Il y a des erreurs de jugement qui laissent des traces.
Des décisions prises dans l’émotion, sous l’impulsion, ou pire, en raison d’un conflit personnel. Et dans le cas de Patrick Roy, son évaluation, ou plutôt sa sous-évaluation, de Noah Dobson pourrait bien hanter les Islanders de New York pendant des années.
Car non, Dobson n’était pas qu’un simple défenseur offensif. Non, Dobson n’était pas un fardeau défensif ingérable.
Et surtout : non, l’organisation n’avait aucune raison valable de tirer un trait sur un défenseur droitier de 25 ans, sous contrat à long terme, qui a déjà touché les 70 points dans la LNH et qui possède encore une marge de progression impressionnante.
Mais Patrick Roy n’en voulait plus. Il ne le voyait plus dans ses plans. Et il a laissé le conflit personnel prendre le dessus.
Une rupture alimentée par l’orgueil.
Dès les premières semaines de son mandat comme entraîneur-chef des Islanders, Roy a envoyé des signaux inquiétants.
Le climat avec Dobson était tendu. L’un des moments les plus révélateurs est survenu lorsqu’il a décidé de clouer son défenseur étoile au banc lors d’un match en pleine lutte pour les séries, remettant en question son implication défensive et sa lecture de jeu.
Roy voulait faire passer un message. Mais c’est plutôt Roy lui-même qui a envoyé un message d’intransigeance et d’inflexibilité.
Puis, il y a eu « l’affaire Instagram ».
Pour comprendre pleinement la fracture entre Patrick Roy et Noah Dobson, il faut remonter à une tension bien connue dans l’entourage des Islanders : Roy lui reprochait son manque de concentration.
Pas sur la glace, mais en dehors. Le coach trouvait que Dobson passait trop de temps à publier sur Instagram, notamment des photos avec sa copine, à la plage, lors de fêtes, en voyage, ou simplement en mode détente.
Roy, old school jusqu’au bout des doigts, déteste ce qu’il appelle le « fla fla ». Il veut des joueurs concentrés, qui respirent le hockey 24/7, pas des vedettes de réseaux sociaux.
Sans jamais viser la copine de Dobson, Roy aurait plusieurs fois laissé entendre que son jeune défenseur passait « plus de temps à choisir un filtre qu’à étudier ses couvertures défensives ».
Ce n’était pas un conflit explosif, mais c’était un irritant persistant. Et lorsque la production de Dobson a légèrement chuté, Roy n’a pas hésité à utiliser ce prétexte pour pousser Mathieu Darche à tourner la page.
Dobson se faisait saboter par un entraîneur borné, incapable de reconnaître ses qualités.
Ce n’était plus une question de performance. C’était devenu personnel.
Le plus ironique dans toute cette saga, c’est que Roy a accusé Dobson de ne pas être assez fiable défensivement… alors que les données les plus récentes démontrent exactement l’inverse.
Oui, Dobson est un défenseur porté sur l’offensive. Oui, il a déjà fait des erreurs en zone défensive, comme tous les défenseurs qui prennent des risques avec la rondelle.
Mais ce que Roy a refusé de voir, c’est l’évolution du joueur. Dobson est devenu, en 2023-2024, l’un des meilleurs défenseurs de la LNH pour récupérer la rondelle en zone défensive et relancer l’attaque.
Selon les données de Corey Sznajder (All Three Zones), il est comparable à des noms comme Rasmus Dahlin et Luke Hughes dans cette catégorie. Il était l’un des rares défenseurs capables de transformer une pression défensive en contre-attaque structurée.
C’est exactement ce qui manque cruellement à la majorité des équipes de la LNH. Et c’est exactement ce que Kent Hughes a souligné après l’avoir acquis :
« On avait besoin d’un gars capable de nous sortir de notre zone plus efficacement. »
Roy l’a perçu comme un gars unidimensionnel. Mais il aurait dû gratter un peu plus loin. Dobson est aussi capable de jouer dans toutes les situations.
Il peut rejoindre l’attaque, appuyer l'offensive, activer les ailes en fond de territoire… mais il est aussi capable de flotter à la ligne bleue, de tirer de loin, de récupérer la rondelle rapidement en zone défensive et de la transporter lui-même.
Il peut s’adapter.
Il peut évoluer.
Mais Roy ne lui a jamais offert cette chance. Il a préféré miser sur ses anciens réflexes. Sur ses certitudes. Sur son instinct de coach junior. Et il a sacrifié un joyau.
Ce que Patrick n’avait sans doute pas anticipé, c’est l’effet de son geste dans le vestiaire des Islanders. Pour plusieurs joueurs, Dobson était une pierre angualire. Un leader discret, respecté pour son calme, sa maturité et sa constance. C’était un défenseur fiable, intelligent, qui ne faisait pas de vagues, mais qui livrait la marchandise soir après soir.
Quand la transaction a été annoncée, l’effet a été immédiat. Et brutal.
Alexander Romanov a été l’un des plus choqués par la nouvelle. Les deux défenseurs formaient un duo stable et complémentaire. Romanov, le défenseur robuste, physique, intense.
Dobson, le mobile, le stratégique, le relanceur. Ensemble, ils incarnaient l’équilibre de la défense des Islanders. Leur séparation a provoqué un choc émotif. Romanov ne l’a pas digéré.
Et comme l’a confirmé l’analyste Thomas Hickey, cette colère était réelle.
« Romanov ne comprenait pas. Dobson était son partenaire, il l’aimait comme un frère. Il n’a pas compris pourquoi on l’a laissé partir. »
Ce n’est pas tout.
Dans les jours suivants, le malaise s’est propagé. Ilya Sorokin aurait aussi manifesté son incompréhension. Pour lui, c’était clair : Roy avait agi par entêtement. Et Darche, coincé entre le marteau et l’enclume, avait dû accepter une offre inférieure à la valeur réelle du joueur.
Ce genre de fracture dans un vestiaire peut paraître comme un détail à court terme, mais elle laisse des cicatrices. Surtout quand le joueur qui s’en va devient une vedette ailleurs.
Depuis son arrivée dans l’uniforme du Canadien, Noah Dobson est traité justement comme une pierre angulaire. Kent Hughes ne s’en cache pas : il croit au potentiel de son nouveau défenseur, il croit en sa capacité à jouer un rôle de premier plan à long terme, et il est prêt à lui donner les outils pour réussir.
Même Martin St-Louis, pourtant très prudent avec les nouveaux venus, a rapidement fait l’éloge de Dobson :
« Ce que j’aime, c’est son calme. Il a cette capacité à ralentir le jeu, à lire l’échec avant qu’il arrive. Ça, c’est un instinct qu’on ne peut pas enseigner. »
Dobson va rapidement démontrer ce qui faisait de lui un défenseur tant convoité : sa mobilité, sa relance, mais surtout son sang-froid en zone défensive, qui a toujours été sous-estimé par Roy.
Non, Dobson n’est pas une passoire. Il commet des erreurs, comme tous les défenseurs offensifs, mais ses statistiques avancées témoignent d’une amélioration notable dans sa lecture défensive. Moins de revirements. Meilleure couverture. Plus de récupérations.
Ce qui rend cette histoire encore plus fascinante, c’est qu’à bien y penser, Dobson était probablement le défenseur le moins adapté au style de Patrick Roy.
Roy veut des défenseurs engagés, physiques qui bloquent des tirs et frappent à tour de bras. Il aime les gars comme Romanov.
Mais Dobson, c’est un défenseur cérébral. Il joue avec la tête. Il anticipe. Il lit le jeu. Il ne cherche pas à démolir l’adversaire : il veut récupérer la rondelle proprement, et construire quelque chose.
C’est ce que Kent Hughes a vu, et ce que Roy a refusé de reconnaître.
Et dans une ligue moderne, où les relances rapides sont devenues essentielles, où la mobilité et la vision sont des atouts primordiaux, Dobson s’inscrit parfaitement dans le virage technique que prend la LNH. Le Canadien l’a compris. Les Islanders, eux, ont préféré regarder dans le rétroviseur.
Il est encore tôt pour mesurer pleinement l’impact de cette transaction. Mais si Dobson poursuit sur sa lancée à Montréal, et qu’il devient un rouage indispensable du succès du Tricolore, alors la décision de Roy apparaîtra pour ce qu’elle est : une erreur stratégique monumentale.
Car ce n’est pas qu’une mauvaise transaction. C’est l’abandon prématuré d’un joueur de franchise. Un joueur qui n’avait pas encore atteint son plein potentiel, mais qui avait déjà prouvé qu’il pouvait flirter avec les standards d’un défenseur numéro un. D
Et le plus troublant, c’est que Roy l’a fait non pas parce que Dobson avait échoué, mais parce que Roy refusait de faire preuve de souplesse.
Comme trop souvent dans sa carrière...