 minutes. À 18 ans à peine.
Ouch. Pendant que Roy confie les clés de son équipe à un adolescent, St-Louis semble craindre d’assumer le talent brut.
Martin St-Louis aime répéter que « les habiletés extraordinaires viennent des actions ordinaires ». Mais à force de valoriser “l’ordinaire”, il étouffe l’extraordinaire.
Le Canadien a enfin un joueur capable de faire lever le Centre Bell chaque fois qu’il touche la rondelle. Et il passe la moitié du match sur le banc.
À Calgary, Demidov a offert une passe d’une patience fabuleuse à Matheson. Il a été le joueur le plus créatif du match. Et il a tout de même joué moins que Jake Evans, Joe Veleno et Josh Anderson.
C’est incompréhensible.
C’est même indéfendable.
Surtout quand on se rappelle que Lane Hutson a remporté le Calder l’an dernier en bénéficiant d’une totale liberté créative. Pourquoi refuser ce même espace à Demidov ?
Pourquoi l’enfermer dans un rôle défensif qu’il n’a jamais eu ?
Si le jeune Russe finit la saison avec 50 ou 60 points, ce sera par pur talent. Pas grâce à la confiance de son entraîneur.
Pendant que Demidov attend son tour, Schaefer brille déjà sous les projecteurs de New York.
À 18 ans, il est utilisé comme un vétéran de dix ans. Patrick Roy lui confie des missions en désavantage numérique, le place sur le premier power play, et le fait jouer contre les meilleurs trios adverses.
Et le résultat est spectaculaire.
Schaefer patine comme le vent, transporte la rondelle d’un bout à l’autre, défend avec aplomb et attaque sans peur. Il est, déjà, le visage de la reconstruction des Islanders.
Son nom est pratiquement déjà gravé sur le trophée Calder.
Et à Montréal ?
On se demande si Demidov finira par atteindre 15 minutes par match.
Ce n’est pas la première fois que St-Louis gâche l'expérience pour ses jeunes talents.
L’an dernier, il a fallu une blessure à Mike Matheson pour que Lane Hutson obtienne enfin sa place sur la première unité du jeu de puissance.
Cette année, il refuse encore de placer Demidov sur la première vague, préférant miser sur un trio “sécuritaire”.
Même scénario avec Zachary Bolduc, le Québécois réduit à un rôle de quatrième trio alors qu’il est l’un des meilleurs tireurs du club.
Et le pire ? St-Louis continue de défendre ces choix comme s’ils étaient pédagogiques.
« On veut que les joueurs apprennent à faire les petites choses », répète-t-il.
Mais à trop vouloir enseigner la patience, il risque d’ensevelir le talent.
À 19 ans, Ivan Demidov n’a pas besoin d’être “protégé”.
Il a besoin d’être lancé.
Il a besoin d’apprendre en jouant, pas en regardant.
Et surtout, il a besoin d’être reconnu comme le joueur unique qu’il est.
On ne peut pas dire d’un côté qu’il est “tellement bon” et, de l’autre, le laisser sur le banc pendant que des trios inefficaces accumulent les présences.
À ce rythme, ce n’est pas seulement le Calder que St-Louis risque de lui coûter, c’est son rythme de développement, sa confiance et son plaisir de jouer.
Montréal adore le talent, mais panique dès qu’il faut le laisser libre.
Et voilà que l’histoire recommence.
Demidov pourrait être le joueur qui change tout : un artisan du but, un moteur d’émotion, une bouffée d’air neuf pour une équipe qui a souvent manqué d’instinct offensif.
Mais pour l’instant, son plus grand obstacle n’est pas la Ligue nationale. C’est le conservatisme de son propre banc.
Ivan Demidov ne s’en plaindra pas.
Il sourit, il travaille, il avance.
Mais la vérité est simple : Martin St-Louis est en train de coûter à Montréal une chance historique d’avoir deux recrues consécutives au sommet de la LNH.
Et si Demidov ne gagne pas le Calder, ce ne sera pas parce qu’il n’était pas assez bon.
Ce sera parce qu’on ne l’a pas laissé jouer. Il payer cher le manque de vision de son coach...
