Il suffisait d’observer le premier entraînement d’Alexandre Texier avec le Canadien pour comprendre à quel point la journée était lourde de sens pour un joueur qui a déjà beaucoup vécu malgré son jeune âge.
Dès qu’il a sauté sur la glace avec son nouveau numéro 85, on voyait dans ses épaules trop hautes, dans ses premiers coups de patin un peu saccadés, dans sa manière de regarder constamment autour de lui, dans sa manière de perdre la rondelle comme une patate chaude en début d'entraînement:
Un mélange de nervosité, d’urgence et de fragilité, comme s’il portait sur le dos toutes les critiques qui l’avaient précédé à Montréal, à commencer par celles, sans pitié, de Renaud Lavoie quelques minutes plus tôt.
Lavoie l’avait décrit comme un joueur qui « n’aime pas se faire mal », qui « ne va pas dans les coins », qui « reste en périphérie » et qui, à mots couverts, le traitait de joueur lâche/peureux.
On voyait que Texier avait entendu, assimilé, encaissé. Ses premiers tours de glace ressemblaient davantage à un examen de conscience qu’à un entraînement normal.
Les caméras de TVA Sports, elles aussi, se sont acharnées avec la même froideur que Renaud. L’un des premiers exercices filmés montre Texier qui échappe la rondelle tout seul le long de la bance, une scène injuste parce qu’elle ne reflète pas l’ensemble de sa séance, mais qui offre exactement le genre d’image qui s’imprime trop vite dans la mémoire d’un marché en mode jugement instantané.
Disons que les caméras de TVA Sports ont été plus clémentes envers Adam Engström qui était comme un poisson dans l'eau à Brossard:
Et pourtant, il y a eu d’autres séquences où l’on voyait clairement la vitesse de Texier, son toucher, sa vitesse dans les transitions, sa capacité à accélérer en portant la rondelle devant lui.
Il ne sera pas en uniforme en Utah mercredi, vu que c'était les mêmes trios que samedi contre Toronto. Il semblait déçu d'être assis avec les défenseurs lorsque les attaquants s'entraînaient. (voir la photo au bas de l'article)
Mais Montréal est un marché où la première impression est un combat, et Texier entrait sur la glace comme on entre dans une arène, conscient de sa réputation, conscient du poids de son histoire récente, conscient de ce qui l’attend ici.
Et cette histoire, il l’a lui-même racontée avec une franchise rare dans une entrevue au journal Le Parisien qui résonne aujourd’hui.
Texier n’a jamais cherché à jouer les héros, lui qui est considéré comme le joueur le plus talentueux de l'histoire de la France.. Il l’a dit : « Je ne suis pas le roi du monde, je continue de travailler. »
Il l’a dit aussi : « J’ai besoin de personnes qui m’accompagnent, et c’est comme cela que je trace mon chemin. »
« Je suis un affectif et je l’assume. »
Dans un milieu où l’on valorise l’invulnérabilité, il a eu le courage d’admettre la sienne. Il a raconté la solitude d’un jeune européen parachuté dans la LNH :
« On vit hockey, on mange hockey et on dort hockey. Il ne reste que très peu de temps pour faire autre chose. Je vivais seul. »
Il a raconté sa mère qui venait l’aider à tenir debout à Columbus quand il se sentait trop seul.
Il a raconté la pression, les commentaires, les réseaux sociaux qui finissent par user le mental même du joueur le plus talentueux. Il a expliqué pourquoi il avait quitté la LNH pour Zurich :
« C’est un choix personnel, cela m’a fait du bien pour repartir. Je suis mieux dans ma tête et mon corps. Et plus mature aussi. »
Il a esquivé la question sur la mort de ses grands-parents, mais son silence disait tout. Et il a résumé en une phrase ce qu’il est profondément : un joueur qui a besoin d’être entouré, accompagné, sécurisé pour performer.
C’est exactement pour cela que Montréal est à la fois un risque et une opportunité. Parce que c’est une ville qui peut détruire mentalement n’importe quel joueur fragile, mais c’est aussi une ville où un coach comme Martin St‑Louis peut devenir un rempart, un mentor et un protecteur.
St‑Louis est probablement le meilleur entraîneur possible pour un joueur qui arrive avec autant de bagages émotionnels.
Parce qu’il sent les humains. Parce qu’il parle aux joueurs comme des hommes. Parce qu’il comprend ce que représente la pression d’un marché qui juge tout, qui amplifie tout, qui dévore tout.
Ici, Texier aura besoin d’un entraîneur qui saura le recadrer sans le briser, qui saura le pousser sans l’écraser, qui saura lui rappeler ce qu’il vaut sans lui rappeler ce qu’il a vécu.
Et ce qu’il vaut, c’est beaucoup. On oublie trop vite qu’Alexandre Texier a été un prodige, un vrai. On oublie son but spectaculaire en désavantage numérique contre Mark Stone, un chef-d’œuvre d’instinct, de vitesse, de lecture.
On oublie ses mains, ses tirs, sa créativité naturelle.
On oublie qu’il a déjà été perçu comme le visage du hockey français, un joueur à part, né pour performer sur les grandes glaces et les grandes scènes. Tout cela existe encore. Mais cela existe dans un corps et dans une tête qui ont été secoués, éprouvés, fragilisés.
C’est exactement ce qui transparaissait dans son entraînement. La première moitié était un cauchemar intérieur, chacune de ses foulées semblait chargée du regard des journalistes, de la froideur de Renaud Lavoie, de la reprise vidéo de TVA Sports.
Mais plus la séance avançait, plus Texier retrouvait sa fluidité. Son corps se détendait. Son patin s’ouvrait. Ses mains redevenaient vivantes. C’était comme si, peu à peu, il se rappelait qu’il sait jouer au hockey, qu’il n’a rien à prouver à personne d’autre qu’à lui-même, qu’il peut encore redevenir ce joueur libre, rapide, imprévisible qu’il a été avant que la solitude, la tragédie familiale, ses problèmes de substance et la pression ne l’engloutissent.
Ce qu’on voit, aujourd’hui, c’est un joueur qui arrive à Montréal avec un passif lourd, une sensibilité assumée, une carrière qu’il veut relancer et un besoin immense d’être entouré.
Ce qu’on voit aussi, c’est un jeune homme qui essaie de tenir debout malgré tout et qui cherche un environnement où il pourra respirer.
« Il faut prendre des décisions pour soi », lui avait dit Pierre‑Édouard Bellemare, un autre joueur français qui a joué dans la LNH.
Sa décision, c’est Montréal. Sa décision, c’est Martin St‑Louis. Sa décision, c’est de croire qu’il peut renaître ici.
Mais Montréal devra prendre soin de lui. Parce qu’Alexandre Texier n’est pas un joueur qui s’impose par la dureté, ni par la prétention, ni par l’arrogance.
Il est un joueur fragile qu'il fau traiter dans la ouate.
Et peut‑être que, dans un marché qui détruit autant qu’il élève, c’est justement ce type de joueur-là qu’il faut apprendre, cette fois-ci, à protéger plutôt qu’à juger.
Le message est lancé à Renaud Lavoie.
