Zachary Bolduc avait les yeux vides, mardi matin à Brossard. Il répondait aux journalistes sans colère, sans ironie, mais avec cette lassitude triste des joueurs qui ne croient plus vraiment à ce qu’ils disent.
Son ton hésitant, ses mots prudents, « c’est de l’adaptation pour moi », traduisaient tout : le jeune Québécois n’est plus le même depuis qu’il s’est retrouvé prisonnier du système de Martin St-Louis.
Au début, tout semblait pourtant parfait : un retour au bercail, l’excitation de jouer devant les siens, trois buts à ses trois premiers matchs, un record vieux de vingt ans égalé. (3 buts à ses trois premiers matchs pour égaler Yanick Perreault).
Mais à mesure que le Canadien empilait les victoires, le sort de Bolduc, lui, s’assombrissait. On l’a déplacé, ralenti, écarté des trios offensifs. Puis, lundi soir contre Buffalo, on l’a confiné à 11 minutes de glace, sa plus courte utilisation de la saison. À chaque séquence télévisée, on le voyait sur le banc, tête basse, l’air perdu.
Martin St-Louis, interrogé sur son rendement à 5 contre 5, a pris soin d’éviter le cœur du problème. « Je trouve que ses détails défensivement sont bien meilleurs que depuis le début du camp. J’ai aimé ses intentions. C’est encourageant. »
Des phrases "fake", polies, qui ressemblent davantage à un constat de tolérance qu’à un véritable compliment. Ce n’est pas un secret : St-Louis n’est pas un grand admirateur du jeu de Bolduc.
Il préfère les gars simples, les joueurs de rythme, ceux qui “jouent la game devant eux”. Bolduc, lui, est un intuitif. Et les intuitifs, dans un système homme à homme rigide, se perdent.
Le principal intéressé l’a admis : « C’est de l’adaptation pour moi. Le système est différent. À Saint-Louis, on jouait en couverture de zone. Ici, c’est du man-to-man. »
Derrière cette phrase se cache tout son malaise. Ce système, qu’on présente comme “simple”, est en réalité une mécanique exigeante où chaque erreur individuelle se paie au prix fort. Bolduc, habitué à jouer instinctivement, doit désormais décoder chaque situation en une fraction de seconde : qui suivre, quand décrocher, où se replacer. Il le dit lui-même :
« Beaucoup de choses se passent rapidement et c’est énormément de lectures. »
«Le man to man, ça semble simple dit de même, mais c’est plus difficile que les gens le croient.»
«C’est de l’adaptation pour moi de toujours savoir où est le joueur que je dois couvrir, a mentionné le no 76. Ça dépend de tes coéquipiers. Parfois, des gars perdent des bâtons.»
Ce n’est pas tant une question de volonté qu’une question d’ADN hockey. Bolduc est un joueur de flair, pas un joueur d’échecs. Il n’a pas grandi dans une structure où tout est prévisible, calibré.
À Saint-Louis, Jim Montgomery lui donnait la liberté de se tromper pour mieux apprendre. À Montréal, St-Louis exige qu’il ne se trompe jamais. Et dans cette logique défensive étouffante, on voit un buteur perdre confiance, seconde après seconde.
Ses chiffres traduisent ce déclin. À 5 contre 5, il se classe dixième parmi les attaquants du CH pour le temps de jeu, à 10 minutes 42 secondes.
Seuls Laine, Veleno, Kapanen et Beck jouent moins. C’est brutal pour un joueur censé devenir une arme offensive. Et cette marginalisation risque de s’accentuer : chaque match où il peine à imposer sa présence semble justifier, aux yeux de St-Louis, son choix de le reléguer.
Pourtant, le problème n’est pas l’effort. On voit Bolduc revenir en zone, tenter de suivre son homme, parfois même compenser les erreurs d’un coéquipier.
Mais il pense trop, et dans le hockey moderne, penser une demi-seconde de trop, c’est déjà être en retard. Le jeu qui, jadis, coulait de source pour lui est devenu un casse-tête constant.
Le contraste avec son arrivée est cruel. On se souvient du sourire sincère, des premiers buts, de ce sentiment que le CH venait peut-être de mettre la main sur un futur pilier.
Aujourd’hui, le même visage exprime la fatigue et la confusion. Bolduc n’a plus cette lumière dans le regard. Et Martin St-Louis, malgré son discours de mentor, ne semble pas vouloir lui tendre la main.
L’ironie, c’est que l’entraîneur aime rappeler qu’il “coache les intentions” plutôt que les résultats. Mais comment reconnaître l’intention quand le joueur se noie dans le système ?
Bolduc tente de bien faire, et son coach le reconnaît vaguement. Mais au lieu d’un encouragement public fort, il reçoit une évaluation tiède, comme une note de passage donnée à un élève en difficulté.
Dans le vestiaire, les coéquipiers le sentent aussi. Il fait peine à voir, murmurent certains. Il ne parle pas beaucoup, évite les longues réponses.
Sa voix, d’habitude vive et claire, est devenue basse, presque fragile. Les médias, eux, voient un jeune homme dépassé, conscient de ce qui lui échappe mais impuissant à le corriger.
Reste la grande question : combien de temps Martin St-Louis va-t-il tenir cette posture ? Le CH gagne, certes, mais à quel prix ?
Un coach peut-il vraiment bâtir une culture offensive en brisant ses talents les plus instinctifs ? Bolduc mérite mieux que d’être un pion qu’on déplace au gré des humeurs. Il mérite d’être guidé, pas puni.
Pour l’instant, l’histoire ressemble à celle d’un joueur québécois qui rêvait de Montréal et découvre, trop tard, que Montréal n’est pas faite pour rêver.
Son adaptation continue, dit-il. Mais dans ses yeux, on lit autre chose : la peur de ne plus se reconnaître lui-même.
