Tristesse pour Pierre-Karl Péladeau: ça sent la fin

Tristesse pour Pierre-Karl Péladeau: ça sent la fin

Par David Garel le 2025-08-02

Il y a des phrases qui résonnent comme un arrêt de mort. Des silences qui valent plus que mille communiqués. Et des regards, comme celui de Pierre Karl Péladeau lors de la dernière assemblée des actionnaires de Québecor, qui ne trompent plus personne.

« Il ne faudrait pas s’étonner que TVA Sports cesse ses activités. »

Cette phrase, tombée sèchement dans une salle figée, aura suffi à faire basculer tout le Québec médiatique dans un deuil non déclaré.

Et pour la première fois, la rumeur ne veut pas mourir. Car ce ne sont plus seulement les jours de TVA Sports qui sont comptés. C’est le réseau au complet qui s'effondre.

Ce qui se joue sous nos yeux n’est pas seulement une crise d’auditoire ou une tempête passagère. C’est une lente agonie, un effondrement systémique.

TVA, ce géant aux fondations québécoises, ce symbole de la télé populaire, s’enfonce. Chaque trimestre creuse un peu plus sa tombe. Chaque phrase de son patron sonne plus défaitiste que la précédente. Et cette fois, les chiffres parlent d’eux-mêmes.

Au dernier trimestre, Groupe TVA a enregistré une perte nette de 4,7 millions de dollars. Une augmentation de 60 % par rapport à l’an dernier.

Pendant ce temps, les revenus du groupe ont fondu de 10 %, atteignant à peine 129 millions. La faute à une baisse généralisée de l’écoute, selon les mots mêmes de Péladeau : une chute de 13 % des parts d’écoute en avril et en mai.

Il ne s’agit pas d’un mauvais trimestre, mais d’un modèle d’affaires qui ne fonctionne plus.

Si TVA est un navire en détresse, TVA Sports est la voie d’eau qui le fait couler. Depuis sa création, la chaîne a accumulé des pertes dépassant les 230 millions de dollars.

Le contrat faramineux de 11 milliards signé entre Rogers et la LNH jusqu’en 2038 a condamné toute possibilité de rentabilité et surtout rend impossible le fait que la station puisse prolonger sa sous-licence de diffusion des matchs de la ligue et du CH.

TVA Sports ne détient plus les actifs nécessaires pour survivre. L’échéance est claire : l’été 2026. Fin de la licence. Fin de la chaîne.

Et Pierre Karl Péladeau ne cherche même plus à cacher sa résignation. À l’assemblée annuelle, il a évoqué, sans le dire formellement, la fin programmée.

Il a sorti ses arguments classiques (concurrence des géants du web, Radio-Canada trop gourmande en publicité), mais dans ses yeux, c’est un autre combat qui se lit : celui d’un homme qui ne veut plus se battre pour une guerre déjà perdue.

Le sacrifice du sport… et après?

Ce qui inquiète davantage, c’est que TVA Sports semble n’être que le premier domino. Dans les couloirs, les employés parlent à voix basse, mais ils savent.

Ils ont vu les 30 derniers postes supprimés en mai. Ils se souviennent des 650 abolitions précédentes. La moitié du personnel a déjà été coupée.

Les studios de MELS ne tournent plus à plein régime. Les magazines se raréfient. Et dans les salles de nouvelles, la fébrilité a été remplacée par l’attente résignée.

Le discours de Péladeau ne laisse plus place à l’espoir :

« Ces décisions difficiles contribuent à contenir modestement la crise, mais ne sont pas suffisantes pour assurer la pérennité des activités de TVA. »

Ce n’est pas un appel à l’aide. C’est une déclaration d’impuissance.

Et pendant que l’on coupe, tranche et congédie, les regards se tournent vers ceux qui restent grassement payés. Vers la famille Péladeau. Vers les hauts dirigeants.

Car ce qui choque aujourd’hui, ce n’est pas que TVA a des difficultés. C’est que TVA a des difficultés alors que certains continuent de vivre dans un confort indécent.

En pleine débâcle financière, alors que TVA Sports accumule les pertes et que le spectre de la fermeture plane sur l’ensemble du réseau TVA, une autre réalité vient jeter de l’huile sur le feu : la rémunération des hauts dirigeants.

À commencer par celle de Pierre Karl Péladeau lui-même. En 2024, l’homme fort de Québecor a empoché une rémunération totale de 20,4 millions de dollars comparativement à 4,9 millions de dollars en 2023.

À ce salaire déjà conséquent s’ajoute une rémunération supplémentaire de 424 000 dollars que Péladeau a perçue pour assurer temporairement la direction de Groupe TVA, alors même que l’entreprise annonçait des licenciements massifs.

Ce double rôle, grassement payé, n’a pas manqué de faire réagir les syndicats, les journalistes, et surtout les employés congédiés. Comment justifier, en pleine saignée financière, que le PDG accumule les rémunérations pendant que des centaines de familles québécoises perdent leur revenu?

La famille Péladeau ne se limite pas à Pierre Karl. Le cercle familial immédiat est également bien servi. Jean B. Péladeau, fils du magnat, et vice-président à la convergence opérationnelle chez Québecor Média, a reçu une rémunération totale de 1,9 million de dollars en 2023. 

Quant à Érik Péladeau, frère de Pierre Karl et administrateur de la société, il a touché 920 700 dollars, dont la majorité provient d’une rente de retraite pour ses 32 années de service.

Une rente versée rubis sur l’ongle alors que des travailleurs contractuels, techniciens et pigistes doivent se battre pour toucher leurs indemnités de départ.

Ces montants, aussi légaux soient-ils, deviennent socialement indécents lorsqu’on les met en parallèle avec les pertes infinies de TVA Sports : près de 300 millions de dollars depuis sa création en 2011 (même si la direction parle de 230 millions de pertes).

La chaîne a perdu 9 % de ses abonnés par année, environ 115 000 foyers, un chiffre en chute libre qui se poursuivra en 2024.

Les revenus publicitaires s’effondrent, les coûts de diffusion explosent, et pourtant, la machine Québecor continue d’honorer des salaires de stars à ses dirigeants, animateurs et commentateurs.

Le contraste est d’autant plus frappant lorsqu’on compare les rémunérations internes à TVA Sports avec les données nationales.

Selon le rapport du Centre canadien de politiques alternatives (CCPA), les 100 PDG les mieux payés au pays ont gagné en moyenne 13,2 millions de dollars en 2023, soit 210 fois le salaire moyen d’un travailleur canadien.

Le salaire minimum pour entrer dans ce club élitiste? 6,9 millions. Autrement dit, Pierre Karl Péladeau, avec ses 4,9 millions, ne fait même pas partie du top 100.

Mais pour les employés de TVA, cela ne rend pas sa rémunération plus acceptable. Au contraire, cela accentue le malaise : il est « trop riche pour être pauvre », mais « trop pauvre pour être critiqué » selon ses défenseurs.

Et pourtant, les écarts demeurent obscènes. Toujours selon le même rapport, les PDG du top 100 gagnent en moyenne 3 255 dollars de l’heure, contre 15 à 20 dollars pour un salarié moyen.

En moins de 11 heures lors de la première journée ouvrable de 2025, ces PDG avaient déjà gagné 62 661 dollars, soit le salaire annuel moyen d’un travailleur canadien.

Tous les congédiements d'employés n’ont pas empêché l’entreprise de distribuer généreusement les options d’achat, les bonis, les jetons de présence et les dividendes familiaux.

On en arrive à un paradoxe troublant. Québecor, entreprise québécoise par excellence, qui se revendique proche du peuple, du terroir, de la langue et de la culture, traite ses dirigeants comme des princes d'Arabie Saoudite et ses employés comme du bétail.

Le contraste entre les valeurs affichées et la réalité comptable est saisissant. Et c’est là où ça fait mal. Ce n’est pas tant le montant absolu qui choque : c’est l’écart entre ceux qui triment, et ceux qui encaissent.

Quand un PDG entretient une chaîne déficitaire comme un passe-temps, pendant que des centaines de familles sont mises à la rue, c’est qu’on a basculé dans une logique aristocratique insensé.

Et pendant que tout s’effondre, Péladeau continue de mener ses propres croisades. En janvier 2025, il a rencontré Geoff Molson pour tenter de conserver les droits du Canadien de Montréal à TVA Sports après 2026.

Une tentative aussi stratégique que désespérée. Car même s’il y parvient, l’argent pour financer ce contenu n’existe plus. Le public se détourne, les revenus chutent, et la dette culturelle s’accumule.

Quoi qu’on en pense, une chose est certaine : le fossé entre sa rémunération et la réalité vécue par les employés de TVA n’a jamais été aussi large. Et ce fossé pourrait bien engloutir tout ce qu’il reste encore du réseau.

La colère monte. Car le peuple québécois, lui, regarde ses écrans s’éteindre, pendant que les Péladeau défendent leur dividende.

Dans ce chaos, une voix s’est levée avec la force de l’expérience et la gravité du deuil : celle de Réjean Tremblay. La légende du journalisme sportif ne parle pas simplement de chiffres, mais de culture.

Et il ajoute, avec l’amertume de celui qui voit un monde s’écrouler :

« Les grandes entreprises internationales de streaming passent la gratte. Ne reste plus que des grenailles pour les médias traditionnels. »

Ce n’est pas une analyse. C’est un testament. Tremblay, qui a porté Lance et Compte, Scoop, Casino, Le Masque, voit aujourd’hui s’éteindre l’écran sur lequel il a projeté ses rêves.

TVA, c’était nous.

TVA, ce n’est pas qu’un réseau. C’est une institution. C’est Céline Dion sur le plateau de Michel Jasmin. C’est les bulletins de Pierre Bruneau.

C’est les téléromans de grand-maman, les Bye Bye populaires, les séries policières et les galas de l’ADISQ. C’est la mémoire collective du Québec en images.

Et pourtant, cette mémoire est en train de s’effacer. Pas par manque d’intérêt du public. Mais par incapacité du modèle à survivre dans l’univers numérique.

Les plateformes de streaming comme Netflix, Disney+, Amazon Prime ou Apple TV ont envahi le salon des Québécois.

Ils offrent du contenu sans pause, sans publicité, sans frontière. Et pendant ce temps, TVA se bat avec des revenus publicitaires en chute libre, une main liée dans le dos.

Ce qui a tué TVA, ce n’est pas seulement la concurrence. C’est son incapacité à s’adapter. On a engraissé des vedettes de plateau.

On a multiplié les postes de direction. On a parié sur des studios coûteux. On a conservé une structure pensée pour un autre siècle.

On a cru qu’en jetant de l’argent sur le problème, on allait vaincre Sportsnet. On a engagé à prix fort des animateurs, des analystes, des anciens joueurs.

On a voulu faire du bruit, mais sans jamais repenser la forme. On a fait une télévision qui se regardait dans le miroir, pendant que le public zappait ailleurs.

Et maintenant?

Le glas a sonné. TVA Sports vit ses derniers mois. MELS est en sursis. Les magazines sont en chute. Le bulletin de nouvelles est en sursis. Et TVA, dans son ensemble, est en phase terminale.

Il ne s’agit plus de savoir si le réseau va tomber. Il faut désormais se demander quand.

Et surtout, ce qu’on fera après.

Car perdre TVA, ce n’est pas juste perdre une chaîne. C’est perdre une part de notre identité. C’est admettre que la télévision francophone privée au Québec n’a plus les moyens d’exister.

C’est dire à nos enfants qu’ils ne verront plus de séries québécoises aux heures de grande écoute, sauf si elles sont subventionnées par l’État.

Ce n’est pas une fatalité. Mais ce sera notre réalité si rien ne change. Le gouvernement peut bien blâmer les géants du web.

Pierre Karl Péladeau peut bien dénoncer Radio-Canada. Mais pendant qu’ils se renvoient la balle, les studios se vident, les écrans s’éteignent, et le public oublie.

La culture québécoise a besoin d’un plan. D’un pacte. D’une vraie réflexion sur ce qu’on veut sauver, et à quel prix.

Mais pour l’instant, il faut regarder la vérité en face.

TVA n’est plus un pilier. C’est une ruine.

Et la seule question qui reste, c’est : qui allumera la dernière lumière?