Crise au Centre Bell: les employés sortent de leur silence

Crise au Centre Bell: les employés sortent de leur silence

Par David Garel le 2025-03-24

On a appris la semaine dernière que 159 hôtes et hôtesses du Centre Bell allaient être congédiés d’ici le 30 juin prochain. 

La nouvelle, confirmée par France-Margaret Bélanger, présidente Sports et divertissement du Groupe CH, est tombée comme une bombe dans le milieu syndical et dans la grande famille du Canadien de Montréal.

Officiellement, il s’agit d’une « réorganisation des activités » visant à laisser aux détenteurs de loges le soin d’embaucher eux-mêmes leur personnel.

Mais en grattant à peine sous la surface, une réalité beaucoup plus troublante apparaît. Car ce congédiement collectif ne tombe pas du ciel : il s’inscrit dans une longue série de décisions controversées du Groupe CH.

Ce qui suit n’est pas une réaction émotive à une annonce cruelle. C’est un rappel structuré, documenté, de tout ce qui a mené à cette vague de mises à pied. 

Des précédents recours collectifs aux allégations de non-paiement d’heures supplémentaires, en passant par une stratégie de contournement syndical à peine voilée, il est clair que ce n’est pas une simple question de « réorganisation ».

Les 159 congédiements annoncés récemment ne sont pas une simple manœuvre isolée. Ils s’inscrivent dans un pattern bien établi de mépris envers les droits des employés au sein du Groupe CH, un pattern qui remonte à plusieurs années… et qui n’a jamais vraiment cessé.

En 2018, une ancienne employée du Groupe CH, Joanie Godin, a déposé une demande d’autorisation en action collective contre « L’Aréna des Canadiens », une entité affiliée au Groupe CH, responsable de la gestion des activités hors hockey au Centre Bell.

Cette action visait à dénoncer des violations flagrantes de la Loi sur les normes du travail, notamment sur la question des heures supplémentaires impayées.

Dans sa déclaration, Joanie Godin a révélé qu’elle avait cumulé jusqu’à 77,5 heures de travail en une seule semaine sans recevoir la rémunération prévue par la loi pour les heures excédentaires. 

Pour la durée totale de son emploi, elle a réclamé plus de 4158 $ en heures supplémentaires non versées, sans compter les intérêts.

Et ce n’est pas tout. François Marchand, ex-employé des communications, a été licencié sans ménagement après 11 ans de service, et a poursuivi l’organisation pour plus de 80 000 $, citant un traitement injuste, des dommages moraux, et l’indifférence glaciale de « la gang à Geoff Molson ».

Et aujourd’hui encore, en 2025, des employés actuels dénoncent que ces pratiques illégales persistent. Des heures supplémentaires qui ne sont pas payées comme il se doit. Des commissions qui ne compensent pas des horaires éreintants.

On ne parle pas de cas isolés : le recours collectif visait à représenter plusieurs dizaines d’employés actuels et passés, tous victimes d’un système de gestion qui, selon eux, profitait d’un flou organisationnel et contractuel pour éviter de payer ce qui leur revenait légalement.

Et malgré la médiatisation de cette affaire, malgré les démarches juridiques, le Groupe CH n’a rien appris. Plusieurs employés ont continué de témoigner au fil des années que les heures « extra » n’étaient toujours pas rémunérées correctement, surtout parmi les employés à la commission.

Un employé anonyme, encore en poste récemment, a contacté les médias pour confirmer que ces pratiques abusives se poursuivent encore aujourd’hui. 

Le mode opératoire serait toujours le même : cumuler les heures, jouer sur les libellés de contrats, diluer les responsabilités pour éviter la pleine rémunération.

Alors quand on regarde les 159 mises à pied, on ne peut pas les voir autrement que comme une suite logique. Une façon radicale, brutale et assumée de se débarrasser d’un groupe syndiqué devenu trop « encombrant » pour une organisation habituée à opérer dans la zone grise.

Et pendant que les actionnaires engrangent des profits, pendant que les billets, la bière, et les hot-dogs au Centre Bell atteignent des prix délirants, ce sont les employés de première ligne qui se font exploiter, congédier, effacer.

Le passé parle. Et le présent confirme que rien n’a changé.

On aimerait croire que la plus grande organisation de l’histoire du hockey traite ses employés avec dignité.

On aimerait croire que le Canadien de Montréal, fort de ses traditions et de son aura mythique, est un employeur exemplaire.

Mais la réalité est brutale, crue, écœurante : 159 hôtes et hôtesses du Centre Bell ont été congédiés cavalièrement, sans pitié, sans cœur, sans humanité.

Ce n’est pas une formule dramatique. C’est un fait. 159 personnes, certaines avec des années de service derrière elles, ont été mises à la porte d’un revers de main. 

Et pourquoi? Pour que le Groupe CH, confortablement dirigé par Geoff Molson et sa bras droit France-Margaret Bélanger, puisse contourner un syndicat et se débarrasser d’une obligation morale – et surtout, légale – de négocier une nouvelle convention collective.

Un congédiement stratégique, froid, calculé.

Les 159 employés faisaient partie de la section locale 1999 des Teamsters, un syndicat en pleine négociation avec l’employeur au moment de l’annonce. 

C’est là que réside l’indécence absolue : plutôt que de respecter le processus syndical, le Groupe CH a préféré couper la tête du syndicat.

France-Margaret Bélanger a beau prétendre que cette décision n’a rien à voir avec les négociations – qu’il s’agit simplement d’une réorganisation –, personne n’est naïf. 

On veut maintenant que les propriétaires de loges embauchent eux-mêmes leur personnel. Le service offert depuis des années par le Centre Bell? Fini. Externalisé. Jeté aux poubelles.

Et dans tout ça, aucune trace d’humanité.

Des employés ont appris la nouvelle dans un courriel sec, sans appel.

D’autres ont dû servir des clients dans les loges le soir même de l’annonce, en pleurant, en ayant envie de vomir. C’est littéralement ce qu’une hôtesse a ressenti. Et on les a tout de même invités à continuer avec « professionnalisme et courtoisie ».

Non, ce scandale n’est pas un cas isolé. Il s’inscrit dans un schéma plus large, plus honteux, plus enraciné.

Et il est clair que la demande d’autorisation en action collective qui a été déposée contre L’Aréna des Canadiens, filiale du Groupe CH, pour non-paiement d’heures supplémentaires, était le début de la fin.

Dans tout cela, c’est France-Margaret Bélanger qui est devenue le visage du mépris. La présidente Sports et divertissement du Groupe CH se retrouve au centre d’un incendie qu’elle n’arrive pas à éteindre.

Les critiques pleuvent. Les employés la traitent de sans-cœur, de technocrate déconnectée, de dirigeante insensible.

Et elle s’accroche à son message : « ce n’est pas lié aux négociations, tout le monde a été prévenu 14 semaines d’avance ».

Comme si le problème était le délai.

Non, madame Bélanger. Le problème, c’est la façon. Le mépris. La stratégie. La froideur.

Et maintenant?

Maintenant, 159 personnes se retrouvent à la rue. Pas à cause d’un ralentissement économique. Pas à cause d’une faillite. Mais parce qu’on voulait se débarrasser d’un syndicat.

C’est ça, la vérité. C’est pour éviter de signer une nouvelle convention qu’on a choisi la voie de l’humiliation. Et pendant ce temps, le Centre Bell continue de vendre des billets à 400 $, des bières à 15 $, des sacs de popcorn à 8 $, pendant que les profits s’envolent dans les loges VIP.

Mais les employés? Jetés. Silencieux. Brisés.

On ne peut plus faire semblant. Le Groupe CH a construit un modèle d’affaires sur le dos d’une main-d’œuvre dévouée, qu’il méprise dès qu’elle devient trop chère ou trop exigeante.

Et cette fois, le masque est tombé.