Le hockey a souvent été décrit comme une passion qui unit, une distraction qui apaise et, dans le cas de Karl Tremblay, une bouée de sauvetage dans la tempête du cancer...avant de s'éteindre en tant que légende du Québec.
Les tournées avec Les Cowboys Fringants étaient une oasis de normalité pour Karl, un havre où la maladie semblait momentanément s'évanouir dans l'excitation des matchs du CH et la LNH qu'il regardait dans sa loge et des les rencontres avec ses amis. Comble de coïncidence, Karl et les Cowboys Fringants arrivaient à remplir le Centre Bell et le Centre Vidéotron comme le Canadien de Montréal.
«Un peu comme si le destin avait décidé de nous offrir un dernier tour de piste grandiose, nous sommes revenus sur scène au Centre Bell pour quatre soirs à la fin de l’année 2021, puis le Centre Vidéotron, encore le Centre Bell, une tournée européenne incroyable en février 2022 où nous avons rempli des Zénith, des arénas partout en France et en Suisse et surtout, entassé 10 000 personnes, le 19 février, à Bercy, la mythique salle de Paris maintenant nommée Accor Arena.» affirme Jean-François Pauzé. (crédit: Journal de Montréal)
Lorsque la pandémie a interrompu temporairement la tournée, le destin a choisi ce moment pour révéler la dure réalité à Karl et à son équipe : un cancer. Son collègue et ami, Jean-François Pauzé, s'en souvient comme si c'était hier.
«On a donné une dizaine de spectacles avant que la pandémie ne vienne tout stopper. Cependant, pour nous, le temps s’est vraiment arrêté le 10 janvier 2020, à Terrebonne, quand, dans la loge, Karl a annoncé à l’équipe qu’il avait un cancer, que les médecins lui faisaient des tests plus avancés pour en déterminer le diagnostic.»
Pourtant, même dans l'ombre de cette sombre nouvelle, les premiers spectacles ont brillé d'une lumière éclatante. Mais dans les coulisses, la bataille personnelle de Karl contre la maladie prenait déjà une tournure plus sombre.
Au fur et à mesure que la tournée reprenait son cours, la maladie de Karl devenait un fardeau de plus en plus lourd à porter.
Les séances de transfusion sanguine et les médicaments de plus en plus puissants étaient les seuls moyens de maintenir Karl sur scène, mais son énergie s'épuisait rapidement.
«On voyait bien que c’était plus difficile, que ça n’allait plus du tout: transfusions sanguines avant les spectacles pour pouvoir monter sur scène, des médicaments puissants pour supporter la douleur, qui était de plus en plus insoutenable».
«Le cancer s’était propagé aux os depuis longtemps et le mal le rongeait, l’énergie le quittait, on le voyait bien. Honnêtement, je ne sais pas trop comment il faisait pour tenir le coup.»
Pourtant, il trouvait la force de monter sur scène, de livrer des performances inoubliables malgré la douleur persistante. Et son amour du hockey et du Canadien a réussi à lui changer les idées pendant ses derniers moments sur Terre. Alors que pour ses collègues, c'était l'alccol qui les aidait à affronter la dure réalité, comme le témoigne Jean-François Pauzé.
«Il y a des soirs au cours des derniers six mois où j’étais tellement ivre que je ne me souviens même pas de la fin des concerts. Pourtant, je n’avais jamais joué saoul lors des 25 premières années des Cowboys. On avait vraiment l’impression de faire de la musique sur le Titanic et on attendait qu’il coule.»
«Tout le monde sur la tournée était chaud. Ça buvait du fort, du gros gin, de la vodka. On avait tous quelque chose à engourdir»
Le point culminant de cette aventure a eu lieu sur les plaines d'Abraham, devant une marée humaine de 90 000 âmes.
Dans un moment de communion pure, alors que Karl, affaibli, était porté par la voix collective de la foule, l'émotion a atteint des sommets inégalés.
L'interprétation de « Sur mon épaule » est devenue un symbole de solidarité et d'amour, un hommage poignant à la force et à la résilience de Karl.
"Quand les jambes de Karl ont flanché et qu’il a dû chanter assis, aidé par les 90 000 personnes présentes, ce fut, je crois l’un des plus beaux élans de tendresse et de solidarité qu’il m’ait été donné de voir et assurément, comme plusieurs l’ont corroboré, l’un des moments les plus marquants de la chanson québécoise. J’ai été malgré tout chanceux d’y participer, même si j’aurais préféré qu’il en soit autrement.»
Mais toute bonne chose a une fin, même les tournées légendaires. À Saint-Tite, lors de l'ultime concert du groupe avec Karl, les sentiments de nostalgie et d'adieu étaient palpables. C'était la fin d'un chapitre extraordinaire, un chapitre marqué par la musique, l'amitié et la lutte acharnée contre la maladie.
Jean-François Pauzé, témoin privilégié de cette saga, reconnaît que ces quatre années de tournée méritent un récit plus détaillé. Peut-être, un jour, ce récit prendra-t-il la forme d'un livre, immortalisant à jamais les hauts et les bas, les triomphes et les défis de cette incroyable aventure.
En attendant, alors que le rideau se ferme sur cette période qui a brisé le coeur de toute une province, une chose reste indéniable : la chance et le privilège d'avoir partagé cette expérience avec Karl Tremblay, un homme dont le courage et la détermination ont inspiré des milliers de fans à travers le Québec et au-delà.